Dispersée par la police, une manifestation féministe tourne mal sur la Plaine

Actualité
le 16 Oct 2019
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Jeudi dernier, une manifestation féministe a mal tourné. Marche nocturne prévue pour aboutir à un rassemblement sur la Plaine, la mobilisation s'est finie dans les lacrymos. Plusieurs témoins font état de violences policières. La police quant à elle ne relève "aucun incident" si ce n'est l'interpellation de deux personnes.

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L'enjeu

Plusieurs manifestantes affirment avoir été victimes de violence policière et d'agressions sexistes.

Le contexte

Un an après le début des travaux de la Plaine et alors que plusieurs affaires de violences policières sont ouvertes à Marseille, des militantes féministes du quartier se mobilisaient jeudi.

“J’étais complètement choquée. Une nana m’a demandé de filmer mais je tremblais tellement qu’on ne voit rien sur la vidéo, on m’entend juste hurler de peur”. Cloé Sauvage s’est retrouvée “au mauvais endroit, au mauvais moment”. Jeudi dernier, la jeune femme repart d’un dîner chez un ami dans le 5e arrondissement lorsqu’elle tombe sur une scène d’un niveau de violence “auquel [elle] n’avait jamais été confrontée”, raconte-t-elle à Marsactu, qui a visionné sa vidéo. Des cris, des insultes, des gestes brusques. Si les images ne permettent pas d’objectiver le récit entier de la jeune femme, elles montrent un niveau de tension élevé.

Ce jeudi 10 octobre au soir, plusieurs manifestantes sont regroupées sur la place Jean-Jaurès. Après avoir déambulé dans le quartier pour protester contre les “agressions transphobes, lesbophobes et sexistes”, les participantes à cette “marche féministe en mixité choisie sans mec cis [hommes qui se reconnaîssent dans le genre qui leur a été attribué à la naissance, ndlr]décident de poursuivre la mobilisation par une petite fête. “Depuis le balcon, on voyait la manifestation. Il y avait de la musique, des slogans plein d’humour, c’était bon enfant, pas violent du tout”, se remémore Cloé Sauvage. Il est environ minuit et demi, entre quinze et vingt personnes sont encore présentes sur la place quand elle décide de rentrer avec sa colocataire, Estée Cadoret. Soit “pile au moment où les policiers ont décidé d’arrêter la manifestation. Quand on est descendues, ils ont gazé, des filles sont tombées à terre, certaines étaient complètement sonnées”.

“Il la tenait par le cou, ses pieds ne touchaient plus terre”

“Ils nous ont repoussées violemment, certaines d’entre nous, dont moi, ce sont retrouvées à terre”, confirme Denise*, l’une des manifestantes. Les deux colocataires décident donc de venir en aide aux femmes à terre, pour les mettre à l’écart. “Les policiers avaient des propos insultants, c’était hyper violent, on avait plus l’impression qu’ils étaient là pour agresser que pour contenir d’éventuels débordements”, décrivent les deux jeunes filles qui énumèrent les propos entendus : “vous n’êtes même pas de vraies femmes”, “allez vous laver espèce de crasseuses, vous ressemblez à des hommes”, “allez vous lécher la chatte”“Ils ont eu des propos misogynes, sexistes, lesbophobes nous disant que nous n’étions pas de vraies femmes, des putes, des salopes”, raconte encore Denise*, rejointe par Émilie* qui parle elle de “propos dégradants”.

Mais la scène ne s’arrête pas là. “On s’est décalées vers l’angle de la rue des Trois-Mages, poursuit, la voix chancelante Cloé. Là il y avait deux nanas, une à terre en train de se faire menotter et qui se prenait des coups de pieds. L’autre se faisait contenir par la gorge par un policier, ses pieds ne touchaient plus terre. Il l’étranglait quoi !”. Estée témoigne encore : “Je les ai vu mettre deux jeunes filles à terre et les violenter physiquement, tout en maintenant leur flot d’injures. Tout devenait confus et tout le monde criait. Je criais aussi car j’avais peur que les filles soient blessées. Les coups étaient portés avec beaucoup de force sur le visage et sur le corps.” Marsactu n’a pas réussi a entrer en contact avec les deux manifestantes en question.

“L’une des brigades les plus calmes”

Contactée par Marsactu, la police fait état de l’arrestation de deux personnes parmi les manifestantes ce soir là, placées en garde à vue pour outrage et rébellion. La soirée s’est déroulée “sans incident notable si ce n’est ces deux personnes qui s’en sont pris aux barrières [du chantier, ndlr] et ont insulté les policiers”, fait-on savoir à la direction départementale de la sécurité publique. Mais la police réfute une quelconque violence venant de ses troupes. “C’était l’une des brigades les plus calmes, experte du maintien de l’ordre dans un secteur où on n’est pas des plus populaires”, nous indique-t-on encore.

Denise* décrit pourtant l’utilisation de bombe au poivre “parfois à bout portant” sur certaines de ses copines. “Ils ont tellement gazé qu’eux-mêmes avaient les yeux en pleurs”, abonde Émilie, militante féministe de longue date. Questionnée sur ce point par Marsactu, la police n’a pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer l’utilisation de ce gaz. Sur les insultes, elle renvoie la balle dans le camp adverse : “En général, les noms d’oiseaux viennent plutôt de l’autre côté”, se défend la cellule communication de la police. Seul point qui met tout le monde d’accord : la “barrière bousculée” comme point de départ. “Comme si c’était quelque chose de sacré”, s’agace Émilie.

Titré “Plaines de rage”, le prospectus distribué pour appeler à cette marche féministe pointait aussi largement les travaux qui durent depuis un an sur la place Jean-Jaurès. Gardés jour et nuit par des vigiles de la société AMGS, un sous-traitant de la Soleam, les abords du chantier sont un lieu d’agressions à caractère lesbophobe, transphobe et sexiste”, peut-on y lire. Les militantes visent ainsi directement les gardiens du chantier et les policiers “qui continuent de prendre le parti des agresseurs.”

“Cela faisait deux heures qu’ils voyaient une fête en mixité choisie. Ils ont été violents et brusques en nous disant qu’on n’avait rien à faire ici. Ils se sont laissés aller dans des remarques paternalistes et virilistes. Notre réaction n’a pas été de nous excuser, nous avons demandé pourquoi ils voulaient nous confisquer ainsi un espace public”, s’insurge après coup Émilie. Les personnes arrêtées ce jeudi comparaîtront devant la justice dans les prochains jours. En revanche, aucune plainte n’a pour le moment été déposée contre les policiers.

*Les prénoms ont été changé à la demande des intéressées.

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Commentaires

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  1. Happy Happy

    “c’est la brigade la plus calme”, drôle d aveu de la police ! C’est rassurant !

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  2. Palissade Palissade

    Triste, très triste, effrayant. On imagine ce que ça peut donner au Brésil, Mexique et ailleurs …

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    • Philippe Lamotte Philippe Lamotte

      N’imaginez pas trop, Malice, les méthodes policières sont identiques à travers le monde car elles se transmettent partout. Les écoles de police nationale forment de nombreux cadres étrangers et les salons de maintien de l'”ordre” ( qualifiés pudiquement de salons de sécurité) font florès !

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  3. Philippe Lamotte Philippe Lamotte

    Les policiers ont récemment manifesté pour de meilleures conditions de travail et de traitements. Ils ont aussi clamé leur épuisement. Mais les manifestations en mixité choisie leur redonnent visiblement quelque énergie !

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  4. Tarama Tarama

    La mixité choisie… “marche féministe en mixité choisie sans mec cis”.
    La novlangue a décidément de beaux jours devant elles. En espérant qu’elle n’infiltre pas trop Marsactu comme elle le fait chez d’autres médias dit “de gauche”.

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    • Happy Happy

      J’ai aussi souri sur ce slogan, mais je ne suis pas vraiment d’accord avec vous. Dans 1984,la novlangue c’est l’inversion du sens des mots : “la guerre c’est la paix, l’esclavage c’est la liberté” etc. En 2019 ça donnerait : la flexibilité c’est la sécurité, le progrès c’est la régression… Les féministes inventent plutôt des néologismes pour désigner des nouveaux concepts…pas forcément compréhensibles sans explications (mixité choisie sans mecs ?)

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Pour reprendre une expression qui a fait florès après l’incendie de l’usine Lubrizol, on pourrait dire plus simplement que c’est une marche mixte “mais pas trop” 😉

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    • Félix WEYGAND Félix WEYGAND

      Pour celles et ceux qui ne sont pas au fait de ces néologismes :
      “la mixité choisies sans mecs cis” cela veut dire que les hommes “cis-genre” c’est à dire qui se vivent comme en accord entre leur sexe biologique et leur identité sociale de genre masculin ne sont pas admis.
      C’est donc mixte puisqu’il peut y avoir des hommes, la présence de ceux-ci est limitée à ceux qui désirent sortir de leur statut “masculin”, généralement pour pouvoir se vivre et se faire reconnaitre plutôt comme des femmes. Dans ce cas, s’ils sont hétérosexuels dans leur identité biologique masculine, ils deviendront alors lesbiennes dans leur identité sociale de femme ; s’ils sont homosexuel dans leur identité biologique masculine, ils deviendront alors hétérosexuels dans leur identité sociale de femme.
      Les situations intermédiaires ou de bisexualité ou d’asexualité ne sont pas exclues, elles non plus.

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    • LN LN

      @F Weygand, merci pour votre éclairage, j’ignorais totalement ce type de terme et de mixité. Soit.
      Moi je n’ai jamais vu dans la mixité, l’exclusion de qui que ce soit. Cela semble contre productif.
      Mais je dois être de la vieille garde

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    • Tarama Tarama

      @Happy
      Merci pour votre précision, néologisme plutôt que novlangue, en effet.

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  5. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    tout en ne remettant pas en cause la légitimité de cette manifestation, il y a tout de même quelque chose qui m’interpelle, c’est pourquoi faire cette manif à la plaine, on sait que ce lieu est sensible! le moins que l’on puisse dire. quant au terme « la mixité choisies sans mecs cis » je viens d’en apprendre le sens sur le commentaire ci dessus. En tous les cas ce que je remarque c’est qu’à la Plaine il y a des personnes qui sont contre la rénovation de la Plaine, dénoncent des arbres qui soient disant ont été tous coupés, faux on les voit ts les jours, mais ce sont les mêmes personnes qui laissent traîner leurs déchets , mégots de cigarettes etc.. Par ailleurs ces femmes qui revendiquent le droit aux respects sont les mêmes qui collent sur les murs des immeubles le nombre de féminicides etc… pourquoi ne réalisent elle pas des pancartes qu’elles plantent au pied des arbres. Enfin qu’elles respectent l’environnement

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    • leravidemilo leravidemilo

      Humm,Malaguena, c’est vrai que si l’on se promène à la pleine (de plus en plus rarement d’ailleurs), on voit fort aisément les arbres qui n’ont pas été abattus. Pour apercevoir les autres, il y faut un effort d’imagination certain, une sorte de reconstitution visuelle qui tord le neurone et rend, pour ce qui me concerne en tous cas, la ballade quelque peu éprouvante.
      Ensuite, et même si je suis partisan du cendrier individuel, portatif, mettre sur le même plan le jet d’un mégot et l’abattage d’un arbre, c’est quad même un peu osé, en terme de lutte contre la canicule, de bilan carbone…ect, d’ailleurs vous l’aurez noté, ça ne fait pas le même bruit!
      Pour ce qui est du répertoire des endroits sensibles, par les temps qui courent, on compte sur vos conseils pour nous indiquez les endroits non sensibles, pour tenter d’y organiser une manif sereine, et ce quelqu’en soit le motif.

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    • Ekate13 Ekate13

      “En tous les cas ce que je remarque c’est qu’à la Plaine il y a des personnes qui sont contre la rénovation de la Plaine”

      Je ne crois pas, non.

      Ces personnes, dont je suis contestent l’épuration sociale que vous qualifiez de “rénovation”. (Qui a parlé de nov’langue ?…). Selon moi, un crime contre l’humanité qui se généralise à Marseille avec la “gentrification”, l’odieuse spéculation immobilière, dont il faudra bien un jour rendre compte !

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  6. julijo julijo

    La légitimité de cette manifestation est totale. On a le droit en France de manifester notre approbation ou désapprobation…
    (ou pas ! ces dernières semaines, on hésiterait !!)
    C’est consternant de constater qu’aujourd’hui une manifestation de gens sur un sujet donné, ou contre quelquechose… n’est quasiment plus possible à envisager dans le calme et la sérénité.
    Il n’y a pas si longtemps, on manifestait volontiers dans les rues pour ou contre des tas de sujets et on avait le souci de réunir assez de personnes…, contrôler les dérapages éventuels de mots d’ordre criés…, suivre un parcours ni trop long ni trop court…arriver au bon endroit…etc. Aujourd’hui on a peur des “FDO” on craint les lacrymos, les jets de LBD….la violence des flics.
    Ce n’est pas l’effet “gilets jaunes” puisque au départ, l’an passé, les manifs ont commencé dans un esprit plutôt calme. Donc c’est l’effet “FDO” et on le voit partout, quelque soit la manif, ils arrivent en meute et attaquent.
    Je trouve dommage surtout que les personnes ayant supportés les coups et les insultes n’aient pas pris la peine de porter plainte. C’est nécessaire pourtant.

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    • Tarama Tarama

      “Ouais mais pour ça il faudrait qu’elles viennent au commissariat, donc globalement ça va, on n’est pas trop dérangés” @Coluche

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    • petitvelo petitvelo

      Pour être juste, la manif dont on ne sait si elle était déclarée, et vu l’horaire on peut douter, semble s’être bien déroulée. C’est la petite fête qui a suivi qui semble avoir fait déborder le vase. Mais à 20 personnes, peut-on encore parler de manifestation ?
      Cela n’excuse en rien toute violence illégitime.

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  7. Pascal L Pascal L

    Moi je suis d’accord avec Jeannine : j’en ai un peu marre de tout ceux qui pensent que le combat pour défendre leur petit nombril est légitime et “je t’emmerde si ma revendication ne te plait pas et j’emmerde la police et je fais ce que je veux sinon on est plus en démocratie” le droit à manifester qu’il faut défendre absolument ne donne pas droit à dégradation, collage sauvage et tag sans compter le bocage de la circulation. Est-ce que 20 martiens bleus en colère on le droit, au non de la démocratie, de bloquer la ville pour manifester de leur volonté d’ouvrir un bar à klonk (la boisson préférée des martiens bleus) sur l’ile de l’Erevine ? (pas loin de Niolon)

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