D’étude en étude, le risque sanitaire des poussières de boues rouges toujours pas exclu

Actualité
le 17 Mar 2017
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Après Santé publique France, c'est au tour de l'Anses de rendre un avis sur l'impact sanitaire du site de stockage de boues rouges d'Alteo. Si l'industriel y voit un nouveau blanc-seing, les scientifiques insistent aussi sur les limites des données disponibles. Dans les deux cas, l'État a commandé des études complémentaires.

D’étude en étude, le risque sanitaire des poussières de boues rouges toujours pas exclu
D’étude en étude, le risque sanitaire des poussières de boues rouges toujours pas exclu

D’étude en étude, le risque sanitaire des poussières de boues rouges toujours pas exclu

Arsenic, plomb, aluminium… Dans une note datée de janvier 2017, l’Anses conclut que les échantillons de sol prélevés autour de Mange-Garri “ne permettent pas d’exclure un risque sanitaire au niveau local” pour ces trois substances. Évoquée par La Provence le 10 mars, cette étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail vient ajouter une note alarmiste aux travaux déjà menés autour de ce site d’Alteo, l’exploitant de l’usine d’alumine de Gardanne.

Joint par Marsactu, le directeur d’Alteo Éric Duchenne souligne d’emblée que “l’Anses écrit qu’il n’y avait pas d’impact des poussières de Mange-Garri. C’est le 4e paragraphe de sa conclusion, c’est très clair.” Le texte est plus nuancé, indiquant qu’“il n’est pas possible de discriminer la contribution spécifique, historique ou actuelle, de l’exploitation industrielle du site de stockage de Mange-Garri”. Autrement dit, les riverains courent probablement un risque sanitaire, mais les responsables ne sont pas connus… Si ce n’est que les données actuelles font dire à l’Anses qu’il est “vraisemblable” que l’impact d’Alteo soit “actuellement faible”.

Ce travail n’a pas été présenté lors de la réunion du 2 février de la commission de suivi de site, qui rassemble des élus, des riverains, des membres d’associations, des salariés d’Alteo, sa direction et des services de l’État. “Nous ne l’avions pas”, assure-t-on à la préfecture, même si le document est daté du 4 janvier 2017. C’est une autre étude, épidémiologique, cette fois-ci, qui avait été discutée. Elle a été menée par la cellule d’intervention en région de Santé publique France (CIRE Sud). “Les experts en santé concluent à l’absence de pathologie spécifique liée au site”, se félicite la préfecture à l’époque.

Données “incomplètes”

Dans la foulée, Éric Duchenne semble voir un point final dans ces résultats de l’Anses et de Santé publique France, qui font suite à celles d’autres organismes publics, l’IRSN et le BRGM. Mais la réalité est toute autre : au moins deux nouvelles études sont en route, à l’initiative de l’État. Car en réalité l’Anses comme Santé publique France apportent autant de questions que de réponses. “Nous ne nous prononçons pas sur l’impact sanitaire en général”, avertissait le responsable pour la région de Santé publique France  Philippe Malfait, dans un entretien accordé à Marsactu. En cause, le très faible taux de participation des riverains, 20 foyers sur les 198 que compte le périmètre de l’étude ayant répondu.

“On se rend compte très vite des limites des méthodes employées par les pouvoirs publics. Tout simplement parce qu’ils se coupent de la connaissance des habitants”, commente l’anthropologue Yolaine Ferrier, l’une des chercheuses qui a mené l’étude Epseal sur les maladies liées à la pollution industrielle à Fos et Port-Saint-Louis-du-Rhône. “Que cela soit à Gardanne, ou à Bouc-Bel-Air autour du quartier de Mange-Garri, je pense que c’est notre méthode [participative] qui est la plus appropriée”, prône-t-elle.

Du côté de l’Anses, les limites sont aussi plusieurs fois répétées. “Au vu des données disponibles et dans le délai imparti”, l’agence indique n’avoir pu mener qu’une “évaluation simplifiée”. En particulier, si les données sur la contamination des sols sont “suffisantes”, celles sur les particules en suspension dans l’air est “incomplète”. À la demande notamment du maire de Gardanne, le préfet a missionné l’organisme pour travailler sur un périmètre élargi. Ni le ministère de l’Environnement ni la préfecture n’ont souhaité commenter ce choix.

Une genèse sous tension

Cette lacune tient en partie au calendrier particulier dans lequel s’inscrit ce travail. La mission d’origine remonte au printemps 2015. La ministre de l’Environnement Ségolène Royal bloque alors l’enquête publique sur la prolongation de l’autorisation d’exploitation d’Alteo, et notamment de ses rejets polluants dans le parc national des Calanques. “Cette actualité a ravivé des inquiétudes, notamment la question de l’impact sur la santé des poussières de « boues rouges »”, rappelle l’Anses dans son introduction.

Si l’industriel s’engage à filtrer ses “boues rouges” pour ne rejeter en mer que des effluents liquides – non sans polémique sur l’impact de ces derniers – c’est en effet à Mange Garri, près d’un quartier résidentiel de Bouc-Bel-Air, que doit être stockée la partie solide restante. La ministre de l’Environnement missionne l’Anses pour “réaliser une analyse critique” des évaluations réalisées par Alteo sur les risques sanitaires associés à ce site.

En novembre 2015, la réponse tombe : “En l’état, l’Anses conclut que les résultats de la modélisation [d’Alteo] ne peuvent être considérés comme validés. Cette conclusion vaut de fait également pour la caractérisation des risques sanitaires.” Cela n’empêchera pas le préfet des Bouches-du-Rhône, sous la pression du premier ministre Manuel Valls, de signer l’arrêté d’exploitation de l’usine, qui emploie plus de 400 personnes. Mais en balance, l’État s’engage à mettre la pression sur l’industriel pour diminuer son impact – des efforts dont Éric Duchenne ne manque pas de faire mention (voir aussi son site internet) – et multiplier les études.

Un météo d’automne

La commande de l’Anses est alors claire : “Une campagne de mesures et de caractérisation physico-chimique des particules atmosphériques (…) est nécessaire. Elle doit être réalisée à des saisons contrastées afin de tenir compte de la variabilité climatique avec des méthodes de prélèvement et d’analyse appropriées.” Par ailleurs “au regard des enjeux de santé publique, [elle] recommande que l’évaluation des risques liés aux envols de poussières s’intéresse simultanément aux deux sites, géographiquement proches l’un de l’autre”, de Mange-Garri et de l’usine de Gardanne.

Missionné, le Bureau de recherche géologiques et minières n’a fait ni l’un ni l’autre. Spécialisé, comme son nom l’indique, plutôt dans le sol que dans l’air, il a aussi dû faire avec la nécessité d’un calendrier accéléré. Menées en octobre et novembre 2015, les mesures ont été celles d’un mois pluvieux et sans gros épisodes de vent. “Non représentatif”, tranche l’Anses.

C’est donc un nouvel acteur, l’association de surveillance de qualité de l’air Air PACA, qui va prendre la relève. “La direction régionale de l’environnement nous a demandé d’installer sur toute l’année 2017 sept points de mesure, trois sur Mange-Garri et quatre sur Gardanne“, détaille Justine Gourdeau, ingénieure d’étude à Air PACA.

Contrairement à la station actuelle de l’organisme à Gardanne, qui ne mesure que la concentration générale de particules, les équipements permettront d’analyser la composition chimique de celles-ci. L’idée est de “tracer” les métaux qui trahissent la bauxite et les poussières de boues rouges, par rapport aux particules qui sortent des pots d’échappements, de la centrale à charbon voisine ou même du milieu naturel. “Nous avons commencé fin février. Les données seront mises en ligne avec des points réguliers”, précise Justine Gourdeau. Mais il faudra attendre 2018 et les résultats complets pour que l’Anses puisse s’en saisir.

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