Des familles de Kalliste poussées à la rue par un climat de violence extrême
Après de très fortes tensions ce week-end au bâtiment G du parc Kalliste (15e), plus d'une soixantaine de locataires ont quitté cette barre minée par le squat et la délinquance. Une partie d'entre elles a été accueillie dans un gymnase ouvert par la Ville.
Le bâtiment G de Kallisté.
Jusqu’où, l’horreur ? Hier soir, des habitants de la cité Kalliste, grande copropriété dégradée de Notre-Dame-Limite, étaient conviés à dormir dans un gymnase, ouvert par la municipalité en extrême urgence. Vers 18 heures en cette fin de lundi après-midi, plusieurs familles avec des enfants souvent en bas âge embarquent dans des minibus de la Ville. D’autres stationnent encore au pied de l’antenne de la Maison pour tous, derrière l’école. “Nous refusons d’aller dans un gymnase, explique l’une d’elle, un voile noir protégeant ses cheveux. Si on part, ils vont prendre nos appartements, les vider pour vivre dedans et nous n’aurons plus rien“.
Elles ne veulent pas non plus revenir vivre au G 32, 31, 30 ou 29 autant d’immeubles qui sont devenus un enfer au quotidien. Derrière ce “ils” qui provoque tant de crainte surgit aussi le mot “wakonda”, sans que l’on puisse tracer l’origine de ce surnom. “Ils”, ce sont “les Nigérians”, “les réfugiés”, “les demandeurs d’asile”, d’autres grands mots-valises où sont mis les migrants, qui squattent les appartements du G, cette grande barre, dont Marseille habitat achève l’acquisition en vue d’une rénovation financée par l’ANRU. Les évacués du jour sont tous détenteurs d’un bail, soit auprès de la société d’économie mixte, soit auprès de propriétaires privés.
Le squat comme une gangrène
À chaque appartement qui se vide, entrent de nouveaux locataires sans droit, ni titre. “Et avec eux, viennent les problèmes”, juge une jeune fille, en jolie tenue d’Aïd, la grande fête de fin de jeûne, gâchée par “les évènements”. “Comment voulez-vous qu’on fasse la fête ? On est là, à traîner”, se désole-t-elle.
Ils ont tambouriné à la porte. Ils voulaient rentrer chez nous.
Une jeune fille
Durant le week-end, plusieurs incendies d’origine criminelle, assurent certains habitants, ont été déclenchés dans des entrées du G. Au G31, un appartement du rez-de-chaussée a été partiellement détruit aux toutes premières heures du dimanche 1er mai. La famille qui y vit – une femme seule avec quatre filles adolescentes – avait quitté les lieux plus tôt dans la journée de samedi après une série d’incidents. “Ils ont tambouriné à la porte, raconte une des jeunes habitantes. Ils criaient “abakaya!” C’est le mot qu’ils utilisent quand ils veulent faire partir les gens. Ils voulaient rentrer chez nous. On a appelé la police”.
Un équipage du commissariat Nord se rend alors à Kalliste. La famille désigne ses agresseurs restés sur place. “Ils avaient une machette à la main, ils nous menaçaient et la police ne disait rien, affirme Nella, la grande sœur qui a fini par recueillir tout le monde. Ma petite sœur a été agrippée par un de ces hommes devant les policiers. Et personne n’a rien fait”. La famille a fini par quitter les lieux.
Plusieurs incendies volontaires
Ensuite, une des voisines, amie de la famille, a, dit-elle, vu les mêmes individus en train d’incendier leur appartement depuis l’extérieur. Il a ensuite été pillé. “Elle a essayé de filmer mais elle a eu peur des représailles”, explique encore la jeune femme. À ses côtés, la voisine acquiesce. Elle aussi ne veut plus vivre là.
Dimanche, à cause d’un incendie dans les étages, plusieurs personnes ont sauté de leurs fenêtres.
Un peu plus tard dimanche, à l’entrée d’à côté, un feu a pris, provoquant un vent d’affolement dans les étages. Selon les marins-pompiers présents sur place, quatre personnes prises de panique se sont défenestrées. “Elles ont été hospitalisées, a priori, pour des blessures sans gravité”, complète le bataillon. La rumeur a changé ces défenestrations en “morts” dont personne ne parlerait. Cette part fantasmée n’enlève rien à l’angoisse que ces familles disent vivre.
Les évènements du week-end ont entraîné le déclenchement d’une enquête, indique-t-on à la préfecture de police. Des CRS ont été envoyés sur place lundi dans la soirée pour sécuriser la zone et une cellule psychologique a été mise à disposition des habitants.
65 personnes ne veulent plus vivre au bâtiment G
Les familles qui le peuvent sont accueillies dans de la famille ailleurs dans la cité. “Moi, j’ai distribué mes enfants un peu partout”, dit cette mère de huit enfants. Ils sont nombreux à avoir opté pour des solutions provisoires. “Mais ça ne peut pas durer, constate un père de famille. Demain, les enfants ont école comment ils vont faire s’ils vivent à droite, à gauche ?”
Dès ce lundi, la municipalité a mis en place un dispositif d’urgence dans le quartier. Trois adjointes au maire, Audrey Gatian chargée de la politique de la ville, Marie Batoux (éducation populaire) et Audrey Garino (solidarité et affaires sociales) étaient présentes avec le délégué du préfet pour effectuer un premier inventaire des difficultés. “Nous avons dénombré 65 personnes qui souhaitent être mise à l’abri le plus vite possible et quitter ce bâtiment”, estime Audrey Garino.
Parmi celles-ci, beaucoup ne veulent pas d’un hébergement provisoire mais un relogement durable. Dans les arguments avancés, il y a la peur de voir ses biens pillés, son appartement squatté mais aussi “le manque d’intimité” dans un gymnase. “Il y a effectivement une situation sécuritaire compliquée au G32 mais aussi dans plusieurs entrées de ce bâtiment, convient Audrey Gatian, par ailleurs présidente de Marseille habitat, la société d’économie mixte. Chargée par la métropole d’une concession d’aménagement dans la cité, celle-ci est donc responsable d’une bonne partie des locataires évacués. L’inquiétude était déjà là, elle a considérablement augmenté depuis hier”.
La plateforme de relogement de la métropole est actuellement saturée.
Les élus municipaux ont bien conscience que la mise à l’abri transitoire n’est pas une solution satisfaisante. “Les habitants du bâtiment G ont bien évidemment besoin d’une réponse pérenne, explique Audrey Gatian. Nous allons très vite saisir la préfecture de police d’une part, mais aussi la métropole pour trouver des solutions de logement”. Il s’agit en l’occurrence de réactiver en urgence la plateforme de relogement mise en place pour accompagner les projets de rénovation urbaine. Pour l’heure, celle-ci est engluée dans la pénurie de logements.
Les habitants refusent le provisoire
Devant l’annexe de la MPT, le dialogue s’engage entre élus et habitants du G. “Dans cinq semaines vous allez encore venir nous chercher pour aller voter”, raille un habitant. “Là, ça n’est pas ce qui nous intéresse”, réplique Marie Batoux. Mais cette réponse ne suffit pas. Les familles veulent comprendre pourquoi ce ne sont pas les squatteurs qui sont évacués dans un gymnase, au lieu des locataires de Marseille habitat. “Ce n’est pas si simple”, se défend Audrey Gatian. Je n’ai pas la possibilité d’expulser des gens, c’est la préfecture qui peut le faire après un jugement”.
Sofia Erstone, propriétaire et membre du conseil syndical, veut savoir pourquoi les appartements ne sont pas “dévitalisés” une fois que l’appartement a été racheté par Marseille habitat. “Vous mettez une porte anti-squat et ils s’installent de suite, explique-t-elle. Alors que si vous coupez l’eau, l’électricité et qu’il n’y a plus de toilettes, personne n’y viendra”. Mais Audrey Gatian rejette cette solution qui, selon elle, “crée d’autres problèmes”.
Difficile d’enlever de la tête des gens que la situation s’aggrave, touchant un bâtiment après l’autre, alors l’action publique pour reprendre la main progresse lentement. Tous ont en mémoire l’hiver 2018 et l’évacuation du bâtiment H, entièrement squatté alors que Marseille habitat en achevait l’acquisition. Certaines familles qui battent le pavé en ce jour de fête assombri ont déjà quitté le H pour rejoindre le G, avec, cinq ans plus tard, une situation dégradée.
Au G32, épicentre du squat et lieu de deal nocturne, une dame patiente au milieu de ses valises. Elle explique en anglais qu’elle aussi veut partir, qu’elle aussi a peur des bagarres incessantes. Au-dessus de la porte une main ironique a peint un Dark Vador. “Welcome to the dark side”, est-il inscrit sur un fond noir. Un homme intervient pour couper court à l’entretien. “It’s finished”. À Kalliste, l’angoisse n’est pas près de s’éteindre.
Commentaires
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2022, en France… c’est glaçant. Comment ne pas succomber à un fort sentiment d’injustice…
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Il y a quelques temps, par curiosité suite à divers articles, je suis allé voir de près cet ensemble… Ma seule présence était déjà un sujet de curiosité, comme si j’étais un extraterrestre! Mon look était ce qu’il y a de plus simple : jeans et polo passe-partout. Ça n’a pas été suffisent, ce n’était pas le bon “dress-code”, j’étais l’objet de regards insistants de la part des habitants… Je ne me suis pas attardé… Voilà la réalité de ces lieux, comment ne pas comprendre que l’on est plus au milieu d’habitations lambda mais dans un camp retranché… Glaçant effectivement @Piou…
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Je ne comprends pas comment il est possible que la justice puis la police voire l’armée ne puissent pas intervenir
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Cette situation est juste incroyable les gens sont obligés de se justifier de ne pas avoir envie de vivre dans un gymnase ! On nage en plein delire
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C ‘est un peu le monde à l’envers.
on peut comprendre qu’il y a des lois, des mesures difficiles et des procédures légales longues, mais là, en l’occurrence, il y a des personnes en danger.
c’est incroyable que des mesures d’urgence ne puissent être prises. pourquoi l’équipage du commissariat nord n’est pas intervenu, pourquoi pas de renfort…alors qu’on voit à la télé les déplacements des politiques assurés par un certain nombre de policiers pour contenir, les foules ou les opposants !
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Surréaliste ! C’est vraiment lamentable. Le manque de courage à temps se paie cash sur ce sujet comme tant d’autres…
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Terrifiant ! Dans d’autres cités ce sont des bâtiments sous la coupe des trafiquants de drogue qui interdisent aux habitants de fermer leurs portes pour servir de cachette en cas de descente de police, qui ont changé les clés et font un check point à l’entrée. Comment peut-on abandonner des familles dans ces conditions ? On leur demande de respecter les lois de la République, quelles lois?
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ces squats sauvages sont un genre de situation un peu récente, la loi actuelle n’est tout simplement pas adapatée face à l’ampleur du problème – des bandes organisées armées qui “prennent d’assaut” des blocs entiers d’immeuble.
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Cela dit ça reste des migrants qu’ont nulle part où aller, du coup ils sont des cibles faciles pour se faire enrôler dans ce genre de bail
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Mais que fait la Madone locale Samia Ghali ? Kallisté a voté à 80% pour elle en 2020. Aurait-elle fait des promesses non tenues ?
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Dans l’article :
« « « Les familles veulent comprendre pourquoi ce ne sont pas les squatteurs qui sont évacués dans un gymnase, au lieu des locataires de Marseille habitat. “Ce n’est pas si simple”, se défend … »
C’est logique en plus ce que disent les familles. Il y a de toute évidence une loi mal faite ou incomplète. Et Il devrait y avoir une solution pour toute personne migrante, un hébergement décent tant que les personnes sont sur le territoire.
Dan
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La ville et la métropole n’y peuvent rien, ce n’est pas leur rôle, c’est vrai. l’état et la justice attendent, regardent ailleurs, c’est leur rôle mais ils n’ont pas assez de moyens disent-ils, c’est sûrement vrai aussi. Les extrémiste se frottent les mains.
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