Des boues rouges au large de Cassis : retour sur une saga industrielle

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le 25 Nov 2010
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Des boues rouges au large de Cassis : retour sur une saga industrielle
Des boues rouges au large de Cassis : retour sur une saga industrielle

Des boues rouges au large de Cassis : retour sur une saga industrielle

Comment, depuis près de 50 ans, l’usine d’alumine de Gardanne a-t-elle été autorisée à rejeter des millions de tonnes de boues rouges dans la Méditerranée ? Petit retour en arrière aux débuts de cette épopée industrielle. En 1893, l’usine s’installe tout près de la gare, qui la relie aux mines du Var et aux débouchés, la lignite de la ville fournissant l’énergie nécessaire. C’est la première au monde à utiliser le procédé Bayer, qui permet d’extraire l’alumine à partir de la bauxite. Un minerai donne sa couleur rouge aux boues et aux maisons de Gardanne.

En ces temps homériques où la production ne se chiffre qu’en dizaines de tonnes, les boues rouges sont simplement stockées sur place, rappelle la brochure municipale de Gardanne éditée à l’occasion du centenaire. Quelques année plus tard, «les résidus sont transportés en téléphérique depuis l’établissement vers deux vallons aménagés des hauteurs de Bouc-Bel-Air», raconte Rives Méditerranéennes. Mais dès les années 1950, 200 000 tonnes d’alumine par an sortent de ce qui est devenu le géant Pechiney. Sachant que produire une tonne d’alumine génère plusieurs tonnes de déchets, il faut rapidement trouver une solution face à l’accumulation des boues.

Cousteau contre Ricard

Ce sera la mer, dont l’immensité des fonds offre la décharge idéale. L’autorisation de la construction de ce pipeline de 55 kilomètres, dont 8 en mer, ne se fera pas sans batailles épiques. En 1961, des études scientifiques sont lancées. Aux côtés d’organismes scientifiques classiques, on retrouve le commandant Cousteau, qui avec sa Calypso et ses plongeurs participe à des essais de déversement de boues rouges en mer. Et à d’autres opérations tenant plus de la communication… L’association Robin des Bois évoque «une démonstration publique [sur le port de Cassis] où il versait des boues rouges dans un aquarium contenant quelques poissons marins, et concluait à I’innocuité des déchets, puisque les animaux semblaient n’avoir aucune réaction».

En face, c’est Paul Ricard, qui allait bientôt créer son Institut océanographique sur l’Île des Embiez, qui mène la charge aux côtés du maire de Cassis. A la tête d’un Comité de Défense et de Vigilance des Baies du Soleil il multiplie «rapports, brochures, affiches, conférences de presse, réunions, manifestations, pétitions», énumèrent Marie-Claire Loison et Anne Pezet de l’université Paris-Dauphine. En 1964, à l’occasion d’une loi sur la pollution de l’eau, son lobbying ira jusqu’au Sénat.

Lobbying et chantage à l’emploi

Pour s’assurer de la construction de son pipeline et redorer une image sévèrement écornée, Pechiney sort alors l’artillerie lourde. N’oubliant pas de dédommager et d’éplucher la réglementation, mais débordée par cette campagne virulente, «afin d’imposer son projet de déversement des boues rouges dans la mer Méditerranée, [elle] bascule de la responsabilité à la persuasion et même à la menace», expliquent les universitaires.

Nous sommes en 1963, et le lobbying tel qu’on le connaît aujourd’hui n’en est qu’à ses balbutiements. Pechiney s’inspire notamment des «méthodes utilisées par les public relations de la recherche atomique au moment où s’est déroulée la campagne d’opposition à la création du Centre de Garadache au nord d’Aix». En plus de «neutraliser la presse», elle recourt au chantage à l’emploi. «La menace de fermeture de l’usine de Gardanne, véritable moteur économique de la région, en cas de rejet du projet de déversement des boues rouges en mer constituait un argument de poids en faveur de Pechiney», notent-elles. Avec deux autres usines à Marseille (à La Barasse et Saint-Louis), le secteur représentait alors plus de 3000 emplois directs.

Rebelote en 1996

En 1967, la canalisation est finalement autorisée puis mise en service. Profitant également à l’usine de La Barasse, bientôt également détenue par Pechiney, elle rejette à cette époque plus d’un million de tonnes par an dans la fosse de Cassidaigne. Plus tard, Pechiney utilisera la même technique dans sa filiale grecque. Malgré la victoire, les boues rouges seront «le déclencheur» d’une «prise de conscience» des problèmes de pollution de la Méditerranée, estime Jean-Marie Guillon, professeur d’histoire à l’université Aix-Marseille I. Ouvrant ainsi la voie à la convention internationale de Barcelone en 1976, qui vingt ans plus tard signera la fin du pipeline.

En 1996, le protocole de la Convention est en effet amendée et l’autorisation arrive à échéance. La polémique est ravivée. Farouchement opposé à un renouvellement, le maire de Cassis Gilbert Rastoin s’adjoint les services d’Yves Lancelot, océanographe marseillais. «On avait tous les deux écrit à Corinne Lepage [alors ministre de l’Environnement]. Puis je suis allée la voir à Paris et deux jours plus tard j’ai reçu une lettre me confirmant l’arrêt des rejets», raconte ce dernier.

Mais seulement en 2015. Le gel des investissements et embauches par Pechiney et la colère des 600 salariés avait eu l’oreille des autorités. «Le stockage à terre coûterait 100 millions de francs par année de production contre 6,5 millions pour le rejet en mer», indiquait Le Monde en mars 1996. Mais en 2015, il n’y aura cette fois-ci plus d’autre alternative que l’alternative.

Un lien Des boues rouges dans le parc des Calanques : un scandale écologique ?, sur Marsactu

Un lien Une conférence sur l’histoire des boues rouges, ce samedi à Gardanne

Aluminium Pechiney
13120 Gardanne, France

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Commentaires

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  1. François-Michel François-Michel

    Bonjour

    Gardannais, élu municipal Europe Ecologie (d’opposition à la mairie en place), je me bats avec notre groupe pour lever l’omerta sur la ville la plus polluée en poussières de tout le sud de la France ! Une poussière, qui en plus de colorer la ville, crée des problèmes de santé. Aucune étude sanitaire n’a été faite en ce sens pour déterminer l’état de santé des gardannais, pour permettre de travailler avec l’usine à la baisse de cette pollution.
    Concernant les boues rouges, Michèle Rivasi en visite le 22 octobre a proposé de bénéficier de fonds européens pour trouver des alternatives au stockage (notamment en transformant ces déchets en produits valorisés pour le BTP par exemple)

    Merci donc pour cet article …. et à votre dispo tant pour les boues rouges que les pollutions atmo.

    Autre info : demain samedi 27 novembre à 15h, présentation de l’histoire de boues rouges à Gardanne. lien : http://www.ville-gardanne.fr/Histoire-des-risques-industriels

    François-Michel LAMBERT
    Gardanne

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  2. Toxique rouge Toxique rouge

    Les boues rouges sont SPERMIO EMBRIOTOXIQUE meme à TRES FORTE DILLUTION,à l’endroit du rejet devant Cassis il y en a 34metres d’epaisseur 50kms plus loin devantToulon il y en a encore 1cm d’epaisseur,il faut 1mg d’oxyde dtitane pour tuer unetruite….
    Ce n’est donc pas un produit inerte ni un residu inofensif comme le disent l’industriel et certaines etudes financées par celui çi !
    J’ai le rapport confidentiel d’ETUDES INDEPENDANTES du Ministre sur l’etremel toxicité et l’ampleur des degats ainsi que les etudes faites pour que l’industiel obtienne l’autorisation de rejet en mer: la honte pour certains “scientifiques”

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  3. Marius Marius

    A l’époque de la construction de la canalisation pollueuse, on savait déjà que les boues rouges sont récupérables. Mais cette récupération ne rapporte pas assez. Cette affaire inadmissible est un exemple de l’argent-roi générant pollution et gaspillage de matières premières.

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