Derrière l’incendie de Saint-Chamas, un vaste trafic de déchets

Enquête
par Violette Artaud & Suzanne Leenhardt
le 13 Mai 2022
5

Cinq personnes ont été mises en examen jeudi dans le cadre d'une enquête sur un large trafic international de déchets. L'entrepôt de stockage qui a pris feu en décembre à Saint-Chamas fait partie intégrante, via son exploitant, de ce réseau présumé. Marsactu a pu mettre au jour les liens entre plusieurs entreprises locales.

Les pompiers du département ont œuvré pendant plus d
Les pompiers du département ont œuvré pendant plus d'un mois pour éteindre le feu à Saint-Chamas, derrière lequel se cachait un vaste trafic de déchets (Photo : VA)

Les pompiers du département ont œuvré pendant plus d'un mois pour éteindre le feu à Saint-Chamas, derrière lequel se cachait un vaste trafic de déchets (Photo : VA)

Des milliers de tonnes de déchets. Des centaines de milliers d’euros. Ce jeudi, le parquet de Marseille annonce avoir réalisé un coup de filet et remonté ce qu’il soupçonne être des gros poissons du trafic de déchets, à l’aide de l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique (OCLAESP). Si ce trafic présente des ramifications jusqu’à l’international, en Espagne notamment, une grande partie de l’histoire se déroule ici, dans les Bouches-du-Rhône.

En tout, cinq personnes ont été mises en examen, dont deux placées en détention provisoire, pour gestion, transport, exportation et abandon irréguliers de déchets en bande organisée, mais aussi escroquerie en bande organisée et infractions à la réglementation sur les installations classées pour l’environnement. Parmi eux, le gérant du site de stockage de Saint-Chamas, trois gestionnaires d’entreprises spécialisées dans les déchets, dans le Gard, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse ainsi qu’un transporteur. Plusieurs ont opéré aux alentours de Marseille.

En décembre dernier, à Saint-Chamas, un important incendie se déclarait dans un site de stockage de déchets. La quantité de particules fines alors mesurée dans les fumées avait engendré une pollution comparable “à la ville de Pékin”, selon les mots d’Atmosud, association agréée par le ministère pour effectuer le contrôle de la qualité de l’air. Il aura fallu plus d’un mois aux pompiers pour parvenir à éteindre les flammes. La société gestionnaire, Recyclage concept 13, était autorisée à stocker 1000 m³ de déchets sur place avant recyclage. Ce sont pourtant 30 000 mètres cubes de déchets, pour la plupart plastiques, qui ont brûlé pendant des semaines. Tandis que la structure se présentait comme ‘“une petite entreprise qui ne se relèvera jamais”, elle serait en fait le maillon d’un trafic tentaculaire qui leur auraient apporté d’importants profits.

Amasser sans trier

“C’étaient des allers et venues incessantes de semi-remorques remplis de déchets. Tout cela s’amoncelait et débordait du hangar. Une montagnette s’était même formée à l’extérieur”. Pendant plusieurs mois, Maxime*, un voisin du site qu’exploitait Recyclage Concept 13 à Saint-Chamas, a pu observer le ballet des camions. Avant que les flammes ne se chargent de l’acte final. Comme lui, les riverains voyaient dans ces camions une source de nuisances, mais pour Recyclage Concept 13, ils correspondaient à des facturations juteuses.

La stratégie serait de stocker et facturer, sans trier ni recycler.

D’après certaines pièces versées au dossier de l’enquête que Marsactu a pu consulter, diverses sociétés cherchant à se débarrasser de leurs déchets ont fait appel à Recyclage Concept 13. Au total, l’entreprise dont le siège se trouve à Martigues, a engrangé plus de 700 000 euros en huit mois, et peu dépensé. La stratégie étant de stocker, sans trier ni recycler.

Deux détentions provisoires

Parmi ses plus gros clients : Bennes 30. Selon nos informations, cette société aurait déposé à Saint-Chamas des milliers de tonnes de déchets, réglant plus de 400 000 euros à Recyclage Concept 13. Pour les seuls mois de mars et avril 2021, l’entreprise installée à Milhaud (Gard) aurait par exemple livré près de 5400 tonnes sur le site. Sur moins d’un an d’exploitation, elle aurait assuré plus de la moitié des recettes de Recyclage Concept 13. Elle est la seule entreprise directement citée par la procureure de Marseille dans son communiqué de jeudi. Son gérant, Richard Perez, surnommé un temps dans la presse comme le “roi des poubelles”, fait partie des personnes mises en examen et se trouve désormais en détention provisoire. L’homme a été dans les années 2000 condamné pour des faits de grand banditisme : corruption active, association de malfaiteurs, mais aussi participation à un incendie volontaire. L’enquête du parquet de Marseille a d’ailleurs démarré après l’incendie survenu dans l’un de ses sites de tri, en août 2020.

Aux côtés du “roi des poubelles”, en prison ce jeudi soir, un deuxième homme, Manuel Cortes, gérant de La maison du bâtiment et de l’environnement. Cette troisième entreprise, dont le siège est aux Pennes-Mirabeau, est l’ancien exploitant du site de Saint-Chamas. Son nom figure également sur plusieurs factures de Recyclage Concept 13. Selon une source proche du dossier, c’est Manuel Cortes qui fait le lien entre Recyclage Concept 13 et Bennes 30. Certaines factures au nom de La maison du bâtiment ont notamment pu être réglées par Bennes 30.

Jean-Marc Darrigade, l’avocat de Richard Perez reconnaît que des liens existent entre l’entreprise de son client et Recyclage Concept 13, dont des transferts d’argent. “Bennes 30 a payé pour le stockage de déchets à la place de Manuel Cortes“, se défend l’avocat. Selon lui, son client n’est qu’une victime du système. “Les contrats n’étaient pas honorés. Ce sont des escrocs qui font croire qu’ils traitaient des déchets alors que pas du tout”. Marsactu n’a pas réussi à joindre les avocats de Manuel Cortes dans les délais impartis à la publication de cet article.

Le deuxième homme placé en détention est lié à un autre incendie d’entrepôt de stockage et à des décharges illégales.

Selon nos recherches, Manuel Cortes est gérant d’autres sociétés qui opèrent dans les déchets et ont connu des incendies similaires à celui de Saint-Chamas. Certaines disposent d’entrepôts dans le département. C’est le cas de la société JLM à Meyrargues, dont l’entrepôt de stockage a pris feu le 10 décembre 2020. L’incendie a poussé la préfecture à prendre un arrêté pour enjoindre l’entreprise de cesser toutes activités.

Des liens existent aussi entre l’homme et un autre hangar pointé pour ses irrégularités dans la Drôme cette fois-ci, en novembre 2021. Ou encore des décharges illégales repérées par les autorités dans le Vaucluse.

7 ans de prison et 150 000 euros d’amende encourus

Il s’agit là de trafics sur lesquels se penchent régulièrement les associations de protection de l’environnement. C’est le cas par exemple de France nature environnement. “Le problème, c’est qu’on ne sait pas d’où viennent ces déchets, qui en sont les producteurs, censés s’assurer de leur recyclage”, déplore Stéphane Coppey, délégué FNE PACA. Surfant sur les lacunes des pouvoirs publics en termes de gestion des déchets, ces “petites” installations dont l’activité ne nécessite qu’une simple déclaration sur internet semblent fleurir dans le département.

Au point qu’une branche de l’OCLAESP, les gendarmes de l’environnement, s’est implantée dans la région il y a quelques mois. Pour Richard Hardouin, le président de FNE13 cité par l’AFP, ces sociétés “n’ont aucune intention de respecter la loi, ça casserait leur modèle économique qui est d’acheter des déchets à bas prix pour ensuite les enfouir au lieu de les trier et les valoriser“. Voire même de les brûler ? Le militant dénonce en tout cas un système “mafieux” avec des sociétés qui “organisent leur insolvabilité, n’étant pas propriétaires des terrains ni des locaux et ne déclarant presque aucun bénéfice“.

Pour les infractions liées au trafic de déchets, les personnes physiques encourent 7 ans de prison et 150 000 euros d’amende. Les personnes morales, 750 000 euros. Pour ce qui est du chef d’escroquerie en bande organisée, la peine de prison s’élève à 10 ans et un million d’euros d’amende pour les personnes physiques. Des peines bien plus élevées que celles qui sanctionnent l’activité voisine et très répandue de dépôts sauvages de déchets du BTP.

*Le prénom a été changé

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Violette Artaud
Suzanne Leenhardt

Commentaires

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  1. Andre Andre

    Il serait intéressant de connaître le circuit du tri sélectif de la Metropole.

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  2. Céline Céline

    Beaucoup de bande organisée 😉

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  3. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Aujourd’hui un prestataire chargé d’évacuer vers une filière de mise en décharge / de recyclage des matériaux peut demander à son client (celui de chez qui proviennent les matériaux) de signer AVANT le transport des bordereaux de suivi attestant de la destination.

    Le problème c’est “peut” et non “doit”.

    Après c’est toujours pareil : on paie le vrai prix, on a des prestataires normaux, on travaillle dans les règles. On prend le moins-disant (coucou la Métropole, coucou Euromed), ça finit dans ce genre de circuit : impossible sinon d’être le moins cher.

    Les principaux responsables sont en fait les clients, qui génèrent et entretiennent ces systèmes.

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    • TINO TINO

      donc les coupables sont les clients. Les sociétés qui organisent le système lucratif au mépris du droit et du respect de l’environnement sont des anges innocents. Belle conception de la justice.

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  4. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    En attendant c’est toujours les contribuables qui casquent Qu’il s’agsse de l’État, de la région, du département, de la ville, l’argent sort toujours de la même poche : la nôtre ! Encore un bel exemple des errements de la décentralisation ,qui nous a ramené plus de deux siècles en arrière avec ces nouveaux féodaux, que sont devenus de nombreux élus locaux !

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