Depuis 15 ans, la Ville ne consacre guère plus de 3 millions par an à l’habitat indigne

Décryptage
le 9 Nov 2018
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Trois jours après l'effondrement de trois immeubles rue d'Aubagne, le maire de Marseille défendait le bilan de sa politique de lutte contre l'habitat indigne lors d'une conférence de presse. Tout bien pesé, elle se limite à environ 3 millions d'euros par an et les rapports de la Ville en reconnaissent eux-mêmes les lacunes.

Le 63 de la rue d
Le 63 de la rue d'Aubagne, effondré le 5 novembre 2018. Image de 2016, BG.

Le 63 de la rue d'Aubagne, effondré le 5 novembre 2018. Image de 2016, BG.

203 millions d’euros en près de 15 ans. C’est le bilan “des moyens colossaux” engagés pour la “rénovation de l’habitat” qu’a présenté le maire de Marseille ce jeudi lors d’une conférence de presse. Après l’effondrement de trois immeubles lundi à Noailles, dans les décombres desquels sept victimes ont été découvertes à ce jour, l’heure n’est pour lui “pas aux polémiques” mais au “recueillement”. Pourtant le contexte le pressait de justifier son action.

Un exercice certes peu évident, tant cette politique est complexe. Se déployant sur plusieurs volets (subventions, expropriations, sécurité des habitants, répression des marchands de sommeil), elle fait intervenir plus d’une dizaine d’acteurs publics. Alors, que fait la mairie ? De ce point de vue, le nombre de millions dépensés a le mérite d’offrir une réponse claire… mais fragile.

L’accession à la propriété dans le lot

Plus de la moitié de la somme avancée correspond en effet à la participation de la Ville aux projets de rénovation urbaine. Autrement dit, à Kalliste (15e), à la Savine (15e) ou encore à Malpassé (13e), des cités de logement social ou des grandes copropriétés. Dans les 14 projets de rénovation urbaine, seuls ceux de Saint-Mauront et du Centre Nord s’attaquent plus frontalement à la résorption de l’habitat insalubre dans des quartiers centraux.

S’ajoutent au chiffrage 28 millions d’euros de soutien à la construction de logements sociaux et 15 millions d’euros pour le chèque premier logement, un dispositif d’aide à l’accession à la propriété. Certes, tout cela s’inscrit dans la cohérence globale d’une politique du logement, mais noie la part réellement consacrée à l’éradication de l’habitat indigne, beaucoup moins colossale : 35 millions d’euros voire 50 millions si l’on intègre l’opération grand centre-ville. Soit, entre 2,5 et 3,5 millions par an. À mettre en rapport avec le budget annuel de la Ville de Marseille : 1,6 milliard en 2018.

Est-ce suffisant, au regard des enjeux d’“un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants”, comme on le lit dans le rapport de Christian Nicol, commandé par le ministère du Logement ? La réponse de ce haut fonctionnaire est connue (lire son entretien à Marsactu) : “Les dispositifs mis en place depuis plusieurs années ont eu un effet marginal sur le traitement de l’habitat indigne.” Lors de la conférence de presse de jeudi, l’adjointe au logement Arlette Fructus a bien précisé que ce rapport “a été au vitriol pour tout le monde, pour l’État également”.

Objectifs à moitié remplis

Mais ce bilan sévère se lit aussi, un peu adouci, sous la plume de la Ville de Marseille. Dans une délibération votée en 2017, elle évoque son propre dispositif d’éradication de l’habitat indigne, mené depuis 2007 : “En dehors des opérations d’ensemble [sur des groupes d’immeubles, telles que celle de Saint-Mauront (3e)], le caractère diffus de cette intervention n’a pas eu un impact suffisant en matière de renouvellement urbain et n’a pas pleinement participé à une requalification globale des centres anciens.”

C’est dans ce document qu’un autre chiffrage défendu par la Ville, reposant sur le nombre d’immeubles traités, s’effrite lui aussi. En 2005, elle affirme vouloir lancer “une phase plus significative et opérationnelle” en s’attaquant de front à 450 immeubles déjà signalés, en cinq ans”. Treize ans plus tard, le dossier de presse met en avant le chiffre de 362 immeubles diagnostiqués. Le nombre d’immeubles ayant fait l’objet de travaux est bien moindre : 208, soit moins de la moitié de l’objectif initial. Pour les autres, si certains “se sont avérés après diagnostic ni insalubre, ni dangereux”, une centaine environ nécessitent toujours une intervention, lit-on dans le bilan détaillé de l’opération.

Autre lacune, de taille : l’intervention directe de Marseille Habitat et Urbanis, les deux opérateurs chargés de résoudre les cas les plus compliqués, notamment lorsque les copropriétaires étaient incapables de faire face aux travaux. Elle s’est limitée à 110 immeubles. Dans certains d’entre eux, les travaux n’ont toujours pas démarré, comme les n°61 et 63 de la rue d’Aubagne, inclus dans la liste (lire notre article).

“Très difficile d’obtenir des réhabilitations complètes”

Le reste de la somme correspond au volet incitatif, qui repose sur des travaux réalisés par les propriétaires, aidés de subventions. Celui-ci n’a touché que 50 immeubles. “Globalement, les propriétaires n’ont eu que peu recours à des subventions qui les engageaient sur des travaux lourds et des loyers de sortie encadrés”, regrette le bilan détaillé. Cela signifie que pour une cinquantaine d’immeubles où la Ville affirme que des travaux ont été faits, leur ampleur réelle est sujette à caution.

C’est ce qu’admet, entre les lignes, la délibération de 2017 déjà évoquée plus haut :

Il a été très difficile d’obtenir des réhabilitations complètes lorsque les immeubles ont conservé leur statut privé, et ce malgré la mise en place d’un régime de subventions très avantageux. Le recours à des procédures cœrcitives de salubrité et de sécurité a permis de rétablir une certaine norme, de protéger les occupants, mais n’est que rarement parvenu à atteindre le niveau de réhabilitation visé. Une réhabilitation complète devient un objectif réaliste lorsque l’immeuble est partiellement ou entièrement maîtrisé par la puissance publique.

On le devine, cet aveu d’échec s’accompagne d’un changement de stratégie : avoir un impact plus fort en agissant à l’échelle d’îlots, voire de quartiers, avec des travaux imposés et un programme conjoint d’espaces publics et d’équipements.

C’est la logique enclenchée via l’opérateur public qu’est la Soleam, à travers cinq pôles de l’opération Grand centre-ville (Opéra, Mazagran, Coutellerie, Fonderie Vieille Korsec/Velten) : sur les 335 immeubles des périmètres dessinés, on compte “139 immeubles identifiés comme dégradés ou très dégradés comprenant 1000 logements concernés”. Un objectif de 83 immeubles traités, par arrêté de prescription aux propriétaires ou par expropriation, est avancé. Le quartier de Noailles devait passer après, selon un calendrier qui a tendance à s’allonger. L’effondrement de lundi motivera-t-il une accélération ? Jean-Claude Gaudin n’a rien dit en ce sens ce jeudi.

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Commentaires

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  1. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    La responsabilité fautive de la Ville de Marseille (en fait ce sont les contribuables marseillais qui trinqueront) est susceptible d’être engagée, si le caractère dangereux des immeubles était connu du maire, et s’il s’est abstenu de prendre rapidement les mesures utiles pour éviter l’effondrement Il s’agit entre autres d’engager la procédure aux fins de pouvoir procéder aux frais des pro-priétaires défaillants aux travaux nécessaires à la cessation du péril
    Cf. Conseil d’État,, 27/09/2006, 284022 (Extrait. Source Légifrance).
    « Considérant qu’il résulte de l’instruction que le maire de Baalon avait pris le 1er juillet 1996, en application des disposi-tions des articles L. 511-1 et suivants du code de la construc-tion et de l’habitation, un arrêté afin d’enjoindre aux proprié-taires de la parcelle AB 308 de réaliser dans un délai de 62 jours les mesures nécessaires « pour mettre fin aux périls et dangers présentés par ces bâtiments » ; que, selon le rapport du 13 septembre 1996 de l’expert désigné à la demande de la commune par le tribunal d’instance de Verdun, « l’immeuble cadastré AB 308 à l’état de ruine présente un péril grave et imminent pour le domaine public et les voisins et doit être démoli dans les meilleurs délais » ; que le caractère dange-reux de l’immeuble était ainsi connu du maire ; que, par suite, en s’abstenant pendant plus de quatre ans de prendre, à la suite du rapport de l’expert, les mesures utiles pour éviter l’ef-fondrement dudit immeuble et notamment en ne réitérant pas ses mises en demeure, voire en n’engageant pas la procédure aux fins de pouvoir procéder aux frais des propriétaires défail-lants aux travaux nécessaires à la cessation du péril, le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à raison des dommages causés à la propriété de M. A ; »

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  2. martine Colombani martine Colombani

    elles ont bon dos les procédures et leur lenteur – tout à fait d’accord avec “promeneur indigné” et sous l’aspect de la morale: combien pour les aurtiers sud, combien pour le confort des élus, leurs indemnités, leurs véhicules, le voyage au Vatican (peut-être pour demander des “indulgences”? ) – j’espère que cette fois les citoyens électeurs de marseille ne se laisseront pas hypnotiser par les discours politiques, qu’ils réfléchiront non pas seulement à ce qui leur est dit, mais aussi aux versions précédentes; d’autant plus que JC Gaudin a tombé le masque: plus de bonhomie dans son attitude, mais de la hargne doublée d’un air franc comme un âne qui recule

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    C’est toujours éclairant de démystifier les gros chiffres décoratifs que Gaudin a pris l’habitude de faire figurer dans sa communication. Dans le cas des écoles comme dans celui de l’habitat indigne, diviser par 23 – nombre d’années de règne du “capitaine” (à temps partiel jusqu’à il y a peu) du Titanic local – les montants annoncés et rapporter ceux-ci au nombre d’immeubles concernés permet déjà de dissiper une grande partie de l’écran de fumée.

    Et si, en plus, les sommes “colossales” affichées contiennent des choux et des carottes, on constate que le maire ne nous prend pas du tout pour des c.ns.

    Je me suis intéressé hier aux multiples thèmes de la campagne municipale du camp Gaudin en 2014 (vous savez, “Marseille en avant !”…) : sauf si quelque chose m’a échappé, je n’y ai pas vu un mot sur l’habitat indigne. Il est vrai que les pauvres votent peu (à tort).

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  4. Tarama Tarama

    3 millions d’euros, ça doit être le coût d’un immeuble de cinq étages…

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  5. Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

    Décryptage très utile et éclairant. 3 ou 4 millions par an, quand on sait que la Ville perd au moins 10 millions par an pendant 30 ans du seul fait de la rénovation du stade vélodrome laquelle ne présentait pas un réel caractère d’urgence puisque le stade avait été refait en 1998

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  6. Julien Julien

    Scène de la vie marseillaise :
    Jean-Claude GONTARD (DGS) : “Allo Claude, c’est grave 2 immeubles se sont écroulés rue d’Aubagne, il faut que tu préviennes le Maire d’urgence”
    Claude BERTRAND (Dir Cab) : “C’est à Marseille, la rue d’Aubagne, tu es sûr ?”
    DGS : Ouais, Noailles, dans le 1er, Sabine (BERNASCONI) a dû vous en parler une ou deux fois.”
    Dir Cab : “Ah, toujours dans ce quartier, c’est pas vrai ! Tu n’as qu’à dire qu’on a déjà donné et qu’on fera plus demain, ça ne mange pas de pain. Et puis envoie Fructus, elle a l’habitude de se tortiller devant les médias pour arranger la sauce !”
    DGS : “Il faut prévenirle Maire, je te dis, il y a des disparus !”
    Dir Cab : “OK mais on est en réunion hyper importante à St Zacharie, il faut mettre au point le calendrier des Voeux et des Rois pour janvier, quel casse-tête !… Monsieur le Maire ? Monsieur le Maire ?”
    Gaudin : Ronrrr ! Ronrrr !
    Dir Cab : “Monsieur le Maire, des immeubles sont tombés rue d’Aubagne, il faut réagir.”
    Gaudin :” … Hein ! Ah oui. Marseille est entourée par un corset montagneux qui entrave son développement…”
    A suivre…

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