Dépollution à la Madrague de Montredon : mode d’emploi d’un chantier complexe

Actualité
le 12 Mai 2022
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Ce mardi, le nouveau propriétaire de la friche industrielle Legré-Mante a présenté son projet aux riverains. L'important chantier de dépollution préalable inquiète.

Le promoteur va devoir dépolluer tout le site industriel avant de lancer son projet immobilier. (Photo : VA)
Le promoteur va devoir dépolluer tout le site industriel avant de lancer son projet immobilier. (Photo : VA)

Le promoteur va devoir dépolluer tout le site industriel avant de lancer son projet immobilier. (Photo : VA)

Des milliers de mètres cubes de terre polluée. Des millions d’euros. Des mois de chantier. Ce mardi 10 mai, Ginkgo a présenté devant une centaine de riverains son projet pour la friche Legré Mante, à la Madrague de Montredon (8e). L’opérateur, un fonds d’investissement spécialisé dans la dépollution de sites industriels, espère démarrer les travaux dès la fin de l’année 2023. L’objectif est de construire un programme immobilier comprenant logements, parkings résidences pour seniors, de tourisme, commerces et équipement public.

Mais avant, il va falloir dépolluer l’ensemble, comme Ginkgo s’y est engagé en 2017 lorsqu’il a racheté le terrain d’une superficie de 8,5 hectares. Pour ce faire, le promoteur a prévu plusieurs méthodes. Après avoir assisté aux réunions d’information et épluché les documents élaborés dans le cadre du projet, Marsactu fait le point sur ce qui attend les riverains de la Madrague de Montredon. Et tous les Marseillais qui aiment se promener dans cette porte des Calanques aussi idyllique que polluée.

1000 m³ de terre évacués

Les 8,5 hectares de terrains rachetés par Ginkgo comprennent en fait plusieurs sites aux caractéristiques différentes. La plus grande parcelle (cinq hectares), au sud-est, est dite “naturelle”. Elle a fait l’objet d’une activité industrielle, mais ancienne et comporte toujours des aménagements de cette activité, notamment une cheminée rampante. La seconde parcelle, de presque trois hectares, a elle accueilli une activité industrielle jusqu’en 2009, et comporte plusieurs bâtiments. Enfin, la troisième et dernière parcelle, en bord de mer, est bien connue des riverains : le crassier est constitué de 40 000 mètres cubes de déchets industriels accumulés ici durant les années d’exploitation industrielle.

Délimitation des trois parcelles correspondant aux activités industrielles successives et au crassier.

Il y a 1000 mètres cubes de pollution concentrée, sinon, il ne s’agit que de pollution diffuse.

Pascal Roudier, Ginkgo

Ces trois parcelles sont polluées, chacune de manière différente. “Nous avons fait des milliers de prélèvements dans les sols, l’air, la faune, la flore, veut rassurer Pascal Roudier, directeur général de Ginkgo. Il y a 1000 m³ de pollution concentrée, sinon, il ne s’agit que de pollution diffuse.” En d’autres termes, 1000 m³ de terre sont nettement plus pollués que le reste du terrain, où la pollution est disparate sans forte concentration. “Ces 1000 m³ seront évacués dans des centres de traitement”, annonce Pascal Roudier. Ces zones de pollution “concentrée” se trouvent sur la parcelle naturelle et sur celle qui comprend les bâtiments industriels.

À titre d’exemple, dans ces zones, le plomb, métal lourd pouvant être extrêmement nocif pour la santé, atteint des taux de concentration de 45 000 milligrammes par kilo de terre, alors que le seuil d’alerte est de 100 mg. Des chiffres qui surprennent Annabelle Austry, chargée de mission en milieu terrestre et écotoxicité de l’institut éco-citoyen, qui suit le dossier avec les associations. “Je suis étonnée du faible volume retiré alors que l’on sait que de grosses surfaces sont polluées et que la contamination est profonde”, réagit-elle.

Dalles et plantes dépolluantes

Le crassier, où la pollution est forte, sera recouvert d’une dalle à son sommet pour en faire un parking, Et un “belvédère”.

Pour le reste de la zone, où la pollution est considérée comme “diffuse” l’option choisie consistera en des “mesures de gestion sur site, permettant de limiter le trafic et les nuisances induites”, lit-on dans le plan de gestion du projet. Il s’agit en d’autres termes de recouvrir cette pollution par 50 centimètres de terre saine ou par des constructions. “C’est étonnant qu’il n’y ait aucun traitement chimique”, analyse encore Annabelle Austry. Les déblais créés par les travaux seront eux directement réemployés sur place. Soit des dizaines de milliers de mètres cube.

Quant au crassier, où la pollution est aussi très forte, il sera recouvert d’une dalle à son sommet pour en faire un parking, puis d’un “belvédère et de restanques végétalisées jusqu’à la mer”. À son pied, un système d’enrochement viendra terminer l’ouvrage. Mais pas question de recouvrir la totalité de la zone. Pour la parcelle dite “naturelle”, les bureaux d’étude qui ont planché pour Ginkgo ont mis en avant la “phytostabilisation”. Comprendre, la captation de la pollution par les plantes.

Enfin, reste la question de la cheminée rampante, dont l’intérieur doit être “décrouté”, afin que la pollution soit récupérée puis agglomérée grâce à un “liant”, avant qu’elle ne soit définitivement condamnée. “Ces solutions peuvent avoir des impacts sur le long terme”, note la spécialiste en écotoxicité.

“La pollution va rester derrière la grille de l’usine ?”

Mais qu’en est-il de la protection des habitants pendant les travaux ? La totalité du chantier de dépollution ne devrait prendre que 8 à 10 mois, jure Pascal Roudier. Arrêt des travaux par temps de grand vent, arrosage des poussières, opérations de criblage de la terre polluée sous tente de confinement, nettoyage systématique des roues des engins et balayage régulier… Ginkgo l’assure, toutes les mesures nécessaires seront mises en place durant les travaux pour protéger les habitants.

“J’ai du mal à croire qu’un promoteur va arrêter un chantier à chaque coup de vent”, lançait ce mardi soir un riverain inquiet. Pour le président de l’association Santé littoral Sud, Roland Dadena, qui suit le dossier depuis de nombreuses années, la confiance est en effet loin d’être acquise : “C’est difficile pour nous d’entendre que le risque sanitaire est acceptable alors que ce qui se dessine, c’est que l’état des sols est incompatible avec la santé.” Il y a une semaine, une autre réunion en présence des services de l’État a révélé une cartographie de la pollution des sols du quartier alarmante, bien au-delà des parcelles acquises par Ginkgo. “La pollution va rester derrière la grille de l’usine ? On est en droit d’en douter, surtout après la boulette des démolitions impasse de la marbrerie.”

Il y a quelques mois, Ginkgo a en effet procédé à la démolition de deux bâtisses sous arrêté de péril présentes sur le site… par temps de fort mistral. Une opération qui a suscité l’émoi dans le quartier du fait des poussières générées. Ces démolitions ont finalement fait l’objet d’un procès-verbal et d’une transmission au procureur, “car elles représentent des infractions”, assure l’adjointe à l’urbanisme Mathilde Chaboche ce mardi face à l’opérateur. Lancée dans un délicat jeu d’équilibriste, la mairie de Marseille refuse d’être dans une posture d’accompagnement de la démarche du promoteur. Ce mardi, ses représentants étaient assis à une table séparée de celle des représentants de Ginkgo.

L’adjointe à l’urbanisme Mathilde Chaboche (à gauche) lors de la réunion de présentation du projet.

Bureau d’études et mesure de l’air

“Ces démolitions ont, entre autres, entamé le capital confiance, estime à son tour Christine Juste, adjointe au maire déléguée à l’environnement, aussi présente lors de la présentation. Au départ tout le monde était content [de l’arrivée de Ginkgo]. Mais on ne peut faire confiance à personne. Quand j’ai vu que le dossier urbanisme prenait le pas sur la dépollution, j’ai haussé le ton”. Les leviers d’actions pour la municipalité – qui n’a pas encore signé le permis de construire mais devrait le faire en fin d’année – restent mineurs. Mais l’envie d’avancer est là.“Il faut que disparaisse cette friche qui fait tache dans le paysage”, rappelle à son tour Pierre Bennaroche, le maire de secteur.

Si la mairie, tout comme les associations, attendent la tierce expertise de l’État sur le plan de gestion de la dépollution, rares sont ceux qui sont à même de déchiffrer ce genre de document technique. Mardi soir, la municipalité s’est ainsi engagée à solliciter un bureau d’études spécialisé pour expertiser le dossier. Atmosud, association de surveillance de la qualité de l’air, agréée par le ministère de l’Environnement, s’est également engagé à mesurer la qualité de l’air durant les phases de chantier. Des moyens de contrôle plus que bienvenus pour ce chantier périlleux.

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Commentaires

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  1. Amaury Amaury

    Inquiétude évidente sur la dépollution mais également sur la pression que cela va exercer pendant la dépollution, la construction et la densification du quartier sur un axe unique sans aucune solution de transport ou d’aménagement (50 camions par jour entre la Pointe-Rouge et Montredon ?).
    Le projet immobilier est par ailleurs livré “ouvert” sur la mer et les calanques, mais cela va rester une copropriété et on peut parier sur le fait que la résidence soit fermée comme cela finit souvent à Marseille (quand l’esplanade du crassier sera squattée jour et nuit et jonchée de tags et de cannettes de bières à la fin du premier été).
    Une fois de plus aussi, le “comité de surveillance” est à la charge des riverains alentours. Il faut que les autorités soient présentes régulièrement afin d’éviter que les dépollueurs et promoteurs se croient tout permis et recommencent à faire comme ils veulent – comme ça a été le cas pour cette maison écroulée.
    Le projet met de la poudre aux yeux, mais la situation avec la pollution aux métaux lourds, l’enclavement sur une voie unique et la saturation du quartier peuvent en faire un enfer pour la pointe sud.

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