Le département encouragé à mettre les moyens pour lutter contre la corruption
La commission présidée par l'ancien juge Jacques Léger a rendu ses travaux et ses préconisations au département ce vendredi. Elle intervenait à la demande de la présidente Martine Vassal après la nouvelle affaire de corruption qui touche l'institution depuis le mois de mai.
Jacques Léger présente son rapport au côté de Martine Vassal.
Martine Vassal a annoncé vendredi en séance plénière les conclusions de la commission anti-corruption qu’elle a mise en place au lendemain du déclenchement d’une nouvelle affaire de corruption. Celle-ci vaut aujourd’hui à Renaud Chervet, un ancien responsable des marchés publics du conseil départemental ainsi qu’à plusieurs chefs d’entreprise, des mises en examen et en détention provisoire. “Nous avons eu un choc qui a touché l’ensemble des élus et tous les fonctionnaires du département des Bouches-du-Rhône”, a expliqué la présidente du département.
À leurs yeux, la constitution d’une “commission indépendante” avait donc le mérite de mettre au clair le fonctionnement des marchés incriminés mais aussi de prouver la volonté de “transparence” du département. “C’est un processus, je crois, unique”, s’est réjoui Yves Moraine, l’élu Les Républicains responsable des marchés publics. “Pour la nouvelle majorité, ça ne faisait pas bon effet. Une partie de la population a pu se dire que malgré le changement, la même gestion se poursuivait. C’est pour ça qu’ils ont choisi la politique de la tabula rasa“, comprend un des membres de la commission, l’ancien directeur départemental de la sécurité publique, Pierre-Marie Bourniquel joint par Marsactu.
La mission avait à sa tête l’ancien président de la cour administrative Jacques Léger avec lequel travaillait aussi l’ex membre de la répression des fraudes Gilbert Blanc et le haut fonctionnaire des finances à la retraite Michel Giusti. Ils ont enquêté depuis le mois de juin. Les quatre hommes ont en commun d’être “retraités de la fonction publique d’État, d’avoir exercé en dernier lieu dans les Bouches-du-Rhône et d’y être restés. Ce qui démontre d’une part une fidélité au département, d’autre part une qualité de contribuables, qui ont aussi un intérêt par rapport à la question”, a noté non sans une pointe d’humour Jacques Léger.
“Ne pas se substituer au juge”
Ils ont d’abord conseillé une série de mesures d’urgence dès le mois de juin. C’est ainsi qu’une série de marchés a été déclarée sans suite, à l’image de celui pour le débroussaillage étudié de près par Marsactu et le Ravi. Ils ont auditionné “seize agents du département dont les agents de la direction de monsieur Chervet” et ont reçu trois contributions volontaires d’autres fonctionnaires du département. En revanche, ils n’ont pas procédé à des études de cas particuliers. “Si un fonctionnaire était venu nous voir pour dénoncer des choses précises, nous lui aurions donné l’adresse du procureur de la République pour qu’il lui écrive”, explique Pierre-Marie Bourniquel, soucieux d’expliquer “qu’il ne s’agissait pas de se substituer au juge d’instruction”. Le rapport a été remis ce jeudi à l’exécutif et donc présenté aux élus départementaux ce vendredi.
Principale conclusion : l’affaire actuellement à l’instruction est pour Jacques Léger “une défaillance individuelle d’un seul fonctionnaire, d’un homme qui a cédé à des offres de corruption ou qui les a suscitées”. La réponse colle parfaitement à la position adoptée par le département dans ce dossier mais surprend jusque dans les rangs de la commission tant le président semble faire peu de cas de la présomption d’innocence. “Je pense que Jacques Léger a exprimé là son impression personnelle, explique ainsi l’ex policier Pierre-Marie Bourniquel. Pour ma part, je ne suis persuadé de rien. On verra lorsque le juge d’instruction aura terminé son travail, que le procureur aura rendu ses réquisitions et qu’un tribunal aura jugé cette affaire.”
À nouveau très en phase avec la position de l’institution, Jacques Léger a ajouté : “Le paradoxe est que les plus grandes précautions avaient été prises dans le département. Monsieur Chervet, en sa qualité de directeur était le seul fonctionnaire en possession du document secret […] servant à la comparaison des différentes offres”. Après ce bon point attribué à l’institution, le président ne dira en revanche rien de la sérieuse alerte reçue par la collectivité en 2011 : un audit interne concluait déjà à un “délit de favoritisme dans la passation et l’exécution dans les marchés à bons de commandes”, ceux-là même aujourd’hui étudiés. Tout juste explique-t-il que la défaillance dure “peut-être depuis depuis longtemps”.
Transparence limitée
Peut-être développe-t-il davantage ce point dans ses écrits mais “la transparence” trouve là ses limites. L’exposé face aux élus a été très bref et ceux-ci, à l’exception notable de Lionel Royer-Perreaut (LR), ne se sont pas signalés par leur volonté d’en savoir plus, oppositions de gauche et d’extrême-droite comprises. Absent à ce moment de la matinée, l’ex président Jean-Noël Guérini n’a pas non plus fait entendre sa voix. Jacques Léger, tout indépendant qu’il soit, s’est vu interdire de donner des interviews à la presse. Le rapport n’a pour l’heure été transmis ni aux élus ni à la presse : “Laissez-nous le temps de le lire”, explique l’entourage de la présidente
Il faut donc se contenter des explications fournies par Jacques Léger en séance. Les deux recommandations de sa commission imposent de se plonger dans la technique de ces marchés publics à bons de commande. Ces derniers doivent permettre de répondre aux besoins urgents de travaux – dans les collèges par exemple – ou d’entretien de la collectivité. Les entreprises, sélectionnées après une mise en concurrence, interviennent au coup par par coup et émettent des factures à chaque intervention dans les limites d’un montant fixé au préalable. Dans la seule direction de la construction de Renaud Chervet, cela représentait 100 millions d’euros par an.
Nouvelle procédure et contrôle accru
Pour faire le choix du prestataire, le critère du prix est essentielle et a été renforcé à l’initiative de l’actuelle majorité. Chaque entreprise est donc invitée dans sa spécialité à proposer un prix pour chaque intervention. Un électricien indique ainsi un tarif pour le remplacement d’interrupteurs ou le raccordement d’une pièce supplémentaire : à l’arrivée, ce sont parfois plus d’un millier de références qui sont renseignées. Jusqu’à présent, seul un petit échantillon, tenu secret, servait à la comparaison. Connaître par la bande sa composition assurait au candidat un avantage : il pouvait proposer des prix démesurément bas et ainsi s’assurer d’être choisi. C’est le principal mécanisme de fraude présumée dans l’affaire actuelle. La commission Léger propose d’abolir cette logique d’échantillon pour prendre en compte la totalité des prix proposés. Ainsi, plus de risques de tarifs volontairement bas qui faussent la sélection.
La deuxième mesure relève d’un meilleur contrôle des travaux effectués. “Nous préconisons la mise en place d’une mission d’audit interne”, explique Jacques Léger. “Il n’est pas rare que les travaux réalisés ne correspondent pas à ceux qui ont été demandés”, explique ainsi Lionel Royer-Perreaut, président d’un autre gros consommateur de marchés publics, le bailleur social Treize habitat. La tentation peut être grande pour une entreprise de remplacer un matériau noble par un autre moins coûteux. Jacques Léger plaide donc pour créer “une crainte révérencieuse” dans les entreprises par des contrôles inopinés.
Si le caractère vertueux des mesures semble évident, celles-ci demanderont des moyens conséquents, que ce soit en termes d’évaluation des offres comme de contrôle des travaux. Un écueil récurrent dans la lutte contre la fraude et la corruption, constate Pierre-Marie Bourniquel : “Les marchés publics sont une matière complexe et nécessitent des moyens. Force est de constater qu’à tous les niveaux, il y en a peu. Dans le domaine judiciaire, l’instruction a énormément de dossiers, le parquet ne comprend pas forcément tout et au bout du bout, quand une commission rogatoire arrive aux policiers, ils ne la traitent pas toujours immédiatement et n’ont pas forcément les compétences pour la traiter correctement.”
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“‘Il n’est pas rare que les travaux réalisés ne correspondent pas à ceux qui ont été demandés’, explique ainsi Lionel Royer-Perreaut”
Une nouvelle affaire des “fausses factures-1982” en perspective ? Et qui expliquerait en partie, le délabrement des écoles et des équipements publics à Marseille ?
Et si on comparait les prix prévus par les marchés publics et les prestations réalisées ?
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