“Qu’ils détruisent tout !” à la Castellane, quelques souvenirs et peu d’espoir

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le 12 Mai 2016
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Mercredi a commencé la démolition du bâtiment G de la cité de la Castellane. Etape symbolique qui marque le début d'une rénovation délicate mais nécessaire. L'événement a délié les langues d'habitants guère enclins à l'optimisme.

“Qu’ils détruisent tout !” à la Castellane, quelques souvenirs et peu d’espoir
“Qu’ils détruisent tout !” à la Castellane, quelques souvenirs et peu d’espoir

“Qu’ils détruisent tout !” à la Castellane, quelques souvenirs et peu d’espoir

Le bulldozer vient de commencer son œuvre de grignotage sous les yeux d’officiels et de quelques dizaines de badauds silencieux. Certains filment, la plupart se contentent de fixer la pelleteuse et la pluie de gravats qu’elle produit. Les visages sont fermés, comme hébétés. Songent-ils plus à l’avenir ou au passé ? “Qu’ils détruisent tout !”, enrage celui qui souhaite être appelé Martin, habitant de la Castellane depuis 40 ans. Désabusé, il ne voit là que des “découpes politiques”,  “ils font ce qu’ils veulent”, lâche-t-il. Mohamed, son voisin, tempère : “ça peut faire du bien ! C’est un coup de pub, mais ici, on est vraiment à l’abandon…”. Un autre craint de voir la cité remplacée par des pavillons. L’avenir demeure obscur pour tous. Une seule certitude, jusqu’en 2020, au minimum, il sera fait de bulldozers.

Ce mercredi, la secrétaire d’État à la Ville, Hélène Geoffroy, a fait le déplacement pour assister à l’événement. La démolition du bâtiment G, une barre horizontale où vivaient jusqu’à il y a peu une douzaine de familles. Un premier coup de pelleteuse symbolique du projet de rénovation censé mettre fin à une forteresse de béton rongé par les trafics de drogue.

“Enfant, ce n’était pas pareil”

Durant la visite de la cité par le cortège d’officiels, des habitants suivent, commentent, écoutent. La discrète Béatrice se tient à une distance mesurée de l’agitation : “Je n’aime pas qu’on me prenne en photo, alors, être filmée…”. Mais parler de sa cité, elle accepte volontiers. Elle est arrivée à 4 ans, en 1969, parmi les premiers locataires de cette ville dans la ville qui en comptera bientôt plus de cinq mille. “Enfant, ce n’était pas pareil, il y avait de la lavande, des gardiens, on prenait une amende si on jouait au ballon ou si on marchait sur les pelouses”, se souvient-elle en fouillant dans ses souvenirs. Les meilleurs ? “Quand on allait goûter dans les collines au-dessus avec les copains. Aujourd’hui, mes enfants ne vont pas dehors. Pour les enfants, il n’y a rien, ils ne font rien, ils restent assis sur des murs”, soupire-t-elle.

Elle n’est pas vraiment convaincue par la voie que prend la rénovation. “Les problèmes, ils sont de l’autre côté”, dit-elle en montrant d’un geste la partie Est de la cité et la tour K, connue pour son important réseau de trafic de stupéfiants. Elle devrait être démolie fin 2017. Alors des travaux pourquoi pas reconnaît Béatrice, “si ça remet en question la cité. On pourra regarder, on pourra participer”. 

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Les officiels se déplacent sur la place de la Tartane. En marge, des habitants discutent.

“La face obscure, elle est minime”

Plus la visite avance, plus les riverains s’attardent pour débattre entre eux. Les discussions portent sur le manque de médecins, le délabrement des écoles, l’emploi. Fatia, Soraya et Ouria discutent en voisines. Plutôt par pudeur que par crainte, les noms de famille préfèrent être mis de côté. La seconde tient la petite alimentation aux rayons dégarnis, dernière échoppe ouverte -avec la pharmacie- sur la place centrale de la Tartane. En raison des travaux à venir, elle ne parvient pas à obtenir l’autorisation d’agrandir son local. L’isolement, le manque de moyens, l’absence de perspective sont acceptés par chacune comme une réalité indiscutable. Aujourd’hui, on détruit, mais les travaux de construction sont encore trop loin pour se faire un avis sur ce qui pourra changer. “Tout ça, c’est que de la tchatche”, lâche Ouria, une blonde décolorée à la voix forte, qui vient de questionner un élu.

La criminalité et la forte présence policière sont des questions qu’on aborde sans tabou, mais rapidement. “Bien sûr, il y a les petits jeunes qui font leurs marchés. Si on les laisse tranquille ça va et puis, il faudrait surtout leur trouver du travail…” Fatia accuse quant à elle les médias et la police d’avoir contribué à ternir l’image de la cité. “La face obscure, elle est minime ! Sur des milliers d’habitants ! Et arrêtez de nous parler de Zizou, il a fait sa vie !”, s’agace-t-elle. La star du foot aurait vécu dans le bâtiment G, à moins que ce ne soit dans un autre, les avis diffèrent.

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Soraya, installée à la Castellane depuis un an et demi, employée sur un chantier d’insertion.

Soraya, elle, n’a pas d’avis sur la question, elle n’est arrivée ici qu’il y a un an et demi. Elle qui avait toujours vécu dans le centre-ville a accepté, après 7 ans d’attente, “sur un coup de tête”, un logement social à la Castellane pour elle et ses enfants. Elle avait déjà refusé deux propositions, c’était sa dernière chance. “Mes copines me disaient que j’étais folle, alors que moi je ne connaissais que le centre commercial Grand Littoral à côté”, raconte-t-elle d’un air amusé, “mais ce n’est qu’une réputation !” Si elle déplore la rareté des transports, les horaires microscopiques de la poste et le manque de magasins, elle a pris goût à l’ambiance. Embauchée sur un chantier d’insertion depuis janvier, elle passe 20 heures par semaine à repeindre des balustrades ou à aménager des espaces verts. Avec son voile motif panthère et son bleu de travail couvert d’enduit, on ne peut pas la rater. “L’uniforme ça marque les gens. On me salue, on me klaxonne, moi je suis très sociale, ça me change”.

La République est là

À leur arrivée, les officiels se sont succédé à la tribune. Dans cette morne matinée, les représentants de l’État ont vanté ce projet qui s’annonce, quoique les contours n’en soient pas encore complètement arrêtés. Les querelles politiciennes ont tout de même affleuré. Henri Jibrayel s’est réjoui d’éviter avec cette rénovation l’entérinement d’un ghetto dans Marseille. Représentante de l’absente sénatrice-maire de secteur Samia Ghali, Nadia Boulainseur a rappelé les retards et les incertitudes. Arlette Fructus, adjointe à l’urbanisme a promis que le projet avançait. Les deux s’affrontent depuis des mois avec en perspective, les élections législatives à venir. Pomme de discorde, la destruction de la tour a été ajournée le temps de trouver un accord concernant le déplacement du centre social.

La secrétaire d’Etat Hélène Geoffroy tente la synthèse par des propos rassurants et combatifs étayés par son expérience de maire de Vaulx-en-Velin (69) : “Il ne faut jamais se résigner, la République est là“. Avec le seul silence des habitants pour applaudissements.

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Commentaires

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  1. LePalmipede LePalmipede

    La Castellane exemple type de vacuité des politiques de la Ville depuis plus de trois décennies…et quand on se réveille et qu’on met des moyens, c’est pour envoyer des bulldozers…comme si le béton était responsable de tous les maux! Saint Caterpilar priez pour nous….A croire que les réponses apportées aux crises sociales et sociétales par ceux qui organisent le “vivre ensemble” relèvent seulement d’une rénovation urbaine. Pourtant la réponse est ailleurs en remettant de la prévention, des espaces de vie à partager, des boutiques et des travailleurs sociaux en nombre au plus près des besoins. A ce rythme, force est de constater que passer le CACES pour conduire les engins de terrassement public sera une épreuve du diplôme d’Etat en travail social…Amis travailleurs sociaux, à vos casques donc!!

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