Délogés avant le 5 novembre, ils sont toujours à l’hôtel

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le 28 Fév 2019
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Évacués en juin, octobre et tout début novembre, nous avons rencontré des délogés d'avant les effondrements de la rue d'Aubagne qui sont toujours à l’hôtel. Leurs situations exposent une nouvelle fois les manquements de la mairie à apporter des réponses adéquates sur le dossier de l'habitat indigne.

Baya Guerbi, en attente de relogement depuis des mois.
Baya Guerbi, en attente de relogement depuis des mois.

Baya Guerbi, en attente de relogement depuis des mois.

L’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, le 5 novembre, a fait un effet bien particulier à Stanislav Stamov. “Une semaine avant il aurait pu se passer la même chose avec ma famille. Ça m’a fait un gros stress”, témoigne-t-il. Cet homme bulgare de 47 ans venait d’être évacué de son appartement avec sa femme, son fils de 25 ans et sa fille de 12 ans. Le 29 octobre en début de soirée, le n°44, rue Saint-Pierre est évacué en urgence. “Il y avait les pompiers et la protection civile. Ils nous ont dit, « vous avez 5 minutes pour partir »”, se souvient Stanislav Stamov. Une poutre s’est rompue et “le toit s’est effondré le soir même entre 9h30 et 10h”, continue-t-il de raconter. Depuis ce soir du 29 octobre, la famille Stamov est à l’hôtel.

D’autres Marseillais connaissent le même sort depuis une date antérieure au 5 novembre, et le vent de panique des services municipaux qui a fait évacuer plus de 2000 personnes de leurs logements. C’est le cas d’Amina Baggour, 31 ans. Le 1er novembre, en revenant chez elle à Noailles, au 24, rue Rodolphe-Pollak, avec son fils de 6 ans, elle trouve la porte cadenassée. Plus tôt dans la journée, l’escalier de l’immeuble s’était effondré. Depuis, elle est hébergée dans un hôtel à Arenc avec son fils. Et elle n’a “pas pu récupérer une chaussette”.

Le 24 rue Rodolphe-Pollak, actuellement en travaux.

“Les services de la ville auraient dû réagir plus tôt”

Baya Gherbi, 68 ans, est dans une situation encore plus invraisemblable. Évacuée du 7, rue Tapis-vert à Belsunce, suite à un arrêté de péril imminent, elle loge depuis dans une chambre d’un hôtel de la rue d’Aix, depuis le 13 juin, soit huit mois loin de chez elle. En 18 ans qu’elle y vivait, elle n’a pas vu de “travaux réalisés sur [son] immeuble”. La situation de péril était connu depuis longtemps. “Le plafond du voisin s’était déjà effondré en 2008. Il y a de l’humidité et des cloques d’eau partout sur les murs, témoigne-t-elle. On averti une première fois la mairie en décembre 2015. Puis une seconde fois en septembre 2017, à la suite duquel il y a eu une mise en demeure de la part de la mairie pour la réfection des sols, complète son avocate qui souhaite rester anonyme. Mais rien n’a été fait. Le 16 mai 2018, il y a eu un diagnostic technique très alarmant de la Soliha [fédération d’associations missionnée pour l’amélioration de l’habitat, NDLR] qui a donné lieu à l’évacuation le 13 juin”. Selon la juriste, “les services de la Ville auraient dû réagir plus tôt. Il y a une carence. L’immeuble ne s’est pas dégradé en quelques semaines”.

L’immeuble de la rue du Tapis-Vert, actuellement en travaux.

La justice s’est mêlée du dossier de Baya Gherbi. Le 31 janvier, le tribunal d’instance l’a reconnue comme victime tout comme un autre locataire en prononçant des dommages et intérêts à hauteur de 3000 € pour “préjudice de jouissance” à l’encontre des bailleurs. Mais pour son avocate c’est une décision faible, le juge ayant débouté sa demande de contraindre la partie adverse à fournir un hébergement dans “un logement décent correspondant aux besoins”. Une autre audience sur le fond est en attente. L’agence qui gère l’appartement de Baya Gherbi, n’a pas répondu à nos multiples sollicitations. Elle a proposé plusieurs appartements. À chaque fois, Baya Gherbi les a jugés indécents, nous explique-t-elle en sortant son téléphone. Les photos qui défilent confirment ses dires : un local commercial transformé en studio, le plafond effondré d’un hall d’immeuble ou des immondices entassés à proximité du logement.

Vols et affaires en benne de chantier

Dans le même temps, d’importants travaux ont lieu au 7 rue Tapis-Vert. Ils ont commencé alors que les affaires de Baya Gherbi étaient toujours dans son appartement. Le 30 novembre, elle parvient à y entrer. Ses affaires sont sens dessus-dessous, comme si un cambrioleur avait tout retourné. La vieille dame affirme qu’on lui a volé des objets. Elle se rend au commissariat pour porter plainte mais l’agent de ne la prend pas au sérieux. Elle jure qu’à aucun moment avant le début des travaux, on ne lui a proposé de récupérer ses affaires.

Stanislav Stamov témoigne de la même chose. Le 3 février, il se rend à son ancien immeuble et photographie une benne de chantier dans laquelle il affirme que les affaires de sa famille ont été jetées. Le propriétaire dément : “monsieur Stamov a un garage à côté dans la rue où il a mis ses affaires. Dans la benne il y a des choses qui était au dernier étage et qui sont irrécupérables”, contredit-il. Sur place, un ouvrier nous donne une toute autre version. Selon lui, il “a été prévenu plusieurs fois. Deux autres locataires sont venus chercher leurs affaires. On a fini par mettre à la benne tout ce qu’il restait pour pouvoir faire les travaux”. Les travaux ont aussi débuté au 24 rue Pollak, et la vue des échafaudages dressés devant son appartement inquiète Amina.

De l’extérieur, le 44, rue Saint-Pierre paraît flambant neuf. La toiture a été refaite. La façade dispose d’un tout nouvel enduit. Cela a permis de justifier un arrêté de réintégration partielle signé le 21 janvier. En vertu de celui-ci, la famille Stamov devrait entrer son appartement. Ce qu’a refusé Stanislav Stamov affirmant que le lieu n’est pas habitable. Ils montrent sur des photos prises le 3 février à l’intérieur de l’immeuble, les cloisons abattues, ainsi que les plafonds, les sols et les murs pas encore refaits. À travers les fenêtres ouvertes de l’immeuble, fin février, les appartements ne paraissent en effet pas habitables en l’état.

“Il y en a au moins pour trois mois”, confirme l’ouvrier rencontré sur place. Face à ce constat, pourquoi la Ville de Marseille a-t-elle levé l’arrêté de péril et ordonné la réintégration ? “Le péril ne portait pas là-dessus, mais sur les éléments du toit. C’est récurrent quand le péril concerne les parties extérieures, les experts regardent ces endroits mais pas le reste, alors qu’il peut y avoir des désordres ailleurs. La Ville est un peu complaisante parce qu’il n’y a pas d’observations s’il y a davantage de défaillances”, analyse Aurélien Leroux, l’avocat de la famille Stamov [lire son portrait par Michel Samson et Michel Péraldi]. Conséquence de la levée de l’arrêté : le 22 février, la Ville a cessé sa prise en charge du logement en appart’hotel de la famille Stamov, qui devrait donc s’acquitter elle-même du règlement des nuitées.

Inquiétudes et attentes

La famille Stamov est en attente d’une attribution d’un logement social par 13 habitat. Amina a les clés d’un appartement provisoire à la Belle de Mai depuis début janvier mais des travaux qui n’y sont toujours pas effectués, la maintienne toujours à l’hôtel. Baya s’active auprès des associations et de l’accueil des délogés à la rue Beauvau pour que son dossier se débloque. Comme pour beaucoup d’autres délogés, leur situation d’attente dans les hôtels est source de problèmes de santé et de malaises sociaux. Amina n’arrive pas à reprendre un travail de caissière. Son RSA lui sert “tout juste à payer à manger et des habits” pour son fils. “Il me dit, « on n’a pas de maison, on n’a pas d’habits, je n’ai plus mes jouets, on n’a plus rien ». Ses copains se moquent de lui à l’école”, s’inquiète-t-elle.

Combien de Marseillais comme Stanislav, Amina et Baya, dorment-ils à l’hôtel depuis plus de quatre mois ? La Ville de Marseille ne nous a répondu précisément que sur la situation de la famille Stamov. Arlette Fructus, adjointe au logement, n’a pas répondu à nos sollicitations.

Joint par téléphone, l’adjoint à la prévention et gestion des risques urbains qui signe les arrêtés de péril, nous précise : “Avant le 5 novembre, on traitait les demandes au jour le jour. Il n’y avait pas de difficultés parce qu’il y avait suffisamment d’experts et autres, affirme Julien Ruas. Depuis le 5 novembre, la situation a évolué compte tenu du nombre de signalements”, précise-t-il, sans vouloir répondre à nos questions précises. Pourtant, l’avocate de Baya Gherbi affirme avoir eu à traiter des dossiers similaires, “une bonne cinquantaine depuis les années 2000”. Au-delà de la crise, il y a bien un problème de fond dans la gestion du suivi des travaux et des relogements.

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