Dans les hôpitaux de Marseille, le calme avant la tempête

Enquête
le 19 Mar 2020
13

Alors que les premiers cas graves arrivent dans la région, les hôpitaux de Marseille se préparent à recevoir la "vague" de malades du coronavirus. L'Ap-hm et d'autres hôpitaux sont en train d'effectuer une réorganisation d'ampleur, du recrutement de personnel spécialisé à la distribution de masques en passant par l'ouverture d'unité spéciale.

La Timone, vaisseau amiral de l
La Timone, vaisseau amiral de l'AP-HM. Photo : Esther Griffe.

La Timone, vaisseau amiral de l'AP-HM. Photo : Esther Griffe.

“Pour le moment il n’y a personne à l’hôpital, tout est mort et l’ambiance est tendue. On tourne en rond”, glisse une psychologue au sortir du service de réanimation de la Timone. Malgré ce calme relatif, les médecins et chefs de service de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) sont sur le pied de guerre. “C’est le feu”, concédait ce week-end déjà un chef de service de la Conception. L’AP-HM, tout comme l’hôpital Saint-Joseph et l’hôpital européen s’apprêtent à se retrouver en première ligne dans la région face à la crise sanitaire engendrée par le coronavirus. La situation locale n’est aujourd’hui pas au niveau de ce que vivent leurs homologues alsaciens, ou plus récemment, parisiens. Mais “la vague” de personnes contaminées devant être prises en charge en urgence – pour des insuffisances respiratoires provoquées par ce virus – ne saurait tarder. Face à cela, les hôpitaux du sud de la France disposent d’un atout considérable : plus que dans les autres régions, ils ont eu le temps de se préparer.

“Nous avons la chance, entre guillemets, de passer après. Comme souvent dans une épidémie virale, le sud-est est atteint en dernier, explique le professeur Laurent Papazian, qui coordonne la réanimation à l’AP-HM mais aussi dans toute la région, soit les services qui vont être le plus touchés dans les jours à venir. Cela est dû aux mouvements du virus, des gens et aussi au climat [le virus résiste moins bien à des températures élevées, ndlr]. La partie nord, la région parisienne est d’abord contaminée, puis c’est nous.” Pour le moment, seuls quelques cas ont dû être pris en charge en urgence dans la région. Mais la situation ne devrait pas tarder à évoluer, même si les projections chiffrées sont impossibles. “Cela va dépendre d’où en sera l’épidémie quand ça va arriver. Mais quoi qu’il arrive, ça va arriver dans quelques jours”, poursuit Laurent Papazian. Fin de semaine ou début de semaine prochaine, pronostiquent les spécialistes.

L’AP-HM en ordre de marche

Difficile pour Marsactu de rester plus de cinq minutes au téléphone avec un chef de service, tous étant fortement mobilisés depuis plusieurs jours déjà. Matin et soir, une cellule de crise est organisée. L’un des objectifs pour les hôpitaux publics – auxquels les privés seront appelés à venir en renfort – est de préparer des lits en nombre suffisant pour recevoir les cas urgents. Et de prévoir le matériel et le personnel en conséquence. “Nous sommes en train de faire un énorme travail d’organisation, rend compte le professeur Jean-Luc Jouve, chef du pôle pédiatrie de l’AP-HM et référent en région du collectif inter-hôpitaux. Nous avons déprogrammé toutes les activités chirurgicales non urgentes pour faire de la place et libérer des respirateurs. Nous cherchons aussi des infirmiers anesthésistes. L’expérience des autres nous permet de savoir qu’il faut faire attention au manque de lits, de respirateurs et de personnel compétent pour la réanimation.” 

Dans les cas les plus graves, le coronavirus provoque en effet une insuffisance respiratoire, qui nécessite l’utilisation d’un respirateur, voire de gestes de réanimation – à noter que cela arrive dans moins de 10 % des cas diagnostiqués, dont seulement 2 % sont mortels. Les équipes se préparent donc à devoir gérer cela. Et ce, malgré un “flux déjà tendu, constaté par le collectif inter-hospitalier”, précise Jean-Luc Jouve, en référence au contexte difficile lié au manque de personnel et de moyens que connait actuellement le système de santé public français. Un contexte qui n’empêche pas pour autant l’adaptation à cette épidémie qui ne devrait pas toucher tous les services.

“Je révise l’utilisation d’un respirateur”

“Comme beaucoup de collègues, je suis actuellement chez moi en train de réviser l’utilisation d’un respirateur”, raconte une jeune infirmière du service de réanimation de Saint-Joseph. “Nous sommes aussi en train de chercher à récupérer un maximum de respirateurs, comme ceux de Saint-Marguerite par exemple où ils ne traitent plus d’urgence”, ajoute une médecin urgentiste de la Timone.

L’AP-HM a également lancé un appel à candidatures. “On ne s’improvise pas infirmier en réanimation, ce sont des gestes spécifiques. À l’AP-HM cette activité n’est pratiquée que durant quelques années, car elle est très difficile et stressante. Après, les infirmiers vont dans le libéral. C’est parmi ceux-là qu’il faut recruter”, complète Jean-Luc Jouve. “Les infirmiers anesthésistes en réanimation de l’AP-HM ont été réquisitionnés en premier, puis les élèves infirmiers anesthésistes qui ont déjà des compétences et enfin ceux du privé. Il y a déjà plein de volontaires”, salue l’urgentiste citée plus haut.

Dans les services concernés, la réorganisation est donc totale. En réanimation, des lits supplémentaires restent vides, en attente de patients contaminés par le coronavirus. “Ils seront utiles quand la vague arrivera, pour ne pas devoir choisir parmi les patients comme c’est le cas en Italie”, complète le service presse. À titre d’exemple, environ 90 lits pourront être disponibles à la Timone pour des malades du “Covid-19”. Les trois-quarts sont déjà équipés en respirateurs.

Vases communicants

Pour le moment, seuls quatre patients contaminés et nécessitant des soins de réanimations sont pris en charge sur Marseille, à l’hôpital Nord. Lorsque ce chiffre augmentera, le principe des vases communicants s’appliquera. A mesure que les services se rempliront de “malades Covid-19”, les services suivants sur la liste devront être vidés. “Quand il y aura 6 patients en réa à l’hôpital Nord, on videra la réa des urgences de la Timone, développe l’urgentiste citée plus haut. Le problème, c’est qu’il faudra continuer à soigner aussi les patients en réanimation normale…”

on est dans l’expectative armée. Il faut espérer que le confinement nous épargne la situation de grande détresse que connaissent le personnel et les patients en Alsace.

Pascal Chanez, chef de service pneumologie à l’hôpital nord

L’AP-HM sera-t-elle prête quand la fameuse “vague” arrivera ? Difficile à prévoir, estime le professeur Papazian : “Je n’ai pas la prétention de dire que c’est assez ou pas, comme le font certains. Je n’en sais rien même si j’essaye d’anticiper au maximum. Nous allons forcément travailler dans des conditions dégradées, que nous n’avons jamais expérimentées. La prise en charge va être modifiée et ça sera plus compliqué. Mais nous serons mieux préparés, peut-être pas en place, mais on sait ce qu’on va faire.” Le professeur Pascal Chanez, chef de service pneumologie à l’hôpital Nord le rejoint : “Nous sommes actuellement en alerte et ce niveau d’alerte augmente mais nous ne sommes pas submergés. En fait, on est dans l’expectative armée. Et il faut raison garder et espérer que le confinement nous épargne la situation de grande détresse que connaissent le personnel et les patients en Alsace.” Car le principe des vases communicants vaut aussi entre les régions.

Ce mercredi, les premiers patients alsaciens, dont la région ne dispose plus de lits, ont été reçus à l’hôpital militaire d’Istres. “Nous sommes les derniers touchés, nous devons donc aider les autres. Ce décalage nous permet d’avoir une vision mutualisée. On peut espérer que lorsque nous serons touchés à notre tour, ils puissent les reprendre. Ce décalage permettra peut-être de sauver des vies”, complète le professeur Papazian.

Unités tampons et masques scellés

Outre les services de réanimation et des urgences, des “unités tampons” sont également mises en place au sein de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille. Elles visent à “recevoir les patients touchés mais qui ne nécessitent pas de soin de réanimation. Ces unités sont présentes à Nord, à la Timone adultes et à la Timone enfants. Cela permet un circuit séparé”, informe Jean-Luc Jouve. Dans les autres services, les activités s’adaptent.

Reste le souci majeur des masques chirurgicaux. Comme partout en France, ces accessoires de protection face à la maladie qui se transmet par voies respiratoires connaissent une pénurie au sein de l’AP-HM. Certaines rumeurs circulent à ce sujet. “A l’hôpital Nord, ils n’en ont pas du tout”, croit savoir une étudiante en médecine. “C’est n’importe quoi !”, dément Laurent Papazian.

Ce lundi, un mail envoyé par la direction de l’AP-HM et que Marsactu a pu consulter faisait pourtant état d’une “pénurie [d’]approvisionnement” mais pas “totale”. Le déblocage d’un stock national et des directives de distribution étaient attendues dans la journée de mercredi (sur la question des masques lire par ailleurs notre article sur les redistributions entre collectivités). Selon plusieurs témoignages, les masques sont pour le moment mis sous scellés suite à de nombreux vols dans les services. “Quand je vois des gens dans la rue avec des masques certifiés et que je me dis que nous on va se retrouver à faire des gestes à risques de contamination sans, je me demande comment c’est possible !”, s’agace l’urgentiste de la Timone.

Les soignants se préparent dans tous les cas à être contaminés. Des équipes de “réserve” sont ainsi prévues. Elles resteront confinées chez elles comme le reste de la population afin de rester disponibles en cas de contamination de leurs collègues. “Pour le moment, on est sur l’eau, on attend la vague, explique l’infirmière citée plus haut depuis son domicile. Quand je vois les gens qui applaudissent à leurs fenêtres [pour remercier les soignants], j’ai la pression, j’ai envie de dire “oh les gars, je suis confinée chez moi comme vous, j’ai rien fait encore””. Demain, elle sera une héroïne d’aujourd’hui.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Tarama Tarama

    Pensée émue pour l’hôpital Sainte-Margueritte, ses urgences, sa réanimation, ses blocs… supprimés, fermés, démantelés, il y a moins de 10 ans.

    Ce n’est pas dans la clinique privée de Renaud Muselier, qu’on a construit dans ses jardins, que l’on va soigner le coronavirus…

    Signaler
  2. Tarama Tarama

    A Saint-Jo, ils n’ont pas de masques pour protéger le personnel qui n’est pas directement au contact de ces malades…

    Signaler
  3. Alceste. Alceste.

    Une fois de plus c’est l’APHM qui va faire le boulot autrement dit le public. Ce n’est sans doute pas le lieu, ni le moment mais quand-même. Comme disent les Québécois, je me souviens que l’actuelle mairie ne pense que privé pour la santé ou l’école.
    Alors il faudra s’en souvenir le moment venu.
    Soutien., amitié et affection pour nos médecins et soignants.

    Signaler
    • reuze reuze

      Il ne faut pas oublier, en plus de l’APHM, les deux hôpitaux privés à but non lucratif (Hôpital Européen et St Joseph) qui participent au service public hospitalier.
      Effectivement, il faudra s’en souvenir après la pandémie, quand on reparlera de céder des terrains et d’accorder des permis à des hôpitaux privés à but lucratif qui font des profits gras sans contrepartie.

      Signaler
    • leravidemilo leravidemilo

      Comme l’indique le beau slogan des luttes contre la réforme des retraites : “Quand tout s’ra privé, on s’ra privés de tout.”
      C’est toujours le moment de le dire, et c’est toujours le moment de le découvrir et de se l’approprier, car il est parti pour servir … longtemps!

      Signaler
  4. Vand Vand

    Excellent article, éclairant, merci de nous transmettre toutes ces infos… Force et courage aux infirmier.e.s et soignant.e.s, on est derrière vous.

    Signaler
  5. julijo julijo

    propos d’une “soignante” lus sur Facebook :
    Je suis soignante, ni soldat, ni en guerre ?
    Après nous avoir enlevé tous nos moyens, gelés nos salaires, on nous voit comme des héros. Héros de rien du tout, on a juste pas le choix.
    J’ai la gerbe : la seule guerre que j’ai envie de faire c’est celle contre les décideurs et les bureaucrates. Le confinement n’est décidé que parce que l’hôpital n’a pas les moyens de faire face….

    Signaler
    • MarsKaa MarsKaa

      Exact… le confinement n est décidé que parce que l hopital n a pas les moyens de faire face.
      Et à qui vont aller les grosses sommes débloquées par le gouvernement ?
      A l hopital ?
      Non aux entreprises…

      Signaler
    • reuze reuze

      Euh… le confinement est décidé parce que l’hôpital, même s’il était bien financé, n’aurait pas les moyens de faire face à l’afflux de patients tant ce virus est contagieux.
      Ce qui manque et qu’on aurait pu avoir, ce sont des kits de test et des équipements (masques notamment) pour faire du dépistage massif puis confiner dans de bonnes conditions les personnes atteintes.
      L’hôpital est sous-financé depuis des années, c’est vrai, mais ça n’a pas grand chose à voir avec le confinement actuel.

      Signaler
    • Tarama Tarama

      Reuze vous êtes fantastique…

      Signaler
  6. Marc4nos Marc4nos

    Certaines personnalites politiques marseillaises detectees porteuses du virus semblent beneficier de soins a l hopital auxquels le simple citoyen n a pas acces avec les memes symptômes.

    Signaler
  7. Mogosmo Mogosmo

    A l’IHU l’ambiance est un peu différente…

    Signaler
  8. Hubert VIALLET Hubert VIALLET

    Bravo à toutes les équipes médicales qui travaillent dans l’urgence.
    Mais une question me taraude concernant le médicament qui pourrait soigner, comme celui étudié par le professeur Chercheur mondialement reconnu Raoult à Marseille. Le traitement étudié semble marcher sur 24 personnes, certes il doit encore être étudié, mais quel est le moindre risque à ce jour?
    – laisser mourir 5% des infectés et laisser la pandémie se poursuivre,
    – ou bien prendre le risque (cardiaque semble-t-il) de proposer ce traitement à ceux des malades qui le veulent (Comme Martine Vassal, et d’autres), et de contribuer à enrayer la pandémie? Mars actu peut-il demander une évaluation comparative de ces deux risques? Merci d’avance.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire