Dans le contrechamp de MP2018, une scène artistique en souffrances
Alors qu'une programmation culturelle compte réveiller jusqu'à l'automne le souvenir de la capitale européenne de la culture, les alertes sur la situation économique du secteur sont nombreuses au niveau local. Si les budgets publics pour la culture sont relativement stables, les relations entre artistes et collectivités se crispent.
Ouverture MP2018, LC
Mercredi 14 février, un spectacle son et lumière lançait la saison culturelle MP2018, sur le Vieux-port. Mais au-delà de l’éclat, cette opération au budget relativement modeste – si on le compare à celui de la capitale européenne 2013 – arrive dans un contexte plutôt sombre si l’on en croit de nombreux acteurs culturels. En mai 2017, dans le sillage d’un “groupe du 15 mai”, 130 structures locales signaient une pétition appelant les collectivités publiques à ne pas laisser le milieu artistique dans l’ombre. Et depuis, malgré les déclarations d’amour, les inquiétudes persistent.
“Depuis plusieurs années, le secteur culturel subit des gels et des coupes budgétaires répétés, opérés brutalement, sans explication les objectivant et sans annonce préalable”, démarrait ainsi le texte qui pointait “l’absence de communication et d’anticipation” de la part des financeurs publics.
Le flou des arbitrages économiques
“Au niveau des différentes tutelles interpellées, on n’a pas vraiment eu de réponses, de discussion, d’explications… Les inquiétudes demeurent, elles sont toujours vivaces, résume Dorine Julien du groupe artistique les Pas perdus. C’est devenu difficile de mesurer l’état de la situation, de travailler sur la durée, de parvenir à des concertations entre les tutelles. Il y a quelques années, c’était encore possible”. Des relations moins souples qu’avant, en partie amenées par les changements de majorités et d’équipes au département et à la région. “Ça a forcément changé les lignes, poursuit Dorine Julien, il y a des arbitrages économiques, sans qu’on nous les annonce vraiment, sans que ce soit explicité ou débattu”. Cependant, certains assument tel Renaud Muselier qui a admis un choix politique en provoquant l’arrêt du Babel Med Music et précisé certaines coupes budgétaires régionales en assumant : “quand je paie, j’aime bien décider”.
Premières victimes aux yeux de Dorine Julien cette atmosphère : “Le secteur dit indépendant, celui qui défriche les formes d’expression, avec toutes les populations”. Le spectacle vivant et les arts visuels, principaux pourvoyeurs d’emplois culturels en région PACA, sont forcément impactés.
“Le contexte local est à l’image de celui qu’on vit dans le reste de la France, entre la baisse des subventions et la suppression des emplois aidés”, analyse de son côté Vincent Brut, salarié chez Lo Bol, un “groupement d’employeurs, d’équipes artistiques et de structures culturelles” monté il y a trois ans. Une structure à l’image d’une tendance de fond : la mutualisation des moyens pour maintenir des emplois. “On réinvente nos modèles, on explore la mutualisation des ressources, des emplois… mais une heure travaillée coûte toujours le même prix. On ne peut pas voir ça comme de l’économie d’échelle”. Lui observe aussi des baisses fortes dans les aides au fonctionnement des équipes artistiques : “Toutes les structures sont en difficultés, c’est de l’économie de queue de cerise. Pour le spectacle, nous avons le régime d’intermittence qui nous permet de prendre des risques, mais ce n’est pas le cas pour tous les secteurs de la culture.”
Des budgets globalement stables mais…
Pourtant, à y regarder de plus près, les collectivités locales n’ont pas taillé massivement dans leurs budgets culture ces trois dernières années. Côté département et région, la tendance est grosso modo à la stabilité voire à la légère hausse, avec des budgets totaux autour de 20 millions d’euros dans l’institution présidée par Martine Vassal et de 50 millions pour celle menée par Renaud Muselier. Les niveaux sont en revanche bien en deçà des années record (2012 à 2014) qui ont entouré la capitale européenne de la culture. Et ces enveloppes globales ne disent pas toute la complexe répartition et les arbitrages.
Lors du lancement de MP2018, les deux collectivités ont mis en avant leur action. Le président de région assurant avoir décidé pour l’avenir d’une “hausse de 10 % chaque année”, avant d’assurer que “la culture ne peut pas être victime de la crise”. Des chiffres qui n’effacent pas pour un certain nombres d’acteurs culturels un sentiment de relations de confiance altérées. “Les critères mis en place par la région excluent beaucoup de monde, et les structures ont un mal fou à être reçues”, décrit notamment Catherine Lecoq, représentante CGT spectacle, qui décrit un contexte de “débrouille absolue” et de “renoncement”.
Au département, la vice-présidente à la culture, Sabine Bernasconi, assure avoir entendu les inquiétudes du monde culturel. “On a essayé d’être rassurants auprès des acteurs qui avaient émis des inquiétudes. Ils demandaient d’y voir plus clair, on a essayé de répondre avec des actes, d’adapter nos calendriers, d’alléger les procédures”, avance-t-elle en se félicitant d’avoir maintenu à leur niveau les financements de son secteur malgré les coupes globales au conseil départemental.
La Ville de Marseille, en revanche, est davantage en difficultés sur ce terrain, sans que la coupe ne soit à ce jour dramatique, si l’on s’en tient à l’enveloppe globale. De 138 millions en 2014, le budget culture est descendu à 126 millions en 2017. “Aujourd’hui, le budget de la culture est le 3e de la Ville de Marseille, ce n’est pas du tout anodin”, se défend Anne-Marie d’Estienne d’Orves, adjointe à la culture. Le budget a été pratiquement le même en 2016 et 2017 et je présenterai le nouveau en mars, dit-elle sur un ton optimiste. On essaye de faire une politique cohérente, lisible et dynamique. Il y a des fusions par exemple, mais ce n’est pas pour faire des économies, c’est pour être efficace et les théâtres en sont ravis.”
MP2018 compte “irriguer” la scène culturelle
“La ville érode ses financements, ce n’est pas insupportable, mais, doucement, ça baisse… alors on se bagarre”, résume Pierre Sauvageot, directeur de Lieux publics et membre du comité artistique de MP2018, constitué de quinze acteurs majeurs de la culture. S’il constate une tendance générale de “resserrement” autour des grandes structures, et une précarité grandissante pour les artistes, il espère voir MP2018 bénéficier au plus grand nombre. “Il y a 270 structures concernées, on a fait en sorte de ne pas faire notre programme entre nous, mais d’irriguer. On n’a pas fait ça pour s’autofinancer, mais pour travailler avec d’autres structures, explique-t-il. Pour le moment, je ne sens pas sonner les alarmes, je n’entends personne dire qu’on a déshabillé Paul pour habiller Jacques”.
Les indépendants sont plus mitigés sur cette question. À l’instar de Vincent Brut, de Lo Bol, ils ne comptent pas particulièrement sur MP2018 pour voir la situation s’arranger : “C’est certainement bon pour le rayonnement de la ville, mais cette année encore, on craint d’être davantage spectateurs qu’acteurs, donc on n’a pas beaucoup misé là dessus.” Si l’effet d’entraînement de MP2018 sur le secteur culturel local sera forcément difficile à évaluer, ses organisateurs assurent avoir demandé des garanties afin de ne léser personne.
Raymond Vidil, patron à la tête de l’opération, a mis en garde encore mercredi les collectivités. “Les élus ont la responsabilité de porter la politique culturelle toute l’année, en aucun cas MP2018 n’est une opération de contournement ou de substitution, elle ne doit pas avoir pour résultat que les collectivités se désengagent.” Devant les enthousiasmes de rigueur en ce jour d’ouverture, l’amour entre collectivités et monde de la culture est brandi. En off, plusieurs têtes pensantes du projet racontent sans se faire prier comment “le monde politique est loin de nous avoir suivis” au début du projet MP2018.“La culture n’est pas une priorité ici.” Une réticence qui fait soudain écho aux tensions évoquées par les petites structures, et dessine un climat plus prompt aux coups de frein qu’aux coups de cœurs.
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Merci pour cet article qui remet en contexte un événement essentiellement vitrine. La vitrine est (relativement) rutilante, mais quand on pousse la porte du magasin on se rend compte que les stocks sont épuisés !
Créer demande du temps, des lieux, un minimum de moyens financiers. Malheureusement pour lui, l’art n’est rentable que par hasard, par erreur, plus ou moins sur un malentendu, et si souvent pour de mauvaises raisons.
Du coup et comme précisé dans l’article, les décideurs politiques se foutent de plus en plus de la création artistique. Ils pensent même que soutenir l’art va leur faire perdre des voix (pensez au score du FN )
Ils ne font même plus semblant : si vous voulez des financements soyez attractifs, fédérateurs, d’une manière ou d’une autre rentables. Pas trop dérangeant. Pas de polémique.
L’art est a priori inutile ! Il ne sert absolument à rien. Il est juste constitutif de notre “humanité”. L’esprit du capitalisme ne peut pas admettre cette vérité.
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