Dans la peau d'un bénévole : on bulle mais on rigole

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le 17 Jan 2013
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Dans la peau d'un bénévole : on bulle mais on rigole
Dans la peau d'un bénévole : on bulle mais on rigole

Dans la peau d'un bénévole : on bulle mais on rigole

La semaine dernière, le Pavillon M s'est entrouvert aux premières visites avant d'être inauguré par l'ensemble des grands élus des collectivités locales. C'était l'occasion pour les bénévoles enrôlés par la Ville de Marseille pour la capitale culturelle de tester "en vrai" leurs missions désintéressées. Le blogueur Lagachon s'est donc immiscé en leur sein, sans mauvaise intention mais avec les yeux et les oreilles grand ouverts.  

Prologue – Infiltrer le réseau

Je me suis inscrit comme bénévole un peu après le lancement du programme, par curiosité et pour éventuellement rendre service, je ne savais pas que cette décision à laquelle je pensais dédier 2 ou 3 jours de l’année allait me donner matière à écrire, et pourtant… Au mois de décembre, nous avons été conviés à une réunion de présentation au Pharo avec en « guest » un responsable com' de la Ville qui se faisait ostensiblement suer après avoir fait son speech et une quelqu’une de Marseille Provence 2013 très, mais alors très enthousiaste.

Elle égrenait avec gourmandise le programme du week-end d’ouverture, distillant les évènements comme des bonbons très sucrés et ponctuant le tout de petits rires entendus "et nous ferons, qui sait, disjoncter la ville, hi hi hi". Bref, disposé à vivre l’expérience jusqu’au bout, je me suis inscrit pour une mission. Alors pas une mission relou genre accueil des gens dans la rue la nuit du 12 (bravo à ceux qui l’ont fait), je me suis mis sur les visites en avant-première du Pavillon M les 9, 10 et 11 janvier.

Jour 1 – Réunion Tupperware

Pour caler le tout, nous étions invités à un briefing mardi 8 janvier dans le Pavillon en travaux, le monsieur de la Ville qui s’ennuie n’était pas là, mais on a eu à la place une "femme de communication", responsable com' elle aussi, franchement plus investie dans le projet. Pour l’accompagner, des chefs bénévoles. Alors comme c’est bénévole, elles ne touchent pas plus mais elles sont quand même un peu cheftaines scouts, et on sent bien qu’elles aiment ça. 

Je les imagine femmes au foyer, peut-être responsables d’une association de parents d’élèves, ou investies dans une bonne œuvre quelconque. J’imagine l’excitation qu’a pu provoquer chez elles l’annonce d’un programme de bénévolat… Et surtout lorsqu’on leur a dit qu’elles seraient "référentes", je pense à ma grand-mère, elle adorerait ça. Elles sont très gentilles, donnent leur numéro de portable, prennent tout ça très à cœur, et heureusement. Non seulement, la Ville se "paye" des petites mains gratuitement, mais a réussi le tour de force d’avoir des cadres pour zéro euros, c’est brillant !

Accueil dans la salle Mistral, "une référence à Plus belle la vie", ose Dame communication. Pas à l’auteur de Mireio, du Trésor du Félibrige et prix Nobel ?… Non. Tristement moderne ! Je pensais me retrouver dans un groupe de gentils retraités mais me voilà dans une réunion tupperware, beaucoup de mères de famille, des étudiantes, de la "quinquactive" en veux-tu en voilà, le tout sous l’encadrement d’un carré Hermès, nos quatre "référentes" dont on a du mal à imaginer qu’une d’entre elles habitent au nord de la place Castellane.

Ni sandwich, ni bouteille d'eau

On nous explique le déroulé et la mission : calmer les gens qui ne pourront pas tout voir et devront patienter. Et oui, comme ce sont des visites privées, et prévues, on a des groupes de 150 personnes qui vont débarquer à la même heure pour des activités prévues pour 80. "Si tout le monde est à l’heure, ce sera le bordel !" prévient le directeur artistique… à défaut d’avoir pu l’anticiper, on le sait. L’assemblée de bénévoles rit, on se comprend, c’est si bon d’être Marseillais ! La mission dure de 10h à 19h avec une pause déjeuner d’une heure. Par contre, "il faut amener son sandwich ou aller manger dans le quartier", aïe, c’est mesquin ça… Bénévole d’accord, mais un petit sandwich et une bouteille d’eau, je pense que ça aurait tenu dans le budget.

Je suis inscrit uniquement pour la journée du 11, j’apprends que c’est celle "des Very VIP" : presse locale, nationale et internationale, délégation de maires étrangers invités, partenaires etc… J’ose espérer qu’ils n’arriveront pas par groupe de 150 à la même heure : "Sorry Mister Financial Times, it’s Marseille, you know…" Surtout que Dame Communication a dit sous les encouragements de l’assistance qu'"on en a marre de l’image de Marseille dans les médias, on est là pour changer ça !". Si on avait su, on aurait séquestré l’envoyé spécial de Libé dans une cabine olfactive !

Jour J – Deux troupeaux et beaucoup de tchatche

J’arrive en avance comme on me l’avait demandé, bien couvert vu le mistral, prêt à survivre à une journée à l’extérieur. Première d’une longue série de surprises : une des quatre cheftaines scouts me récupère au passage et m’annonce, guère aimable, que "bien sûr c’est à l’intérieur !", qu’il faut que je me change vite, qu’on est déjà en retard, bla bla bla… On sent qu’elle a du mal à gérer le stress. Je me dis que le problème avec les bénévoles, c’est que, justement, ils ne sont pas très professionnels. Alors quand même les encadrants sont bénévoles…

Après l’accueil glacial de carré Hermès n°1, un grand chauve à manteau avec une tête d’élu s’approche et me demande sèchement de "faire quelque chose pour tous les bénévoles qui se pointent, je sais pas, mettez quelqu’un à l’entrée !". Monsieur, votre femme vient d’appeler, vous avez oublié votre savoir-vivre à la maison ! Heureusement, d’autres sont plus sympas, forcent un peu sur les sourires et font traîner leurs petits mots d’accueil : "Bonjouuuuuuur, ça vaaaaaa ?" J’ai l’impression d’être en maison de retraite…

On m’installe dans l’espace muséal au sous-sol, avec la mission d’orienter le public. Un public qui tarde à arriver et qui finira par débouler en masse, un tas de journalistes nationaux et internationaux mené par Monsieur le Maire de Marseille. Un petit tour et puis s’en vont… 15 minutes et nous revoilà seuls ou presque, l’occasion de tester les cabines olfactives, le film, de faire connaissance avec les autres bénévoles, mais aussi les douze guides en CDD avec l’office du tourisme.

Ils sont donc douze, avec un CDD raccourci à 3 mois et possibilité de prolonger à 1 an. "C’est précaire", avoue l’une d’entre elles. Certains ont une formation en art, d’autres faisaient partie d’un staff de campagne d’une élue, bref, tous ont une bonne raison d’être là ! Les bénévoles ? Ça les surprend – "vous avez la foi quand même !" – mais ils ne voient pas ça comme une concurrence déloyale, "nous on est salariés, alors…".

L'attente – "Oh, tchié là toi?"

Vers l’heure du déjeuner, l’ennui commence à poindre chez certains bénévoles : "c’est calme !", "y a pas trop de monde !", "on m’avait dit que je pourrais parler anglais, je suis déçue"… Une dame de la Ville nous met en garde : "Attendez cet aprem !"… Je lui demande des détails : qui ? combien ? quelle heure ? Elle bricole un truc, dit avec un grand sourire laissant apparaître un chewing gum, "le problème c’est que ça change toutes les cinq minutes", éclate de rire et s’en va saluer une amie toute en fourrure "Oh, tchié là toi ?"… Classe et très professionnel. Je me dis que la différence entre ceux de la Ville et les bénévoles n’est pas la compétence mais le salaire.

Comme on s’ennuie, on se promène, on croise des journalistes et Muselier qui débute un éloge sur le bénévolat en nous regardant. Mes collègues du jour ne le reconnaissent pas, elles tracent sans faire attention à lui, il sourit quand même… un peu déçu. Au retour de la pause déj', chacun reprend sa place, fait la conversation avec les guides et les autres bénévoles, bulle dans son coin, monte vers l’accueil lorsqu’il faut aller faire la photo avec les élus qui mettront une heure à arriver. Heureusement que tout ce staff en sous-service est bénévole. On occupe les guides salariés, on leur fait la conversation… Un dispositif d’une efficacité toute municipale.

Dehors en plein mistral, le bénévole se pèle sévère mais est de bonne composition, il tchatche encore un peu, il lève les mains et fait bruyamment coucou pour la photo. Tous les élus se massent devant la porte pour le coupage du cordon. Qui aura sa photo avec le maire ? Puis tous se jettent dans le Pavillon comme dans un embarquement Easyjet. Obligé d’attendre dehors, nous poursuivons la discussion, à ce stade, je connais la moitié de la vie de toute l’équipe. Puis nous entrons par une porte latérale, retour à notre place pour accueillir le troupeau d’officiels.

La cohue – Comme Muphasa, le roi lion

Je ne sais pas quel phénomène social unit les officiels aux moutons et aux passagers d’aviation low-cost, mais ils ont tous un point commun : lorsque le référent bouge, tous se précipitent autour, derrière, plus vite, plus court… complètement indifférents à ce qu’il se passe autour d’eux. Bloqué au milieu du flux, je me suis senti comme Muphasa (le Roi Lion) dans la scène du canyon et des gnous. Comment peut-on donner autant de leçons de civisme et être d’une telle incorrection (pousser les ""petites" mains, mettre en danger un masque grec exposé sur le passage…) ?

Une fois la tornade passée, retour à la tchatche. Une bénévole explique à une guide qu’elle a sauté sur l’occasion de donner du temps à "sa ville", "j’ai posé une journée de congés pour être là aujourd’hui !". Ah oui quand même ! Même en plein milieu d’après-midi, elle fait partie des rares à ne pas perdre son enthousiasme, "j’aime la culture, c’est propre !". J’apprends que d’autres bénévoles se sont fait houspiller par la cheftaine ce matin, et l’ont un peu tous en travers de la gorge. Mais globalement, on est surtout déçus de ne pas avoir accueilli plus de monde, d’avoir parlé de Marseille, d’avoir donné envie à des gens de s’immerger dans notre ville, d’ailleurs, l’une des bénévoles est aussi Greeter.

Epilogue – Le talent vient d’en bas

J’ai mal aux pieds, l’impression de n’avoir pas vraiment été utile, ou alors si pendant les quinze à vingt minutes d’émeutes journalistico-politique. Par contre, j’ai visité au calme le Pavillon M, et fait la connaissance de gens charmants, prêts à se mobiliser pour leur ville, signe des espoirs que de nombreux Marseillais placent dans cette année 2013. Ils font ça sincèrement, sans arrières pensées, avec l’envie d’accueillir les touristes, de leur montrer Marseille, et de contribuer à faire de cette année un succès. C’est aussi comme ça qu’il faut prendre l’incroyable nombre de bénévoles inscrits. Par contre, on pourrait aussi avoir l’impression de s’être fait utiliser pour rien, au moins sur cette mission, comme c’est gratuit, autant en mettre plein… Dommage. Comme dit Psy-4 de la Rime, à Marseille, "le talent vient d’en bas", c’est quand on monte que ça se dégrade.

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Commentaires

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  1. Vieux-Port Vieux-Port

    Ca confirme la soirée d’ouverture, le quotidien des Marseillais. Comme vous dites, si “le talent vient d’en bas”, il semble qu’il ne vienne pas de la municipalité marseillaise. Et ça, on le vient au quotidien.

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  2. Electeur du 8e Electeur du 8e

    Article très drôle a priori… mais après réflexion, faut-il en rire ou en pleurer ?.. Si la culture, pour les “responsables”, c’est Plus Belle la Vie, on est mal parti pour être crédible. Heureusement, “l’envie” des Marseillais d’en bas rend optimiste.

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  3. Pizzaiolo Pizzaiolo

    Lagachon president.

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  4. Gatta Gatta

    ce qui compte dans le bénévolat au delà de l’action, c’est la rencontre…mission réussit apparemment car l’objectif n’est pas de trimer (on n’est pas au boulot)… le bénévolat ça sert à créer du lien !!!! Bravo pour ta contribution Lagachon !!!

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  5. poalagratter13 poalagratter13

    Un plaisir à lire ce témoignage, bravo !

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  6. parent d'élève, mère, cadre !!!! parent d'élève, mère, cadre !!!!

    Lagachon : MAIRE de Marseille !!
    Merci, pour cet article, que je fais tourner à tous les Marseillais expatriés : ils auront le mal du pays, mais retrouveront le sourire grâce à cette chronique !

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  7. parent d'élève, mère, cadre , pas bénévole !!!! parent d'élève, mère, cadre , pas bénévole !!!!

    Lagachon : Maire de Marseille VITE !!!
    Je fais tourner à tous les expatriés Marseillais : ils ont le mal du pays, mais avec une telle chronique, ils vont retrouvés le moral : MERCI et bravo !

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  8. mab mab

    super article qui en dit long sur l’utilisation des bénévoles ! heureusement il y a d’autres formes de bénévolat !

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  9. jose jose

    pas trop aimé le “M” , préféré le J1 , mais Lagachon maire de marseille oui !!!

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