Copropriétés dégradées : le rapport qui sert de mantra à Emmanuel Macron

Décryptage
le 28 Juin 2023
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Le président Macron a mis la question des grandes copropriétés dégradées à l'agenda de sa visite à Marseille. Marsactu a pu consulter le rapport provisoire qui préconise la réhabilitation de quatre grandes cités privées des quartiers Nord.

La cité de la Maurelette dans le 14e arrondissement fait partie des copropriétés prioritaires. (Photo : C.By)
La cité de la Maurelette dans le 14e arrondissement fait partie des copropriétés prioritaires. (Photo : C.By)

La cité de la Maurelette dans le 14e arrondissement fait partie des copropriétés prioritaires. (Photo : C.By)

Ce mercredi, le président Macron devrait être à Benza, une petite copropriété dégradée de l’Est marseillais. À moins que l’Est du monde et la guerre en Ukraine fassent déraper l’ordre du jour du conseil des ministres décentralisé. Macron à Benza… Pas la pire, ni la mieux, une copropriété parmi les 13 ou les 22 cités marseillaises, selon la taille de la focale, qui constituent une priorité nationale, depuis huit ans au moins.

Vues de loin, rien ne distingue les copropriétés des barres HLM voisines. De près, à hauteur d’habitants, elles constituent des bombes à retardement qui cumulent tous les stigmates de l’habitat indigne, réceptacle de la misère la plus sombre, avec le cortège de violences qui l’accompagnent. De temps à autre, une de ces bombes explose entraînant l’évacuation d’urgence des habitants, comme à Kalliste en 2018 puis encore en 2022, au parc Corot en 2018, au Gyptis, il y a quelques mois.

Priorités au Nord

Ce chapelet de copropriétés dégradées croise forcément la route d’Emmanuel Macron, dans le cadre de la saison deux du plan Marseille en grand. “Il y a trop de décideurs et des règles de droit complexes qui bloquent la situation. C’est un problème d’indignité et d’insalubrité pour nos concitoyens”, a-t-il déclaré dès mardi auprès de La Provence. Ce mercredi, il doit rencontrer les acteurs de la lutte contre l’habitat indigne, avec comme sujet prioritaire, les grandes copro. La promesse d’un redressement massif dans ce dossier flotte depuis près de dix ans au-dessus de la ville. En novembre dernier, à l’occasion des états généraux du logement, le ministre Olivier Klein a promis la rédaction d’un rapport, censé étudier la faisabilité d’une opération d’intérêt national.

Ce lundi, à la Busserine, le président Macron a annoncé que “quatre copropriétés” seraient concernées par cette opération de réhabilitation, labellisée d’intérêt national. Il a prolongé cette idée dans La Provence : “Pour quatre d’entre elles, nous allons mener des opérations de requalification des copropriétés dégradées d’intérêt national (ORCOD-IN) pour mobiliser des moyens exceptionnels d’intervention et mieux lutter contre les marchands de sommeil”.

Moins de cinq fonctionnaires dédiés à la question

Marsactu a pu consulter la première mouture du rapport, qui patiente sur les bureaux des élus municipaux et métropolitains chargés du logement, depuis mars. Le texte doit encore être amendé par les deux institutions avant de prendre une forme définitive.

Ville et métropole attendent de l’État qu’il mette sur pied une ou des opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), qui bénéficient, comme en région parisienne, du label IN pour “intérêt national”. Le véhicule est connu depuis 2015 où il a été lancé à Clichy-sous-Bois, dont le maire était… Olivier Klein. À Marseille, le rapport Nicol réaffirmait la même année l’urgence d’un tel dispositif. Huit ans plus tard, l’horizon se rapproche à peine un peu.

Car dans la réalité, les fonctionnaires qui travaillent sur le sujet sont moins de cinq à l’échelle de la ville pour – au bas mot – 4800 logements, nécessitant près d’un milliard d’euros d’intervention publique. Ce que le rapport formule en des termes plus feutrés, estimant que ces moyens humains réduits “conditionnent également la capacité d’interventions sur les sites à enjeux”. Résultat, depuis la signature du plan Initiatives copropriétés en 2017, le dossier avance par à-coups, les plans de sauvegarde qui permettent leur redressement mettent des mois avant d’être signés et mis en œuvre… Or, le rapport estime qu’“une quarantaine de copropriétés pourrait être éligibles à un plan de sauvegarde”.

À tel point que le rapport désigne désormais des priorités parmi les priorités. À défaut d’implanter une seule Orcod IN à l’échelle de la ville, il préfigure quatre sites qui pourraient individuellement bénéficier du label et des financements associés.

Quatre copropriétés bénéficieront d’une opération spéciale : la Maurelette, le Mail, les Rosiers et Consolat.

La majeure partie est située dans les 13e et 14e arrondissements. Il s’agit de la Maurelette, à Saint-Joseph (14e), des ensembles réunis autour du Mail, dans le grand Saint-Barthélémy (grand mail, Mail G et Gardians), ainsi que les Rosiers, associés à la petite copropriété voisine du super Belvédère. À ces trois sites, les inspecteurs du ministère de l’Écologie ajoute la cité Consolat, dans le 15e arrondissement.

Aussi dans le viseur, Bel Horizon, la grande tour bicolore qui signale l’entrée de l’autoroute du soleil à proximité de la gare Saint-Charles. Toutefois, cette double copropriété est exclue du dispositif de préfiguration des Orcod IN du fait de son inscription dans le périmètre Euroméditerranée, qui est déjà une opération d’intérêt national. Il revient donc à cet établissement public d’assumer la charge de sa restructuration ou de son éventuelle démolition.

Configurations variées

Ces quatre copropriétés qui pourraient bénéficier à terme du label d’intérêt national sont celles qui ne figurent pas dans des plans de renouvellement urbain financés par l’Anru, comme c’est le cas de Kalliste et de Corot. La Maurelette, comme Consolat, faisait partie de la deuxième division de la rénovation urbaine, en tant que “projets de rénovation d’intérêt régional”. Problème, cela n’a pas débouché sur quoi que ce soit de concret. Résultat, les deux cités sont aujourd’hui frappées d’arrêtés de mise en sécurité. Elles nécessitent des travaux d’urgence mais doivent faire l’objet de restructurations profondes qui les rendent éligibles à des Orcod IN.

Pour le Mail, la difficulté est plus aiguë. L’agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) a déjà financé d’importants travaux au début des années 2000, enrichissant au passage des propriétaires privés sans permettre le redressement des trois tours qui constituent cet ensemble. La démolition du bâtiment G est déjà actée dans le cadre du plan de renouvellement urbain du Grand Saint-Barthélémy. La mise en place d’une Orcod IN dédiée permettrait de construire un projet urbain cohérent prenant en compte le grand Mail, le bâtiment G et l’immeuble des Gardians.

Quant aux Rosiers, le redressement de cette copropriété minée par les squats et le trafic s’envisage sur une quinzaine d’années, en scindant la cité en des copropriétés distinctes, plus faciles à redresser. Là encore, le dispositif Orcod IN permettra de construire un projet cohérent avec des moyens conséquents.

Quel pilote avec quels financements ?

Une fois les priorités posées, restent les problématiques épineuses des moyens et du pilotage. Depuis 2018, la question achoppe sur le refus de la région de faire porter le projet par l’établissement public foncier (EPF), en le dotant de moyens nouveaux. Emmanuel Macron l’a confirmé à La Provence en évoquant “des moyens renforcés pour l’établissement public foncier”. Cela pourrait être permis par une augmentation de la taxe spéciale d’équipement (TSE), une fraction de l’impôt foncier.

Le conseil d’administration de l’établissement public foncier Paca ne prévoyait pas d’évoquer le sujet ce mardi.

Le président de l’EPF Paca, le maire LR de Salon-de-Provence Nicolas Isnard, l’a déjà dit à plusieurs reprises : il est opposé à ce que l’établissement régional qu’il préside soit le véhicule d’opérations strictement circonscrites à la capitale régionale et à quelques villes voisines, Marignane et Berre-l’Étang. En novembre dernier, son adjoint David Ytier, par ailleurs vice-président de la métropole et chargé de ces questions, plaidait pour la mise en place d’un outil métropolitain dédié. Les rédacteurs du rapport ne lui emboîtent pas le pas, en remettant sur le tapis le rôle central de l’EPF, dont l’intervention sur les copropriétés est aujourd’hui très marginale.

L’EPF a tenu son conseil d’administration ce mardi, en pleine visite présidentielle. “La question d’une Orcod n’est pas inscrite à l’ordre du jour”, indique-t-on en interne. La région qui préside l’EPF s’est peu à peu désintéressée des sujets liés au logement pour se concentrer sur ses compétences propres. Si l’hypothèse du rapport est maintenue, il faudra armer l’EPF en conséquence.

Car la création d’une nouvelle société dédiée risquerait de faire perdre encore plusieurs années à cette priorité nationale. Le rapport évalue à près d’un milliard d’euros, le besoin en financement dont l’État prendrait en partie la charge. Il pourrait le financer via une augmentation d’une fraction de la taxe spéciale d’équipement, ou au moyen d’une subvention directe de l’État, via la ligne budgétaire dédiée aux opérations d’urbanisme. Reste à connaître la hauteur de l’enveloppe budgétaire consentie.

Le casse-tête du relogement
Parmi les obstacles à la réalisation d’un plan enfin dédié aux copropriétés, la question du relogement est la plus aiguë. Elle intervient dans un contexte tendu sur le plan de la construction en général, et sur le logement social en particulier. Ainsi, les projets de renouvellement urbain validés en conseil national d’engagement nécessitent 4500 logements à démolir. “Avec le rythme actuel et quelle que soit la méthodologie de comptabilisation des logements, le nombre d’années nécessaires à la reconstitution de l’offre se compte en
dizaine d’années”, souligne le rapport. Or, il faut y ajouter les quelque 6500 relogements nécessaires sur dix ans dans le cadre du plan partenarial d’aménagement du centre-ville et de traitement des copropriétés. Avec des pics à 1000 logements par an, les cinq premières années, la question du relogement est très loin d’être réglée.

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Commentaires

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  1. diasdominique diasdominique

    Oui il faut que l’action publique agisse pour aider les grandes copro en crise à se rétablir. Lorsque c’est possible.
    Mais depuis des années l’Etat et les collectivités annoncent des grandes actions à venir, sur les grandes copro dégradées, en expliquant que c’est très compliqué…
    Mais derrière ces grandes copro, qui sont sensationnelles pour les journalistes et les politiques, des centaines de petites copro en crise restaient hors des regards et de l’intérêt public.

    On se souvient que le ministre Denormandie était venu présenter son plan grandes copro à Marseille en octobre 2018.
    On se souvient que le mois suivant ce sont des petites copro dégradées qui se sont effondrées rue d’Aubagne le 5 novembre.

    Pourtant cette cible des petites copro dégradées était bien identifiée, comptabilisée (aussi par le rapport Nicol et par des études très complètes, cf. articles de Marsactu fin 2018) et une action publique faisable et énergique était explicitement conseillée pour y remédier.
    Car s’il est vrai que les très grandes copro sont souvent des monstres de complexité qui épuisent l’action publique, pour les petites copro d’une dizaine de logements, c’est souvent beaucoup beaucoup plus simple de rétablir les situations.
    A Marseille on l’a prouvé à grande échelle à partir de 2020 avec la remise sur pied du service des périls et de la lutte contre l’habitat indigne qui avait implosé suite au drame de la rue d’Aubagne (cf. Marsactu avril 2019). On l’a prouvé avec le rétablissement d’une action publique ferme, qui accompagne les copro, syndics et propriétaires pour assainir les copro et faire réparer les immeubles, et avec coercition des récalcitrants et des quelques professionnels véreux dans le secteur de l’immobilier.
    Car il y avait un formidable business de l’habitat dégradé, qui prospérait à Marseille depuis des décennies (là aussi il suffit de lire les journaux), et qui est ensuite devenu complètement fou avec la crise des évacuations de fin 2018 à mi-2020.

    Alors oui il faut que l’action publique se préoccupe des grandes copro dégradées.
    Mais l’action publique devrait aussi s’occuper des plus petites qui totalisent à Marseille trois fois plus de logements potentiellement indignes.
    Alors il y a bien le PPA limité au centre-ville avec la SPLA-IN qui se met lourdement en place depuis 4 ans… Et qui espère avoir dans 10 ans un meilleur bilan que le fiasco de la Soleam (cf. presse) sur Marseille centre…

    Mais pourquoi toujours aucun plan d’action publique vers les petits immeubles dégradés de Marseille ?
    On attend qu’ils arrivent en signalement de péril ou insalubrité après les avoir laissés bien pourrir aux mains d’exploitants sans scrupules ?
    Pourquoi aucun plan qui cible les immeubles dégradés détenus à plus de 80% par des propriétaires bailleurs ? Ce sont pourtant clairement des situations de suspicion d’exploitation du mal logement.
    Pourquoi aucun plan qui cible les quelques centaines d’immeubles dégradés détenus par un propriétaire unique ? Dans ces 6000 logements, des ménages fragiles paient un loyer à un propriétaire qui s’enrichi et qui n’entretient pas, au mépris de la santé et de la dignité de milliers de Marseillaises et Marseillais.
    Pourquoi en fait, avoir ralenti l’action publique coercitive contre les exploiteurs du mal-logement depuis la décapitation de la DPGR le service municipal qui faisait ça ? (là encore, lire en 2021 Marsactu en mars , Blast en juin, La Marseillaise en juillet).
    L’action publique pourrait faire le croisement entre les patrimoines immobiliers qui comportent des logements repérés dégradés. Elle en a le pouvoir, elle en aurait le devoir. Reste à le vouloir.

    Alors merci à Marsactu qui relai l’annonce sur les grandes copro et qui explique très bien que ce sera très compliqué.
    Mais on aimerait comprendre pourquoi il n’y a toujours pas de grand plan sur les autres copro dégradées.

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    • Sylotte Sylotte

      Tout à fait d’accord avec vous. Ma belle-fille habite depuis plusieurs années dans un studio boulevard Chave avec des infiltrations d’eau au plafond provenant probablement du balcon de l’étage au dessus dont l’étanchéité n’est plus assurée. Le propriétaire du studio refuse d’engager la copropriété à faire les travaux. Il attend probablement que le plafond et/ou le balcon s’effondre. On est là clairement dans un immeuble dégradé avec un péril avéré.

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    • Sylotte Sylotte

      Tout à fait d’accord avec vous. Ma belle-fille habite depuis plusieurs années dans un studio boulevard Chave avec des infiltrations d’eau au plafond provenant probablement du balcon de l’étage au dessus dont l’étanchéité n’est plus assurée. Le propriétaire du studio refuse d’engager la copropriété à faire les travaux. Il attend probablement que le plafond et/ou le balcon s’effondre. On est là clairement dans un immeuble dégradé avec un péril avéré. Que faire ?

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    • diasdominique diasdominique

      A Sylotte pour l’immeuble Bd Chave : les infiltrations ruinent la structure et vont effectivement conduire à des risques structurels. Puisque le propriétaire refuse de s’en occuper il faut faire un signalement (Allo Mairie) et le service municipal va dire à la copropriété de réparer. Sur ce sujet des périls vous pouvez espérer avoir des agents de la Ville de Marseille qui soient compétents. Bon courage.

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  2. Forza Forza

    Merci @Marsactu et @Benoît pour ce décryptage !
    Dans cette histoire l’Etat me fait étrangement penser à un pompier pyromane. On crée un système qui ne peut qu’aboutir à ce résultat, après quoi on “vole au secours” des copros (avec visiblement peu de risque que tout l’argent promis soit dépensé vu l’empilement des usines à gaz, auxquelles l’EPF PACA et la Métropole rajouteraient bien une couche). Sachant que le système actuel est encore pire puisque les immeubles de logements neufs d’aujourd’hui sont beaucoup plus mal construits que ceux de cette époque. Comme le rappelait justement l’architecte Gilles Perraudin la semaine dernière lors d’une conférence à la MAV : “On ne construit plus des logements pour habiter, on construit des logements pour vendre.” Seule bonne nouvelle, la fin du Pinel & Cie dont le monstre actuel se nourrit depuis 1995 (représentant environ la moitié des ventes de “produits” neufs à des bailleurs privés en France au fil des ans).

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  3. petitvelo petitvelo

    rapport sur étude, rien ne bouge ?

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  4. Lacoste P. Lacoste P.

    Macron, c’est verbe haut et petit bras.
    Ce plan COPROS se réduit chaque année un peu plus, 29, 13, 11, et maintenant 5.
    Et encore ! Non pas 5 mais 4 , parceque lister BEL HORIZON comme “déjà dans une OIN EUROMED “, c’est une mascarade.

    Tous les acteurs publics savent que la promo immobilière lorgne depuis 20 ans sur cet emplacement, pour en faire une H99 à 7000 euros m2.
    Et que la Présidente Caradec à bloqué toute action sérieuse de EUROMED sur Bel Horizon, faut vraiment la laisser se dégrader, comme ça la démolition s’imposera, et les 500 gueux qui y vivent on les éloigner du centre-ville.

    Macron: petit bras et hypocrisie.

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    • Karo Karo

      Pour Bel Horizon envisager une opération immobilière avec vue sur l autoroute avec toutes les nuisances à 7000€le m2 c’est ambitieux pas sur qu il y ait des clients pour …
      Après Caradec et l urbanisme ça fait 2 on voit le résultat de son inaction en tant que ex Adjointe ….

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  5. Alain PAUL Alain PAUL

    Super bon article de Marsactu
    Il met bien en évidence les difficultés à surmonter dont la moindre n’est pas le relogement. Casse tête pour tout le monde

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