Confusion d’experts au procès en appel des propriétaires du 102, boulevard de la Libération

Actualité
le 13 Avr 2023
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Ce mardi 11 avril, les principaux propriétaires du 102, boulevard de la Libération étaient jugés en appel pour mise en danger de la vie d'autrui. Les débats ont tourné à la bataille de dires d'experts autour du risque, réel ou pas, d'effondrement de l'immeuble.

Après des années à être paré d
Après des années à être paré d'équerres d'acier, l'immeuble a été rénové. (Photo : RB)

Après des années à être paré d'équerres d'acier, l'immeuble a été rénové. (Photo : RB)

Il y a des coïncidences de dates qui s’entrechoquent avec violence. En 2018, les habitants du 102, boulevard de la Libération sont évacués quelques jours après les effondrements mortels de la rue d’Aubagne. Cinq ans plus tard, les propriétaires principaux de cet immeuble du centre-ville de Marseille sont convoqués devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence quelques heures à peine après de nouveaux effondrements mortels, vraisemblablement causés par le gaz, rue de Tivoli.

Longtemps, les grandes équerres censées stabiliser l’édifice ont été un symbole de la vague de périls qui, dans la foulée du drame de Noailles, a emporté tant de gens loin de chez eux, “déplaçant des populations comme jamais depuis la Seconde guerre mondiale”, ose Aurélien Leroux, avocat des locataires parties civiles.

Condamnés à huit mois de prison, dont quatre ferme, en première instance, pour mise en danger de la vie d’autrui, ils ont fait appel. Veste matelassée pour Gérald H., blouson bleu pour son associé, Michel V., les deux sexagénaires se présentent à la barre. “Notre immeuble, ce n’est pas la rue d’Aubagne. Ce n’est pas non plus la rue de Tivoli”, défend avec ardeur Gérald H., le gérant de la SCI Hibiscus, majoritaire dans l’immeuble.

“Pour l’instant tout va bien”

Alors non, le 102 du boulevard de Libération n’est ni à Noailles, ni au Camas. Mais l’avocat général, Joaquim Fernandez, reprend une blague éculée : “Vous êtes cet homme qui tombe du dixième étage et qui, à chaque étage, dit « jusqu’ici, tout va bien ». Mais qu’est-ce qui s’est passé rue d’Aubagne ? Qu’est-ce qui s’est passé rue de Tivoli ? Même si dans ce cas-là, c’est le gaz…”

Gérald H. secoue la tête. Il ne parvient pas à se dépéguer de cette affaire qu’il porte comme un stigmate. Dans la salle, des proches sont venus le soutenir et suivent avec attention les débats. Le travail de la cour est justement d’apprécier si les deux compères ont fait courir un danger à leurs locataires, parties civiles, et aux simples passants qui empruntaient le trottoir.

Risque d’effondrement

Les débats à la barre ont surtout souligné la grande confusion des paroles d’experts qui accompagnent les affaires de péril. En novembre 2018, l’expert auprès du tribunal administratif, Alain Marhély pointe “le risque d’effondrement” d’un immeuble qui vrillait comme une lente toupie, comme en témoignent les importantes fissurations en accent circonflexe qui cisaillent alors la façade.

L’expert prend même la liberté, dit Franck Chamla, en défense, de commander un butonnage pour stabiliser l’édifice avant même sa mise en péril. Ces étais métalliques imposants ont marqué l’artère pendant plus de 3 ans. L’avocat s’étrangle : il n’est pas entré, ou à peine, n’a même pas vu la cage d’escalier. Il n’a vu du toit que ce que lui a livré un drone “sans doute acheté chez Toys R us”. “Et puis les fissures, ironise Chamla, en ouverture de sa plaidoirie. Il y en a ici même, à la cour d’appel. J’espère pouvoir finir ma plaidoirie avant que l’immeuble ne s’effondre”, ose-t-il en ouverture de sa prise de parole.

Le président de la cour, apprécie-t-il l’ironie ? Il n’en montre rien. Mais il revient avec précision sur les différents rapports qui ont permis au propriétaire de poser un diagnostic et de financer les travaux. Alors, certes, les termites vues par le premier expert se sont évanouies, mais il reste les fissures et un immeuble malade, en raison de causes multifactorielles. Il y a le sol, constitué de marnes meubles, il y a le mur pignon qui se détache de l’immeuble voisin…

Une cage en acier pour stabiliser l’immeuble

D’ailleurs, et les avocats des parties civiles comme le président le soulignent, il a fallu construire une cage en acier qui enserre aujourd’hui encore la bâtisse et soutient les planchers. “Et les factures ont augmenté de 122 %, entre les premiers devis et la réalisation”, note Pascal Luongo, avocat du pizzaïolo du rez-de-chaussée et d’un autre locataire, pour assurer une réparation que chacun espère définitive. Financés en grande partie sur subventions publiques, les travaux ont permis de sortir du péril en avril 2022.

Mais, là encore, la confusion règne. Comme l’a révélé Marsactu le matin même, le financement public de ces travaux a été permis sur la base d’un rapport du bureau d’études Eliaris, missionné par la métropole pour l’examen des dossiers de demandes de subventions. Or, Eliaris a les mêmes actionnaires qu’Axiolis, membre de l’équipe de maîtrise d’œuvre pour le compte de la copropriété.

Un mélange des genres qui vient jeter le doute sur les documents qui minimisent les désordres dans l’immeuble évalués par Axiolis et cités par la défense. “Pas du tout, répond l’avocat de la défense. Le rapport d’Eliaris, mes clients l’ont découvert à l’audience et il présente une vision de l’immeuble plutôt catastrophique. Alors s’il y a un conflit d’intérêts, ils en sont plutôt victimes.

Ces oscillations de dires d’experts successifs ajoutent à la confusion. En 2021, les deux mis en causes mandatent un nouvel expert, “auprès de la cour d’appel de Riom“, ironise l’avocat général. Ses conclusions vont à l’inverse de celles posées deux ans plus tôt par Alain Marhély. Plus de risque, plus d’immeuble qui tourne, plus d’insectes rongeurs dans les poutres. L’immeuble est certes malade mais il est réparable. “Mais c’est vous qui le payez [cet expert]“, constate l’avocat général. “Et les travaux de confortement ont commencé“, souligne Pascal Luongo, pour les parties civiles.

La défense insiste : en trois ans, cet immeuble promis à l’effondrement n’a pas bougé. La façade qui tombait vers le boulevard de la Libération ne s’est pas approchée des butons censés prévenir sa chute. “Dans cette audience, on vous demande de contextualiser, insiste Franck Chamla. Je vous demande de décontextualiser. Le 5 novembre, il y a eu des évènement tragiques et ainsi… Conjonction de coordination. Et ainsi quoi ? Les menaces de la Chine envers Taïwan ? Soyons sérieux.

Un fissuromètre et rien de plus

Des fissures, il y en a depuis 2008, puisque la SCI Hibiscus a voté en assemblée générale, la pose d’un fissuromètre, au troisième étage. Et puis rien. “Mais c’est parce qu’il ne s’est rien passé pendant dix ans“, se défend Gérald H. Jusqu’à que sa voisine, copropriétaire au dernier étage, relaxée en première instance, constate un élargissement en octobre 2018 et alerte Gérald H. Il est à la Réunion et n’enverra une entreprise qu’à la mi-novembre. “Après les effondrements de la rue d’Aubagne“, soulignent les avocats des parties civiles comme l’avocat général. “Je ne sais pas, je ne sais plus. J’étais en vacances“, se défend le bailleur. Il n’a pas plus contesté l’arrêté de péril pris par la mairie dont il dit aujourd’hui pis que pendre. “Il était trop occupé à reloger ses locataires“, défend son avocat. Il est allé jusqu’à leur acheter du mobilier. Pourtant, les parties civiles estiment que les deux propriétaires ne sont pas allés au bout de leur obligation de relogement. “Je déplore que le parquet n’ait pas poursuivi sur ce point, qui est répréhensible pénalement“, appuie Aurélien Leroux, dans sa plaidoirie.

Lors de ses réquisitions, l’avocat général insiste sur les fissures que tous les experts constatent et demande la confirmation des peines prononcées en première instance, à l’exception de la prison ferme, préférant huit mois avec strict respect du sursis probatoire. La décision est renvoyée au 16 mai.

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Commentaires

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  1. Tobama Tobama

    “Jusqu’à que sa voisine”…aïe

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  2. Andre Andre

    Il est intéressant de rapoeler que l’expert Marhely, aujourd’hui décédé, avait fait réaliser le butonnage de l’immeuble sur sa propre initiative, en dehors de ses attributions d’expert, ce qui est un mode opératoire pour le moins bizarre. On pouvait aussi s’interroger sur l’efficacité réelle de ces boutons.

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