Comment un conflit social a failli ensevelir les facs d’Aix sous la crasse

Actualité
le 31 Jan 2020
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Ce vendredi, le campus Schuman d'Aix-en-Provence devrait retrouver son allure habituelle. Depuis plusieurs jours il n'était plus nettoyé en raison de la grève des salariés de l'entreprise Arc en Ciel, qui ont obtenu gain de cause ce jeudi soir.

Une des salles du bâtiment Egger à Aix. Photo : Julie Le Mest.
Une des salles du bâtiment Egger à Aix. Photo : Julie Le Mest.

Une des salles du bâtiment Egger à Aix. Photo : Julie Le Mest.

L'enjeu

Depuis le début de la semaine, les bâtiments du campus Schuman d'Aix-en-Provence n'étaient plus nettoyés. L'entreprise sous-traitante choisie en octobre n'arrivait pas à faire face au marché.

Le contexte

Le conflit social au sein de l'entreprise sous-traitante intervient dans un contexte social déjà agité par la réforme des retraites. Les syndicats en on fait un symbole.

Le choix du nouveau président d’Aix-Marseille Université, Éric Berton, est radical : résilier un marché public, pour retrouver un campus propre… Depuis plusieurs semaines, la défaillance de l’entreprise chargée du nettoyage, puis la grève de ses employés menacés de licenciement a submergé de saletés les locaux du campus Schuman qui accueille quelques 14 000 étudiants à Aix-en-Provence. Dans un message envoyé aux personnels et aux étudiants mardi, le doyen de la faculté d’arts, lettres, langues et sciences humaines (ALLSH), Pierre-Yves Gilles, allait jusqu’à évoquer “un dossier qui ne peut souffrir aucun délai supplémentaire, sauf à mettre en péril la situation sanitaire de notre faculté et l’état de ses bâtiments”.

Mercredi, dans les couloirs du bâtiment Egger de la fac de lettres ce n’est pas encore le bidonville, mais il y a autant de moutons que sur les plateaux d’Irlande. Le sol est constellé de taches diverses. “Dans les couloirs, encore, ça va !“, assurent Alexandra et Caroline, étudiantes en licence 3 d’histoire. La veille les poubelles débordaient, elles ont été vidées ce matin-là. Le pire ce sont les salles et surtout “les toilettes, c’est horrible ! Pour y aller on monte au 4e ou 5e étage : les 1er, 2e ou 3e, ce n’est pas possible…” Celles du premier étage ont en effet un air de station service à l’ancienne et des étudiantes de licence 1 y poussent des cris en ouvrant certaines portes.

Pas de désinfectants pour les toilettes

Le ménage est entièrement suspendu depuis lundi, date à laquelle les personnels d’entretien ont arrêté le travail. Pour Fatima, qui tient le piquet de grève avec Souad, Sabrina, Siham et Dalila, les problèmes ont commencé dès la reprise du marché par l’entreprise Arc-en-ciel, le 14 octobre dernier : “en 20 ans, je n’ai jamais vu ça !” Dès le départ, des CDD n’ont pas été reconduits. Certains bâtiments de grande superficie s’ajoutent aux tâches des agents titulaires, sans temps dédié. Un nettoyage à la va-vite, dont les effets ont été constatés par certains étudiants et professeurs. Pire selon elles : l’employeur rogne sur le matériel, pas de chiffons, de produits pour le sol et les tableaux blancs, pas de désinfectant pour les toilettes

Dans de nombreux locaux du campus Schuman, les poubelles ne sont plus ramassées. Photo : Julie Le Mest.

Ce qui a motivé la mobilisation, c’est le couperet qui pèse sur six des trente-sept salariés concernés par le marché, couvrant la fac de droit, le bâtiment Egger, le Cube et la maison de la recherche et la scolarité. Fin octobre, ils ont reçu un courrier leur demandant de réduire leurs heures de travail. Puis, après refus, des convocations à des entretiens pour “sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement”.

Repoussée une fois après une négociation de la CGT Propreté, les entretiens étaient prévus pour le 3 février. “On travaille dur et après on se prend cette pression !”, s’indigne Sabrina. Elle fait partie des salariés visés, dont l’ancienneté va de 2 à 18 ans. Les salariées espèrent une rupture du marché car elles seraient, du fait de la clause de reprise des personnels d’entretien, embauchées par la nouvelle entreprise. “Vis-à-vis d’Arc en Ciel, on n’attend plus rien, on a trop attendu, explique Fatima. On veut que l’Université fasse partir cette entreprise et nous prenne en considération.”

À la fac de lettres, le soutien aux grévistes s’affiche ostensiblement. Photo : Julie Le Mest.

Une offre moins disante ?

Dans le contexte social explosif de la réforme des retraites et de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, les personnels d’entretien ont trouvé des soutiens. Cafés, repas offerts, proposition de caisse de grève par des enseignants, invitation à s’exprimer lors des assemblées générales, pétition… De façon plus officielle, le conseil de l’UFR ALLSH, usager des lieux, a voté dès lundi une motion qui fait part d’“interrogations quant à la politique d’AMU en matière de sous-traitance des missions de nettoyage”, appelant l’université à trouver “des solutions respectueuses des personnels salariés par l’entreprise sous-traitante”.

En plus de la société Arc-en-ciel, nombreux sont ceux qui pointent une responsabilité de l’université qui aurait accepté une offre en dessous des prix du marché : “L’université accepte un devis moins cher, le travail n’est pas fait et l’entreprise propose moins d’heures pour s’y retrouver !”, résume Cédric Bottero, co-secrétaire de la CGT Ferc Sup.

La sortie de la délégation après l’entretien avec le président d’AMU devant le siège de l’université. Photo : Julie Le Mest.

Ce point de vue est récusé par le Président de l’université Eric Berton. Celui qui est en poste depuis le 6 janvier (Lire l’entretien que le nouveau président d’AMU nous a accordé) évoque “un conflit intérieur à Arc-en-ciel, dont l’université est victime” dans “un marché avec une responsabilité sociétale forte”. Sans communiquer sur le prix du marché, il partage le diagnostic, très diffusé, d’une erreur de chiffrage de l’entreprise, qui avait pourtant déjà travaillé pour l’Université. De son côté, Arc-en-ciel ne souhaite pas communiquer.

Jeudi soir devant le siège de la Présidence au Pharo, l’histoire s’est dénouée sous les cris de joie, les youyous, les “on a gagné” et “ce n’est qu’un au-revoir”. En marge d’une rencontre entre le Président de l’université et la directrice d’Arc en Ciel Sud-Est Christelle Cosme, une cinquantaine de personnes s’était déplacée : salariés de l’entreprise de nettoyage sous-traitante, membres de l’intersyndicale de l’Université et de la CGT Propreté des Bouches-du-Rhône, étudiants et chercheurs solidaires.

Cédric Bottero, reçu après la rencontre, fait l’annonce : l’Université résilie le marché avec Arc en Ciel dès ce vendredi et le relancera en prenant en compte les anciens horaires de travail. L’arrêt de la grève est voté dans la foulée. Au téléphone, Éric Berton confirme, pas très convaincu : “Socialement il fallait le faire, sur le plan comptable l’Université y perd. Mais je ne me voyais pas spécialement commencer mon mandat sur quelque chose comme ça…”

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