Comment le front républicain a explosé dans les 67 bureaux de la 3e circonscription

Mohamed Bensaada lors d'une opération de tractage devant le métro de la Rose. (Photo : LC)

Le Nord-Est de Marseille a donc avec Gisèle Lelouis une députée Rassemblement national pour les cinq ans à venir. Le 19 juin, l’union de la gauche représentée par Mohamed Bensaada (LFI) a essuyé une défaite nette dans la 3e circonscription. Une réplique, en plus grand, de l’élection départementale de 2021, qui avait vu le binôme RN se défaire de la gauche dans le canton du 13e arrondissement.

Inédites à Marseille, ces victoires en duel reposent à chaque fois la question de la solidité du front républicain. Il y a un an, Marsactu avait démontré la porosité entre la droite et l’extrême-droite entre les deux tours de l’élection départementale. Dimanche soir, à chaud, le candidat Mohamed Bensaada regrettait déjà “l’utilisation asymétrique du front républicain”, même s’il ne niait pas l’impact de la démobilisation des quartiers populaires.

“Un grave précédent”

“Pourtant, sur ce même territoire, aux élections municipales de 2020, en se retirant, la liste du Printemps Marseillais que je menais, avait empêché que le RN l’emporte”, a réagi le sénateur PCF Jérémy Bacchi. Pour lui, alors que la maire de secteur LR Marion Bareille a eu une “attitude exemplaire”, l’absence de message clair de la députée sortante Ensemble Alexandra Louis, éliminée au premier tour, est “totalement irresponsable. À l’image de celle qu’a adopté au niveau national le camp Macron en renvoyant dos à dos la gauche parlementaire et l’extrême droite. Cette rupture du front républicain constitue un grave précédent”, fustige-t-il.

Mais au-delà des déclarations des responsables politiques du centre et de la droite, ces critiques sont-elles justifiées par le comportement de leurs électeurs ? Marsactu a décortiqué les résultats des 67 bureaux de vote de la circonscription pour tenter de dessiner une tendance.

Au cœur de l’électorat d’Alexandra Louis, la Nupes plafonne

Pour un premier aperçu, munissons-nous d’une loupe grossissante en scrutant les territoires les plus favorables à Alexandra Louis, ces 12 bureaux de vote où elle est arrivée en tête le 12 juin. Avec le candidat LR Patrick Pappalardo, elle y totalise un peu plus de 2000 voix. En toute logique, un front républicain solide devrait amener une progression similaire du candidat de la Nupes. Loin s’en faut.

Ces contre-performances de Mohamed Bensaada se retrouvent dans le détail. Dans le secteur résidentiel des Olives, où Alexandra Louis était en tête au premier tour, la récolte est bien maigre : +39 alors qu’Ensemble et LR totalisent 197 voix et les autres candidats hors extrême-droite 35. Idem au Petit-Bosquet, dans le nord du 12e arrondissement.

Le report semble meilleur dans les bureaux de vote de cités d’habitat social ou de grandes copropriétés privées. Mais la dynamique vient également d’une participation un peu moins famélique, après des creux entre 20 et 25 % au premier tour contre une moyenne de 37 % sur la circonscription. Ainsi, au bureau de vote de l’école Bouge, à Malpassé, Mohamed Bensaada décolle de 158 à 261 voix. On y observe la mobilisation de 49 suffrages exprimés supplémentaires, en parallèle du potentiel des 61 voix des candidats éliminés. Le même schéma se retrouve aux Oliviers ou encore à Corot.

Une poussée des blancs et nuls

Alors, où sont passées les voix d’Alexandra Louis ? Dès le dépouillement, le fort taux de blancs et nuls a frappé Mohamed Bensaada : 7,8 %, soit 2217 bulletins. Ce mode d’expression d’un rejet du choix proposé n’est pas inédit : au second tour de la présidentielle, on en comptait 6,5 % sur ce même territoire. Mais le phénomène est plus important et surtout très lié aux performances de la droite et du centre au premier tour.

Dans la plupart des bureaux, la progression de ces bulletins correspond peu ou prou à un quart des voix Ensemble et LR. Dans quatre bureaux de vote sur les 67 que compte la circonscription, cette proportion monte à 40 %. À l’école Château-Gombert (13e), quand LR et Ensemble font 196 voix au premier tour, les votes blancs et nuls en gagnent 73 au second. Hors de Marseille, dans une configuration de duel similaire entre la France insoumise et le RN, on retrouve des taux encore plus forts, autour de 15 %, dans les communes très ancrées à droite comme Cassis, Gémenos, Bouc-Bel-Air ou Cadolive.

Le RN fait le plein

Mais l’analyse des résultats pointe une autre destination possible des suffrages macronistes : un report vers le Rassemblement national. Un peu moins mécanique dans son caractère proportionnel, cette tendance est cependant nette. Et le volume du report est peut-être même supérieur, comme le signale la progression de plus de 1000 voix de l’extrême droite dans les bureaux favorables à Ensemble.

Pour certains d’entre eux, la progression du RN correspond à près de 50 % des voix obtenues par LR et Ensemble au premier tour. À l’école primaire Les Martégaux (13e), quand les deux candidats “républicains” font 131 voix, le total d’extrême droite grimpe de 60 voix entre les deux tours, en y ajoutant comme à chaque fois les voix acquises par Reconquête. De la même manière, à l’école Saint-Just centre (13e), Ensemble et LR obtiennent 102 voix au premier tour et l’extrême-droite en gagne 46 au second.

Comme toujours, seule une comparaison minutieuse des listes d’émargement permet d’écarter définitivement l’hypothèse d’un chassé-croisé entre électeurs de droite devenus abstentionnistes et d’abstentionnistes remobilisés par le RN. Mais la taille de la circonscription (67 bureaux) et la répétition du phénomène la rend très peu probable.

Surtout, la comparaison avec les données de la 1ère circonscription, un peu plus au sud, est sans appel. Le candidat de gauche (PS), Thibaud Rosique, y a clairement appelé à faire barrage à l’extrême-droite. Résultat, dans ce duel qui a vu la victoire Sabrina Agresti-Roubache (Ensemble) sur le RN, le report semble bien meilleur. Dans les 10 meilleurs bureaux du candidat éliminé de la Nupes, où il totalisait 1607 voix, la nouvelle députée a progressé de 1307 voix…

(avec Suzanne Leenhardt)