Cinq cents ex salariés de LFoundry Rousset veulent faire reconnaître une faillite organisée
Plus de 500 ex salariés de l’usine de Rousset demandaient réparation, jeudi, devant le tribunal d’Aix, huit ans après leurs licenciements. Ils se disent victimes de la "faillite frauduleuse " orchestrée par l'ancien propriétaire, Atmel. Lequel se décrit comme "une entreprise modèle".
Fiodor Rilov défendait, devant la chambre civile du tribunal judiciaire d'Aix, plus de 500 anciens employés de LFoundry. (Photos C.By.)
Il est à peine plus de 8 h et les premiers sont déjà là. Sous les acacias qui s’alignent autour de l’antenne du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, au Jas de Bouffan, on s’interpelle : “Oh, Michel ! Qu’est-ce que tu deviens ?” Sur le parking, ils sont bientôt une grosse centaine sur les 538 plaignants convoqués à 9 h ce jeudi 1er juillet devant la chambre civile du tribunal. Certains arrivent en klaxonnant. D’autres causent retraite, naissance des petits-enfants. Mais surtout, on parle de LFoundry.
Tous sont d’anciens salariés de l’usine de fabrication de semi-conducteurs installée à Rousset et liquidée en décembre 2013. Tous poursuivent leur précédent employeur, Atmel, pour avoir revendu cet outil de production à l’entreprise allemande LFoundry “en sachant pertinemment que ce repreneur était en très grandes difficultés financières”, synthétise Jean-Yves Guérrini, ex-représentant CFDT du site. À l’époque quelque 720 personnes avaient perdu leur emploi.
À la barre, faire la démonstration de “cette faillite frauduleuse” qu’aurait orchestrée Atmel est tout l’enjeu de la plaidoirie de Fiodor Rilov, l’avocat des salariés. Plaidoirie, c’est vite dit. Au bout d’une demi-heure, l’avocat est sèchement interrompu – il le sera trois fois en tout – par la présidente Hélène Meo qui lui demande d’accélérer. La procédure est écrite, précise-t-elle, nul besoin de plaider sur la longueur.
On a ici une affaire emblématique de la défaisance sociale.
Me Fiodor Rilov
Pour Fiodor Rilov, les faits sont caractérisés : “On a ici une affaire emblématique de la défaisance sociale.” Il décortique la mécanique : une entreprise se débarrasse de ses salariés en les logeant dans une société créée pour ce faire, afin d’échapper aux règles du droit social. “Cette société, une coquille vide, va être cédée à des repreneurs bidons qui n’ont pas de projet, pas d’argent et ne viennent que pour effectuer cette mission frauduleuse”, décrit-il avant de préciser que le site d’Atmel à Rousset a, d’ailleurs, été cédé pour l’euro symbolique à LFoundry.
Il déploie sa démonstration “d’une opération calculée pour priver les salariés d’un plan de sauvegarde de l’emploi (…) et faire supporter le coût des indemnités par la collectivité [via le régime de garantie des salaires (AGS), ndlr]” : “Cela les a amenés à être licenciés quasiment sans mesures d’accompagnement et à percevoir des indemnités au ras des pâquerettes.” Voilà comment “quand on est une multinationale on parvient à externaliser les licenciements !”, dit-il encore.
Il aimerait bien démontrer aussi qu’il y a eu une entente entre Atmel et LFoundry avant la cession, en juin 2011. Car Atmel est resté client de son repreneur et devait, au motif de la sauvegarde de l’emploi, honorer un certain nombre de commandes sur quatre ans. Ce qui n’a pas été le cas. Mais plus Fiodor Rilov parle dollars et “layers” (couches de semi-conducteur) et plus la présidente Meo s’agace. Une angoisse perceptible étreint les quatre ex-représentants syndicaux autorisés à assister à l’audience. “Cela ne veut pas dire que votre dossier est moins important que les autres”, cherche à les rassurer la présidente qui vient, une nouvelle fois, de demander à leur avocat d’être synthétique.
Entreprise “modèle”
“Il n’y a aucune dissimulation, aucune fraude”, martèle, à l’inverse, le défenseur d’Atmel. David Chijner brosse un tout autre portrait de son client. Après que Gilles Martha, autre avocat de l’entreprise, a plaidé la prescription, David Chijner affirme qu’Atmel “a été propre et net”, que “les salariés ont été consultés”, mais qu’ils ont “préféré choisir d’aller travailler avec le repreneur (LFoundry) plutôt que de fermer l’usine.”
Sur les bancs, les anciens syndicalistes s’agitent. “Être actionnaire, ce n’est pas être assureur ad vitam aeternam; c’est gérer en bon père de famille”, poursuit l’avocat. Il assure qu’Atmel a choisi en LFoundry “un repreneur crédible”. Il peint un tableau d’entreprise “modèle”, championne du dialogue social. Sur son banc, Jean-Yves Guérrini s’irrite, lève la main comme pour prendre la parole. Derrière son masque, la présidente Méo fait non de la tête.
Ils s’imaginent qu’ils auraient pu gagner au Loto. Ils s’imaginent que la République, c’est la Française des jeux.
Me David Chijner
En défense, enfin, le conseil d’Atmel cherche à démontrer que la victime ici… c’est Atmel. À l’en croire, la société américaine serait le souffre-douleur de ses anciens salariés lancés dans “une frénésie” procédurale. Pourquoi ? La partie adverse a, selon lui, fait miroiter aux nombreux plaignants l’espoir d’un jackpot. “Quelque part, j’ai du chagrin pour eux. Ils s’imaginent qu’ils auraient pu gagner au loto. Ils s’imaginent que la République, c’est la Française des jeux”, lâche David Chijner avec une condescendance et un mépris qui laissent baba.
La remarque est d’autant plus cruelle à entendre pour les ex-employés qu’Atmel a bénéficié de nombreux subsides publics. Entre son installation sur un site cédé par la commune de Rousset en 1995 pour un franc symbolique, les fonds européens pour la reconversion industrielle, les AGS ou les indemnités versées par Pôle emploi, un ancien salarié chiffre cette généreuse enveloppe publique “autour de 500 millions d’euros”.
Réparation du préjudice subi
À la barre, Fiodor Rilov demande donc que soit reconnue la faillite frauduleuse et que ses clients voient réparation du préjudice subi, à hauteur d’un montant entre deux et quatre années de salaire chacun. Ou, si le tribunal écarte la fraude, il demande à la justice de sanctionner la négligence d’Atmel. À l’inverse, David Chijner réclame un “article 700.” “Ça veut dire quoi ?”, interroge un ex-employé. Un collègue lui répond : “Ça veut dire qu’ils t’ont pris ton boulot, ils ont bousillé ton outil de travail et maintenant ils veulent que tu leur paies les frais d’avocats…”
Quelques minutes plus tard, sous les acacias, Fiodor Rilov fume une cigarette et raconte l’audience à celles et ceux qui n’ont pu y assister. La matinée tire sur sa fin, mais tous ou presque sont restés. “De toute façon, après, il y a aura sans doute un appel”, glisse une femme, fataliste. “Ça fait huit ans qu’on espère, on n’est pas à un an près…”. Dans son polo bleu, Yves Durand fulmine : “Ce dossier, ce n’est pas que du papier. Ce sont des hommes, des femmes, des familles, avec des émotions, un honneur… Tout ça a été bafoué. C’est cette reconnaissance-là que l’on attend. » La décision a été mise en délibéré au 31 août.
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Dans ce genre d’affaire, je me demande pourquoi les pouvoirs publics ne sont représentés : la commune, le département, la Region, lEtat. Ils ont donné des subventions, ils ont été floués, ils mènent une politique économique pour l’emploi, luttent contre le chômage, pourquoi ne soutiennent ils pas les salariés maltraités de leur commune/dept/region ?
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