Le voyage en Alcazarie de José Rose

LE COIN DES BD

Jour de bulles.

Pas facile de s’y retrouver dans les BD. Auteurs, dessinateurs, héros, genres : tous les classements se justifient et souvent s’entremêlent. “C’est pour ça qu’on est là”, m’explique le spécialiste du lieu en me guidant parmi les rayons. Vous avez d’un côté les séries, de l’autre les one shot, d’un côté les franco-belges (même format, vignettes, style classique), de l’autre les alternatifs (thèmes différents, graphisme, absence de norme, “très cul, très hard, pas pour les enfants”), d’un côté les mangas, de l’autre les comics… Et si l’on rajoutait une rubrique bande décimée pour honorer Wolinski, Cabu, Charb, Tignous et Honoré, ces artistes du rire qui dérange, du trait qui fait mouche et de la déconnade sérieuse ?

Je me précipite bien sûr sur les auteurs du jour et de notre vie et retrouve ce dialogue prémonitoire, dans Dernier voyage, mettant en présence un homme convenable et une secrétaire plantureuse imaginés et imagés par Georges Wolinski : “Bonjour mademoiselle je voudrais mourir… Bonjour monsieur, comment voulez-vous mourir ? De rire, de peur, d’ennui ? Mourir de plaisir, de faim, de fatigue ? … Je voudrais finir mes jours c’est tout… Vous êtes seul ou accompagné ? … Seul… C’est très chargé en ce moment. J’ai peut-être un créneau, si vous voulez mourir en martyr… Je n’y tiens pas”.

Puis je cherche des titres en rapport avec mon voyage. Existe-t-il des BD évoquant les bibliothèques ? Dans quel album de Tintin le général Alcazar apparaît-il pour la première fois (si ça vous casse la tête vous pouvez donner votre oreille au chat) ? Et je m’installe face à une grande affiche rouge et noire avec femme masquée. Derrière moi, deux femmes avachies dans les fauteuils bleus. L’une lit La vie de couple, l’autre On fait comme on dit de Pétillon. Puis elles sortent de leur cabas deux albums des Bidochons. Effet miroir assuré. Sur la table basse voisine, une pile de mangas en équilibre instable sur laquelle je pose délicatement un des titres de la série One piece
comme je le ferais en passant près d’un cairn. Pas facile tout de même de lire de droite à gauche, mais c’est jouable quand il s’agit simplement de capter à la volée les onomatopées qui emplissent les pages de mangas. Plié en deux, mais debout, un jeune homme feuillette à toute vitesse les albums Captain America. Il y a l’intégrale, ça va te plaire, dit le père qui semble s’y connaître.

Non loin de là, un bibliothécaire conseille un homme qui veut découvrir la BD. Le dessin de celui-ci est très contemporain, c’est bien pour démarrer… Vous croyez ? … Dans le même esprit, il y a aussi celui-là… Je vais peut-être prendre celui-ci… Ouais, ouais, c’est pas mal non plus. Après, il y a Pratt bien sûr, vous connaissez je suppose ? … Oui, oui, j’aime bien les polars… Alors, c’est plutôt ici. Je vous conseille ces trois volumes, c’est très
bon, c’est noir, mais avec un peu d’humour, disons plutôt ironique… Je vais m’arrêter à ça, dit l’homme maintenant chargé d’une douzaine d’albums. C’est pas trop ? s’interroge la femme qui s’avance vers lui avec une pile équivalente tandis que le bibliothécaire remet un peu d’ordre dans ses rayons.

« Au fond, est-ce que ranger ça ne revient pas un peu à foutre le bordel dans son désordre » dit le Chat de Philippe Geluck dans un de ses phylactères.