Un parc en chemin
Photo Loïc Magnant.
Le Bureau des Guides du GR2013 propose une nouvelle chronique qui met en lumière un aspect du territoire de la métropole. Quelque part entre l’enquête et la promenade, la poésie et le diagnostic urbain, les créateurs du sentier vous invitent dans les coulisses du GR2013. Mises bout à bout, toutes ces histoires forment la trame d’une culture métropolitaine partagée. Pour ce second épisode, balade autour des lettres géantes sous Grand Littoral.
On est fin juillet, il n’est que 9 h mais on frôle déjà les 30°C. Pas idéal pour aller se balader… Mais le groupe de marcheurs qui finit tranquillement son café au bar du Pont de Saint-Antoine semble prêt à affronter la chaleur pour l’exploration d’un fragment des quartiers nord, quelque part du côté de Grand Littoral. Habitants, musiciens, constructeurs, performeurs, tous ne se connaissent pas encore.
L’expédition va marcher dans les pas de Lucien Vassal. Né dans le quartier voisin de Saint-Louis et toujours habitant de Saint-Antoine, il est tout à la fois cueilleur de plantes sauvages, ancien professeur des collèges, érudit et écrivain des savoirs locaux, ex-maire du 15/16… et donc grand arpenteur.
C’est avec ses récits que nous rejoindrons la “Coulée verte”, appellation lisse pour un terrain accidenté. Largement artificialisé au cours de la construction de Grand Littoral au début des années 90, il est peu à peu revenu à une forme “sauvage” au fil des déboires techniques et institutionnels qui ont accompagné la naissance de ce centre commercial aux pieds d’argile.
Quand Lucien était minot, on n’appelait pas ça la coulée verte mais le Marquisat. Ce grand domaine du marquis de Foresta était son terrain de jeux et d’aventures, son lieu de tous les possibles. La famille Foresta était l’une de ces grandes familles bourgeoises que l’on trouve installées au 18e et 19e siècle dans le terroir marseillais. Entre Saint-Antoine et la Viste, elle avait racheté le château des Tours et sa belle pinède, mais aussi les nombreuses terres argileuses formant cette colline suspendue sur la mer.
Nous longeons l’avenue de Saint-Antoine, marche d’approche nécessaire pour entrer dans les plis de ces quartiers à la fois ruraux et industrieux qui entouraient et composaient le bassin de Séon.
Sur l’avenue de Saint Antoine, route royale “qui trace droit” conçue par l’ingénieur Nougaret peu avant la Révolution française pour connecter Marseille au reste du royaume, surgissent des anciens cinémas reconvertis en supérette ou en temple évangéliste, un poteau Eiffel, un ancien relais de poste, un tout nouveau parking pour la halte SNCF pas encore multimodale, des résidences fermées à l’affût de la vue sur mer. Les souvenirs de Lucien révèlent à la fois ces traces fragiles et leur donnent corps, historicité, sens.
Photo Julie de Muer
Alors qu’on se rapproche de la Viste en longeant de loin le massif de l’Étoile, la bascule s’opère et le regard rencontre soudain l’horizon portuaire. Nous sommes à la lisière de l’ancien domaine, en surplomb de Grand Littoral. Le panorama est saisissant, balayant de la Côte bleue aux îles du Frioul. Mais c’est surtout dans les strates et les éléments combinés qui nous séparent de la Méditerranée que les images stimulent. En arrière-plan, le grand port maritime s’étale. Ses grues bleutées pourraient ressembler à de grands insectes à longues pattes ou à des créatures d’heroic fantasy. À leurs pieds, le jeu de lego des conteneurs en transit, les alignements de cuves rondes stockées pour un voyage immobile et de vastes étendues incertaines. Côté colline, ce sont les récentes grandes lettres “Marseille” qui raflent la mise. Au loin l’un des bateaux de croisières Costa reprend sa route.
D’ici, l’ancienne ligne de côte qui longeait par le chemin du Littoral Saint-André puis Mourepiane jusqu’à l’Estaque apparaît avec évidence. Coincé aujourd’hui entre l’extension du port et l’autoroute A55, Saint-André semble niché entre ses anciens fronts de mer et d’usines.
La nappe urbaine qui entoure le village a mangé les cheminées des tuileries mais la dernière d’entre elles, Monnier, s’active discrètement au pied de la colline remblayée. Car sous nos pieds, il n’y a plus grand chose de la terre d’argile façonnée par les pioches des ouvriers des tuileries et par les jeux d’enfants de Lucien. La légende dit que le volume de béton injecté dans la colline remodelée serait l’équivalent des remblais dégagés par le percement du tunnel sous la Manche.
Quand on pénètre dans la coulée verte aujourd’hui, on est saisi par l’immensité de cette zone de nature indécise. Dans le projet initial de ZAC (zone d’aménagement concerté), le centre commercial était accompagné de programmes de logements, de services et de vastes espaces verts aménagés. On a longtemps vu sur les plans et les maquettes figurer un parc animalier, générant avec le temps une sorte de fantasme collectif autour des animaux qui pourraient enfin s’installer dans cette terre promise.
En marchant avec Lucien c’est plutôt les oiseaux qui nous apparaissent. Encore aujourd’hui on peut y croiser l’aigle de Bonelli, et beaucoup de souvenirs de chasse, où la perdrix et la grive participent à améliorer l’alimentation de la famille ouvrière.
Au fil de la balade, dans cette étrangeté des lieux renforcée par l’abandon progressif du site pourtant revégétalisé et partiellement aménagé, il nous apparaît comme des mirages. Les bassins d’orage se confondent avec les étangs industriels d’antan, le château des Tours flotte dans les airs au-dessus de Leroy Merlin, une cascade de tuiles jaillit sur la pente, des jardins potagers surgissent au détour de la colline aride, le voisin qui fait ses pompes sur le chemin défoncé fait émerger le geste quotidien d’un soldat en attente d’action à la veille de la libération.
Dans les usages d’une colline urbaine, transformée par l’industrie, bombardée par la guerre, remodelée de haut en bas, lacérée par les motos et les canettes, se dégagent à la fois un désastre et la possibilité d’un imaginaire. Il relie une multitude de presque-riens qui organiseraient, comme le proposait l’artiste Robert Smithson à propos de la notion de parc, “un processus continu de rapports et d’échanges existant dans un domaine physique : le parc devient une chose-pour-nous”. Le GR 2013 s’est envisagé comme la possibilité de l’invention d’un parc, non pas un enclos qui ferme mais un processus infini (le 8) qui donnerait sens et poésie à la centralité métropolitaine.
En explorant la coulée verte, nous nous invitons à voir les choses dans la multiplicité de leurs relations et non comme des objets isolés.
De cet imaginaire nous espérons pouvoir produire des nouvelles formes d’hospitalité, de circulations, d’échanges qui feraient de ce parc “une chose-pour-nous”.
Lucien nous appelle au loin. Il nous invite à écouter la source. Celle où il allait chercher l’eau petit mais celle aussi qui permet aujourd’hui encore aux jardins potagers voisins de prolonger l’utopie d’une terre nourricière.
Je colle mon oreille aux rochers, et fermant doucement les yeux, je l’entends couler…
Julie de Muer pour le Bureau des guides du GR2013
* Cette balade d’exploration s’est déroulée dans le cadre du projet en cours Central Foresta, porté par Yes We Camp, Hôtel du Nord, Résiliance avec le Bureau des guides du GR2013 et de nombreux habitants, artistes et acteurs locaux. Une journée publique d’exploration collective aura lieu le dimanche 9 octobre avec des balades, des performances, des temps d’échanges pour l’émergence collective d’un parc métropolitain sur ces terrains. www.hoteldunord/www.yeswecamp
Par ailleurs, Marsactu a consacré un article au projet porté par l’association Yes we camp et le promoteur Résiliance que vous pouvez relire ici.
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