Rendre compte des expos difficiles

Chronique
le 3 Juil 2018
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Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il a visité trois expositions d'art contemporain.

Rendre compte des expos difficiles
Rendre compte des expos difficiles

Rendre compte des expos difficiles

Raconter ce que l’on voit mais qu’on comprend mal, voire pas du tout, est difficile. Singulièrement quand il s’agit de cet art contemporain qui mélange délibérément tableaux et vidéos, textes et performances, sculptures et causeries. Et qui met souvent en scène le lieu même de sa… mise en scène ! Que ce soit une ancienne poste, une bourse de commerce ou un hangar du grand port maritime de Marseille.

Le plus simple pour le spectateur naïf est de relater son émotion au moins quand les œuvres exposées en provoquent une, immédiate. Cela a été le cas pour moi dans l’ex-poste Colbert, érigée sous le nom d’Hôtel des postes et télégraphes en 1891 et active jusqu’en 2012 (1).

L’artiste béninois Dominique Zinkpe exposait tableaux et sculptures dans la carcasse de l’immeuble devenue apparente, entre des poutres et des colonnes râpées et le sol poussiéreux, dans le cadre des ateliers quel amour de MP2018. On entendait même le bruit de machines, scies électriques, moteurs, marteaux des travaux en cours dans l’autre partie de l’immeuble. Mais on était immédiatement frappé par les installations de ce créateur béninois, aussi naïves que très contemporaines : sa pirogue multicolore était posée sur des centaines de tongs ; elle était peinte de tous les drapeaux du monde et contenait des centaines de petites statuettes colorées béninoises, toutes différentes : cet étrange objet de cinq mètres de long semblait afficher une mondialisation heureuse des cultures ; d’autant qu’elle faisait face à des statuettes un peu solennelles et vaguement sévères posées sur des planchettes ornées de drapeaux d’Europe de l’Ouest.

Cette interprétation très subjective de l’œuvre est peut-être fausse, mais son élégance et son humour étaient aussi frappants que l’immense lustre du créateur accroché au milieu de la pièce auquel étaient suspendues des milliers de statuettes rouges, bleu foncé, rose, violettes… Cet humour grinçant peut tout autant souligner une confrontation plus tragique entre Afrique et Europe où des milliers de femmes et d’hommes disparaissent en tentant de passer de l’une à l’autre.

Au J1, où JR avait exposé une étrange performance (?) aquatique très obscure, Korakrit Arunanondchai, artiste thaïlandais, avait installé son travail qui, lui, restait ouvert sur le grand large, le Frioul, les bateaux du port –et le soleil. Il fallait -la précision était dans l’invitation- y venir avec des bonnes chaussures. Le sol de l’immense hangar était en effet recouvert d’une sorte de latex goudronneux (?) fait de terre provençale et/ou thaïlandaise, dans laquelle il a incrusté des centaines de coquilles d’huîtres, de moules, de couteaux, de bigorneaux, de morceaux de carapace de crabe, tous produits récoltés ici.

Au pied d’une colonne gisait sur le dos, jambes écartées, un corps masculin formé de ces coquillages : sépulture à laquelle sont agrippées huit tentacules de poulpe, le visage du gisant est vert. Autre gisant de plus petite taille : le visage, noir, est formé de morceaux de machine… Installé sur des matelas gris on pouvait alors voir le film de Korakrit Arunanondchai qui vit à New-York. Mélange détonnant et souvent mystérieux dans lequel une personne transgenre peinte en vert côtoie des images de l’enterrement officiel du roi de Thaïlande et des prises de vue qu’on croirait familiales. En tous cas naïves et qui contrastaient avec les vues initiales. « Grand artiste multidisciplinaire dont le travail (…) est une connexion audacieuse entre ses racines thaïlandaises et sa carrière d’artiste occidental » écrit la présidente de MJ1. Cela apparaît clairement, plus facilement en tous cas que «la spiritualité dans un monde globalisé et le frottement entre animisme et technologie moderne ». Encore que, quand on a lu ces mots des commissaires de l’exposition, on comprend un peu mieux ce qu’on a vu –et un peu ressenti.

L’immense hall de l’immense Chambre de commerce a été transformé en immense salle d’exposition par Jonone, célèbre (?) créateur de street-art new-yorkais. Quinze mètres de haut et cinq de large pour une toile qui domine le hall devenu cathédrale, et dix-sept toiles multicolores, acrylique sur toile, Falling form the sky ou Cuba libre. Cette explosion d’expressionnisme abstrait, a été conçue spécialement pour ce lieu, en cette année de Quel Amour. Elle s’intitule Abstracted love. Elle est en effet bien plus abstraite que d’autres moments de cette étonnante saison…

J’ai aussi rôdé dans la mystérieuse exposition Vos Désirs sont les nôtres, à la Friche de la Belle de Mai. J’y ai vu une toile figurative amusante de Kudzana-Violet Hwami Aint’leaving this country : un homme est installé devant la mer sur une sorte de pirogue orange. Ou Yellow fever, du même, sur laquelle deux danseuses nues se regardent. J’ai regardé une vidéo dans laquelle un moustachu moqueur prétendant s’appeler Jean-Claude Gaudin présente Marseille et ses célébrités : Jean-Claude Gaudin, Zinedine Zidane, M. et Mme Macron : auto-ironique, drôle… Mais je n’ai pas bien compris pourquoi, dans une autre salle, étaient suspendues d’immenses chaînes métalliques. On peut s’appuyer dessus. Bon.

(1) J’y ai appris avant les années 80 à taper au telex, instrument de transmission aujourd’hui disparu.

(2) Puisque j’ai exploré des endroits que je connaissais mal et vu des choses que je comprenais mal… J’ai découvert ce petit tableau d’une non-professionnelle que je ne connaissais pas du tout, Caroline Barreau : elle peint son œuvre sur/avec un cageot ordinaire dans lequel on met des fruits : je le trouve superbe !

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