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Les nouveaux piétons de Marseille

R comme religion

Chronique
le 2 Déc 2017
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Tous les mois, la chronique du nouveau piéton de Marseille regarde la ville à travers le prisme de l'abécédaire. Il s'attaque cette fois-ci à la lettre R.

R comme religion
R comme religion

R comme religion

Cette chronique, piochant alternativement aux deux bouts de l’alphabet, un coup le Z, un coup le A, un coup le Y, un autre le B, se propose de faire en 26 abécédaires un portrait de Marseille qui se terminera au M, lettre médiane et symétrique. 26, séries, 26 thèmes déclinés eux-mêmes en 26 photos sans prétention photographique, en 26 textes éventuellement. Nous voici ainsi arrivé à la lettre R. Religion, c’est donc le mot choisi par notre chroniqueur Michéa Jacobi qui présente ainsi ce thème : 

L’itinéraire à travers les religions que nous vous proposons ce week-end ne reflète ni le nombre de leurs fidèles ni la beauté de leurs temples. Il prétend encore moins donner une opinion sur telle ou telle foi. Non, c’est une promenade subjective et curieuse, sans autre prétention de comprendre un peu mieux les gens qui ont la capacité de prier et les églises qui leur indiquent comment faire.

A : Temple Antoiniste, 32 Traverse Tiboulen, 13008

L’ordre alphabétique met heureusement à la première place de ce parcours une religion ultra-minoritaire. C’est la foi des disciples de Louis Antoine, dit « Le Père », ancien mineur belge. Ce curieux prophète prêcha au siècle dernier une sorte de monothéisme œcuménique qu’il eut la bonne idée d’introduire par le précepte suivant : « Si vous m’aimez, vous ne l’enseignerez à personne. » Quand on connaît les excès auxquels peut conduire le prosélytisme, ce n’est pas si mal.

Le temple antoiniste s’élève dans le quartier de la Pointe Rouge. Si vous voulez, sans quitter votre écran, y passer quelques minutes, vous pouvez utiliser ce lien.

 

B : al-Badr, 5 rue Mission de France, 13001

Il arrive que les temples changent de religion. La basilique Sainte Sophie d’Istanbul s’est changée en mosquée, la mosquée de Cordoue, suivant une route contraire, s’est transformée en cathédrale. Marseille a récemment été le théâtre d’une telle métamorphose. Rien de spectaculaire ou de violent. La petite communauté juive des grossistes de Belsunce a simplement cédé sa salle de prière à la communauté musulmane. Qui pour, qu’il n’y ait aucune méprise, a scotché sur la façade, l’avertissement suivant : « Information au facteur : cette adresse concerne uniquement l’association al-Badr et ne concerne plus l’association or-Torah ».

 

C : Chutes Lavie, Avenue des Chutes Lavie, 13004

Le ciel et la mort sont les plus grandes affaires des religions. Pour atteindre l’un et échapper à l’autre, le christianisme et l’islam ont eu la même idée : élever des tours. Les unes équipées de cloches, les autres habitées par un muezzin, ou un haut-parleur. Clochers ou minarets, c’est la même préoccupation. Aux Chutes-Lavie (le nom même du quartier dit combien l’élévation est nécessaire), la tour de béton de Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus paraît les jours de mistral prête à atteindre son but. Ou à défaillir.

 

D : Défendent 240 Avenue de Toulon, 13010

Il y a des saints plus connus que d’autres. Saint Défendent est en bas du tableau. Menpenti n’en a cure. Entre deux boutiques, le quartier rend un hommage discret à ce légionnaire décapité sur les bords du Rhône. Et pour qu’il ait un peu plus de fidèles, il en a fait le patron de la communauté des chrétiens du Vietnam.

 

E : Être bon (les Pèlerins d’Arès), 38, rue Saint Savournin, 13001

C’était la boutique d’un tripier, d’une mercière ou d’un droguiste. Le commerce a fait long feu, une église évangélique ou une autre secte chrétienne s’est installée à sa place. Elle reçoit une ou deux fois par semaine une poignée de fidèles que les chaises pliantes et l’étroitesse des lieux n’empêchent pas de suivre pieusement l’office. Ici, sous l’enseigne ÊTRE BON, ce sont les pèlerins d’Arès (du village où leur prophète : Michel Potay, reçut la révélation en 1974) qui se donnent rendez-vous.

 

F : Fausse mosquée de l’arsenal des galères, parc Valbelle, 584 avenue du Prado, 13008

Non, l’édifice abandonné sur les pelouses du parc Valbelle n’est pas issu d’un ancien cimetière des Turcs répertorié au XVIIIe siècle. C’est le morceau d’une villa de style oriental autrefois située rue Paradis. Non le romantique kiosque de pierre qui voisine le David n’est pas une mosquée. Ni une chapelle, ni le temple d’une autre religion. C’est une ruine solitaire et bizarre où ceux qui n’ont choisi aucun dieu peuvent prier qui bon leur semble.

 

G : Saint Georges, 95-97, avenue de la Corse, 13007

L’église Saint-Georges fait partie d’un ensemble conçu dans les années soixante pour la société immobilière La Savoisienne par l’architecte Claude Gros. Elle partage son entrée avec une salle de spectacle. Autrefois, cette salle accueillait toutes sortes de manifestations. C’est ainsi qu’à la fin du XXe siècle, les fidèles risquaient, en se trompant de porte, de se retrouver dans un concert de Vince Taylor (1974), au Festival pour le droit d’expression des travailleurs immigrés (1979) ou au gala de l’Université d’Été Homosexuelle (1985).

 

H : Saint Henri, 12, chemin du Passet, 13016

Le clocher de Saint Henri est celui de l’église mais aussi celui des maisons qui lui sont accolées. C’est comme au Moyen Âge, l’église est intimement mêlée au tissu urbain. Mais comme la religion ne fait rien comme les autres, sa tour n’est pas, dans ce quartier consacré à l’argile, couverte de tuiles mais de zinc.

 

I : Saint Irénée, 1 Rue Raoul Ponchon, 13010

La religion orthodoxe est celle des pays slaves. L’église Saint Irénée se trouve donc logiquement à la sortie est de Marseille. Il suffit de grimper sur la bretelle de l’autoroute d’Aubagne pour apercevoir son dôme, ses cinq oculus et l’enseigne d’une pharmacie accrochée à sa façade. Une pharmacie, comme si les soins du corps ne pouvaient se passer de ceux de l’âme !

J : Saint-Jerôme, église apostolique arménienne Saint Sahag et Saint Mesrob, 6, boulevard Charles Zeytountzian, 13013

La petite église apostolique de Saint-Jérôme, proprette derrière ses deux platanes émondés, raconte à sa manière discrète l’histoire de sa communauté. Ce sont les origines avec Mesrob, inventeur de l’alphabet arménien, c’est l’enracinement dans la ville des survivants du génocide avec les modestes villas qui l’entourent, c’est l’intégration, pour le meilleur et le pire, dans l’histoire de la France avec le nom de la rue, Charles Zeytountzian, jeune appelé tué en Algérie.

 

K : Kennedy, synagogue du Carlton, 395 Corniche Kennedy, 13008

Marseille peut s’enorgueillir de posséder, dans un des quatre niveaux du Carlton Beach, une des synagogues les plus maritimes du monde. Et les fidèles qui chaque samedi vont à pied vers ce temple, mesurer en contemplant la Méditerranée, la grandeur et la beauté du Dieu qu’ils ne peuvent nommer.

L : Notre-Dame-Limite, 6, rue du vallon Dol 13015

Notre-Dame-Limite est, sous la surveillance des dernières cités des quartiers Nord (HLM Perrin, Kallisté, la Solidarité), un temple fragile et discret. Marseille s’arrête à son pauvre clocher (d’où le nom de Limite), au-delà, c’est Septèmes. Non loin, d’autres limites sont en jeu. Celles qui courent entre les pavillons de l’hôpital psychiatrique Édouard Toulouse.

 

M : Marie Majeure ou Major, Place de la Major, 13002 Marseille

Walter Benjamin disait d’elle : “La cathédrale, c’est la gare de la religion de Marseille. On assemble ici, à l’heure de la messe, des trains de wagons-lits pour l’éternité.” Mais la statue de Monseigneur Belsunce qui se dresse devant le portail n’a que faire des métaphores ferroviaires : c’est la mer et les ferries qu’elle bénit et bénit encore.

 

N : Notre-Dame-de-la-Garde

Tout le monde est monté à Notre-Dame-de-la-Garde pour regarder la Méditerranée. Vous y êtes montés aussi, vous y retournerez. Souvenez-vous alors de ce qu’écrivait Edmond Jaloux : « Si l’on fait le tour de la basilique et que, tournant le dos à la Corniche, on regarde la cité au lieu de la mer, on voit s’étendre à ses pieds ce corps admirable, mystérieux et gigantesque, qu’est une ville à vol d’oiseau. »

 

O : Œuvre Allemand, 41 Rue Saint-Savournin, 13005

Le diocèse écrit : « Le projet éducatif de l’Œuvre reste celui de son fondateur : accueillir tout au long de l’année les enfants et les adolescents afin de leur permettre, à l’occasion et par le moyen des loisirs, de construire toutes les dimensions de leur personne y compris la dimension spirituelle ». La statue à l’entrée résume : « Ici on joue, ici on prie. »

 

P : Phaphoa Tu, 3 Chemin de la Pagode, 13015

C’est le propre d’une grande ville de fournir à ses habitants tous les lieux de culte imaginables, C’est le propre des temples les plus excentriques de se trouver dans les lieux les plus inattendus. Sur la pente qui dégringole de la cité de la Savine au viaduc du Vallon des Tuves, entre quatre balustrades hérissées de fleurs de lotus en ciment, au milieu des genêts et des pins, se dresse la statue géante d’un bouddha doré. C’est le Bouddha Çakya du temple Phaphoa Tu, l’âme sereine des quartiers Nord qui surveille avec une indifférence consommée les autos et les camions qu’expectore le tunnel de l’autoroute.

Q : El Quouds, 26 rue des Récolettes, 13001

Au coin de la rue des Récolettes et de la rue Poids de la Farine, la mosquée El Quouds affiche un impeccable horaire des prières et un dessin invitant les fidèles à ôter leurs chaussures (tous y pensent) et à éteindre leurs portables (certains oublient). Elle fut autrefois accusée de disperser ses ouailles dans la rue. C’est fini. Mais au-dessus du temple, l’hôtel a gardé son enseigne : Triomphe.

 

R : Rose de Lima, 105, avenue de la Rose, 13013

Snack Ishtar, coiffure VIP, bar des Quatre Chemins, c’est au coin de l’avenue de la Rose et du chemin de Fuveau que l’église de la Rose arrondit son grand mur de béton. Un peu plus loin, le palmier d’une vieille villa donne au promeneur l’impression d’être ailleurs, très loin des quartiers Nord. C’est une Rose du Nouveau Monde que célèbre d’ailleurs l’église du quartier.

 

S : Saints des Derniers Jours, 28 boulevard Joseph Vernet, 13008

Dans les grandes villes, il est courant que les religions minoritaires dressent leurs temples alentour des espaces verts: . La mosquée de Paris est au bord des jardin des Plantes, en marchant vers le parc Borely, qui abrite une chapelle orthodoxe, on découvre Notre Dame du Liban et l’église des Saints des Derniers Jours. C’est le temple des Mormons impeccablement tenu, au-dessus de sa pelouse impeccablement tondue. Le ciel que nous promet cette secte est-il à cette image ?

 

T : Tiferet-Israël, 205 Boulevard de Sainte-Marguerite, 13009

La synagogue Tiferet-Israël ressemble à une mastaba, ou à un blockhaus. Elle a été dessinée par Fernand Boukobza, l’architecte du Brasilia. C’est à la Soukra, en 1880, qu’un autre Boukovza a créé la boukha, l’alcool de figues familier au Juifs de Tunisie.

 

U : Eglise Unie de France : 15 Rue Grignan, 13006 Marseille

Le temple de la rue Grignan est en principe celui de la HSP (Haute Société Protestante) de Marseille. La fréquentation est en fait beaucoup plus diverse. Je le sais parce qu’en bon amateur d’exégèse biblique, j’ai quelquefois eu la faiblesse d’aller assister à l’office.

 

V : La Viste, traverse Bonnet 13015

Spinoza est pour la plupart d’entre nous le nom d’un philosophe. Il a écrit « qu’il est certain que les hommes les plus avides de gloire, sont ceux qui crient le plus fort contre l’abus de la gloire et la vanité du monde. » Son homonyme, l’abbé Spinoza de la Viste, aura sans doute échappé à ses critiques.

 

W : Viens et vois, 61 rue Jean Cristofol 13003

L’Evangile est évangile («bonne nouvelle ») pour des millions de gens. C’est une si bonne nouvelle que beaucoup veulent l’annoncer à leur façon. D’où la multiplication des églises évangéliques, cherchant chacune la bonne manière de convertir l’homme du commun. Viens et vois n’est pas une mauvaise formule. Il n’empêche. Les prêcheurs prêchent et les passants passent !

 

X : Saint Pie X (fraternité) , 44 rue Tapis Vert, 13001

Marseille ne fait rien comme les autres villes. Si vous voulez assister à une messe traditionaliste, ce n’est pas dans un arrondissement chic qu’il faut vous rendre, mais en plein cœur de Belsunce, quartier de pauvreté et d’immigration. C’est là, dans l’église de la Mission de France, que les fidèles peuvent suivre une « célébration selon la forme tridentine du rite romain ». Et si l’église est fermée, il pourront toujours sonner à la porte d’à côté ou une vieille étiquette scotché indique qu’il y a, ou qu’il y avait, une petite synagogue nommé Keter Torah.

 

Y : Yavné 48 Boulevard Barry, 13013 Marseille

La gematria est une forme d’exégèse biblique qui placent les chiffres et les nombres au premier plan. Il y a belle lurette que les synagogues de Marseille pratiquent, tensions religieuses obligent, une triste forme de gematria. Celle ci consiste à coder les entrées des édifices afin de les rendre plus sûrs. Yavné, entre la porte de son bain rituel et les quatre étoiles de son portail, n’échappe pas à la règle.

 

Z : Zèle (œuvre de Jeunesse d’Endoume, 211 Rue d’Endoume, 13007)

Dans l’entrée de l’œuvre de jeunesse Timon David d’Endoume sont entreposées toutes sortes de choses plus ou moins obsolètes : des statuettes poussiéreuses, un oriflamme processionnaire, un portrait du créateur. Et sa définition du zèle imprimé sur un morceau de tôle cloué au mur : “Sans notre zèle, notre œuvre est un corps mort et je ne parle pas seulement du zèle des directeurs, mais je veux parler du zèle de tous les membres.”


Écrivain, dessinateur et linograveur, Michéa Jacobi a fait de l’alphabet le bâton de marche d’une quête littéraire. Celle de lire le monde à travers les 26 lettres de l’alphabet. Aux éditions la Bibliothèque, il a entrepris un grand œuvre baptisé humanitas elementi réunissant 26 ensembles de vies humaines réunies par leur obsession commune. Chacune de ces classes comprenant 26 biographies, cela porte à 676 les vies ainsi rassemblées. En parallèle, pour Marsactu, il a croisé cette obsession alphabétique du monde avec sa passion de piéton arpentant sa ville. Il le fait souvent avec son complice, le photographe Luc Barras. Vous pouvez trouvez ci-dessous les inventaires déjà parus.

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