Iliès Hagoug vous présente
Que de la bouche !

[Que de la bouche !] Hommage au makroud

Chronique
le 5 Avr 2025
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Après avoir raconté les nuits marseillaises, Iliès Hagoug s'intéresse désormais à ces établissements de bouche qui font les identités de la ville. Cette semaine, on croque un gâteau incontournable : le makroud.

Montagne de makrouds à Noailles. (Photo : CMB)
Montagne de makrouds à Noailles. (Photo : CMB)

Montagne de makrouds à Noailles. (Photo : CMB)

Le restaurant Fémina est niché au pied de la rue du Musée, au cœur de Noailles. Sa salle est caractérisée par sa décoration maximaliste, mêlant les photos des innombrables habitués aux assiettes cassées figées dans le ciment, sans oublier les drapeaux algériens et kabyles, les chapeaux ou encore les tapisseries tendues au plafond. En ce soir de ramadan, les clients sont aussi bien au premier repas de la journée qu’attirés par les guides qui mentionnent l’adresse centenaire. Tous commandent l’énorme couscous, à l’orge ou au blé, qui fait la réputation du lieu.

Pas de quoi laisser beaucoup de place au dessert, peut-on penser ; pourtant, l’arrivée d’un grand plateau à plusieurs étages et aux innombrables pâtisseries maghrébines trouve toujours preneur. En partie grâce au savoir-faire de restaurateur, passé de parent à enfant de la même famille depuis la fondation du lieu, mais aussi, sûrement, car il est dur de résister à une attaque visuelle et gustative aussi forte. Même le couple âgé et anglophone, qui a rendu les armes aux trois quarts du couscous, finit par se laisser tenter par un makroud chacun. Pour lequel ils demanderont une fourchette, pour le plus grand plaisir moqueur d’une grande table de gens plus habitués à en manger, en particulier durant ce mois.

Les statistiques ethniques étant quasi inexistantes en France, et la capacité à savoir qui jeûne parmi les musulmans étant réservée aux tontons et tatas de ces communautés, difficile de savoir combien de personnes ont pratiqué le jeûne rituel du mois de ramadan à Marseille. Mais la capacité d’une grande partie des magasins de la ville à se muer en distributeurs à pâtisseries maghrébines, durant ces quatre semaines pas comme les autres, montre bien que les pratiquants se comptent en dizaines de milliers et probablement en six chiffres. L’apparition du makroud est également, parfois, le signe du début du ramadan pour les autres Marseillais, jusque dans la rédaction de Marsactu. Et son arrivée dans des boîtes-cadeaux du voisin ou des amis, souvent faites à la maison cette fois, est souvent le signe de sa fin.

Semoule de blé et dattes

Sur les étals, les ingrédients sont souvent les mêmes, mais les plaisirs varient. Un peu comme la farine et le beurre qui ont fait la renommée de la pâtisserie française, la semoule de blé se décline de manière infinie : avec un peu d’eau, d’huile et de mains insensibles à la chaleur de la tabouna, la plaque chauffée au gaz, elle devient la kesra, la galette plate. Un peu de farine et de levure plus tard, elle se mue en matlouh, le pain qui sert volontiers de couvert pour les plats en sauce. Par un tour de magie et de beurre fermenté, elle se feuillette et devient m’semen. Et pour les palais sucrés donc, elle est farcie aux dattes, frite, trempée dans un sirop à base de miel et devient le makroud.

Makrouds, zlabias et autres cigares devant Maison Soura, rue d’Aubagne. (Photo : CMB)

Pour ceux qui ne pratiquent pas, il y a souvent une question sur la capacité des Maghrébins à jeûner toute la journée un mois durant, tout en prenant du poids. Le mystère est, là, en partie résolu : cette bombe calorique est aussi facilement mangée avec le thé que grignotée sans réfléchir. Son origine, il y a au moins 1 500 ans, vient plutôt du sud, près du désert, avec pour symbole les dattes qui composent son cœur fondant. Les puristes disent qu’il doit s’agir de deglet nour, les dattes de la lumière, qui sont aujourd’hui encore produites dans les régions désignées comme celles qui ont vu naître le gâteau.

Losange de toutes tailles

D’autres définissent le mot plus comme une forme, le losange de toutes tailles qui caractérise le gâteau. Ainsi, pour les Algérois ou ceux qui en sont originaires, on fait des makroud el louz, losanges à l’amande, enrobés au sucre glace et qui se rapprochent plus de la corne de gazelle. Certains pervers vont même parler de makroud qalb el louz, une simple découpe en losange de ce même qalb el louz, cœur de l’amande, une semoule détrempée de miel et parsemée d’amandes. Une douceur vendue habituellement plutôt en grande barquette, dont la présence sur les tables après le ftour, la rupture du jeûne, est aussi souvent responsable de poussées d’insuline contraires à la perte de poids.

Qu’importe, le makroud revêt une importance suprême dans les communautés maghrébines, un héritage berbère partagé dans toute la région. Et partagé en France naturellement par l’immigration maghrébine jusqu’à nos jours, sans qu’on l’accuse de ne pas chanter La Marseillaise… En fouillant les placards d’un foyer maghrébin, on trouve rarement des planches à billet, mais quelquefois une planche en bois sculpté, qui sert exclusivement à imprimer la forme immédiatement reconnaissable du dos des makrouds.

À Marseille, l’immigration maghrébine est intimement liée à l’histoire de la France contemporaine. Les premiers grand flux viennent d’Algérie, de Kabylie notamment, au début du XXe siècle et par besoin de main-d’œuvre déjà. Une vague massive arrivera en France pour la Première Guerre mondiale, avec près de 200 000 Djazaïris mobilisés pour combattre. À l’époque, le régime colonial est en pleine marche : les Algériens ne sont pas des citoyens de leur pays ou de la France, mais leur service militaire est deux fois plus long que celui des Français. Des combattants qui ne sont pas restés en France, ceux qui ont eu la chance de ne pas mourir au front étant pour la plupart rentrés dans leur pays d’origine.

En montagne

Impossible pour votre journaliste d’oublier ce chibani, qui parlait de son père rentré en Algérie, blessé probablement au-delà du corps, mais qui n’avait jamais perdu le plaisir des makrouds. Il en mangeait chaque vendredi. Une tradition que son fils avait gardée, lui qui avait à son tour traversé la Méditerranée pour reconstruire la France après une nouvelle guerre mondiale. Mais lui est resté en France, symbole d’une immigration maghrébine qui est aujourd’hui encore la plus grande communauté étrangère de Marseille. Et avec eux, la nécessité d’avoir accès au gâteau.

L’immigration tunisienne a aussi participé à diffuser ce gâteau iconique, à travers de nombreux restaurants et pâtisseries “orientales” dans la ville, parfois aujourd’hui des adresses incontournables. Les Délices d’Aix pourraient évoquer à un touriste une adresse chiadée aux produits nécessitant un appel au banquier avant de composer une boîte. Mais les Marseillais qui connaissent l’adresse au bout du cours Belsunce visualisent la montagne de makrouds en vitrine, jusqu’à cacher la vue de la petite salle. Ici, on le mange volontiers comme à la maison, à table, avec un café ou un thé. Et souvent les épaules collées à quelqu’un, un étranger avec qui on finit parfois par échanger. Comme dans bien d’autres tables marseillaises, une excuse pour discuter, en somme.

Commentaires

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  1. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Rien qu’à la lecture de cet article je salive Effectivement Le Femina est le palais du gout ou règne sans partage Mustapha alias Mous L e couscous à l’orge est un régal accompagné d’agneau grillé et de boulettes sans oublier le felfel arrosés de “la cuvée du Président !

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