Q comme quais
Cette chronique, piochant alternativement aux deux bouts de l’alphabet, un coup le Z, un coup le A, un coup le Y, un autre le B, se propose de faire en 26 abécédaires un portrait de Marseille qui se terminera au M, lettre médiane et symétrique. 26, séries, 26 thèmes déclinés eux-mêmes en 26 photos sans prétention photographique, en 26 textes éventuellement.
Jourdan Théodore 1833-1908.
Pittoresque signifie au sens propre : « digne d’être peint ». Quel est l’endroit de Marseille le plus pittoresque ? Quel est celui que les peintres de tous les temps et de tous les acabits se sont acharnés à peindre, à repeindre et à peindre encore ? Ce sont les quais du Vieux-Port évidemment. Des centaines d’artistes en ont fait des tableaux et le nombre, et la diversité de leurs œuvres méritent à coup sûr qu’on en fasse un voyage. Partons.
Albert-Lasard Lou
L’itinéraire semble commencer sous les effets de quelque psychotrope. Le transbordeur se tord, les maisons s’assombrissent, le ciel se fait couleur d’absinthe. On se croirait dans le Haschisch à Marseille de Walter Benjamin. D’ailleurs Lou Albert-Lasard était elle aussi une artiste juive allemande qui fut comme le philosophe enfermée en 1940 dans un camp d’internement.
Brauquier Louis
De l’hallucination, on passe à la neige avec Louis Brauquier. Pour le commentaire, laissons parler le poète :
C’est un hiver, ancien déjà, de Rive-Neuve.
Dans l’atelier glacial j’ai peint de couleurs graves
Le Vieux-Port vert de Chine, un ciel gris, des maisons
Grises avec de la neige sur les corniches,
Sur les toits de l’Hôtel-Dieu, de l’Hôtel de Ville
Le clocher des Accoules et les embarcations
De plaisance rangées, sages, le long des pannes,
En attendant le dégel – ou la fin du monde –
Et que sortent les pêcheurs bleus des bars opaques,
Nous ne savions pas trop quoi faire de ce froid.
J’ai tenté de l’utiliser sur cette toile.
Camoin Charles
La neige a tout blanchi. La peinture est devenue dessin. Ah ! Comme il claque le crayon de Charles Camoin dans les voiles des navires disparus.
Dufy Raoul
Le lyrisme a fait son effet. Avec le vent, le chant des haubans et les couleurs de Raoul Dufy, on s’en va très loin de la ville, vers des contrées où les coques se changent en feuilles, les mats en épines et les maisons du panier en troncs de palmiers.
Edy-Legrand
Est-on vraiment à Marseille d’ailleurs ? On ne sait plus. Eddy-Legrand prolonge le doute. Il a simplement intitulé son tableau : Port méditerranéen.
Ferrari Antoine
On revient au réel avec Antoine Ferrari. Le XXe siècle est là, l’artiste se demande comment peindre ce qui a été cent fois peint avant lui. La question est difficile et toutes les réponses ne sont pas heureuses. Qu’importe. Il faut tenter de représenter, encore et encore, ce sacré Vieux-Port.
Garibaldi Joseph
Ou bien laisser là ses trois-mâts et son incomparable azur pour rester, comme Joseph Garibaldi, dans l’ombre fraîche de l’atelier. Poser les pinceaux, lire le journal, oublier la besogne de rendre compte de la beauté du monde.
Henry Émile
Ou bien s’en tenir, comme Henry Émile à peindre à l’aquarelle les figures des gens ordinaires : pêcheur à la pipe et au bonnet, béret à pompon, passants passant sur le quai, la tour du Roi René à l’horizon.
Inguimberty Joseph
Dockers et chevaux de trait. Les hommes paraissent aussi forts que les bêtes. Le navire aura tôt fait d’être déchargé.
Jourdan Théodore
Vendeur de coquillages. Quelques moules, trois citrons. Celui-là ne risque pas de gagner grand-chose.
Kokoschka Oskar
Décidément le pittoresque, ce genre si vilipendé, veut prendre toute la place. Il ne faut rien moins qu’un élève de Klimt pour tenter d’aller vers quelque chose d’autre. Oscar Kokoschka s’essaie à la sublimation en obligeant les quais et les bateaux peints à l’emporte-pièce à s’enfuir sous un ciel d’apocalypse.
Lefranc Jules
Ou bien, pour en finir avec les visions trop aimables, il faut qu’un soi-disant naïf – Jules Lefranc, ancien quincaillier de Laval – représente les choses telles qu’elles sont : un quai du charbon envahi de charbon.
Marquet Albert
Albert Marquet revient à une vision plus conventionnelle. Il n’empêche, l’horizontale du pont transbordeur et les verticales des mats entre la mer et l’azur font une belle harmonie.
Nattero Louis
Nattero est assez classique lui aussi. Mais gare. Il y a un cœur qui gronde sous l’apparente sagesse de ce pinceau. À l’âge de 45 ans le peintre s’est suicidé sous les yeux de son fils. Ce que c’est que chercher la lumière, la couleur, la beauté !
Olive Jean-Baptiste
Allez, ne soyons pas tristes. Et puisqu’il y a toujours un malin pour parler de sardine quand il est question du Vieux-Port, ajoutons sans hésiter à notre collection cette pochade de Jean-Baptiste Olive, digne des meilleurs tableaux surréalistes.
Pasquier Francis
Ou cette solide paire de matafs qui serrent de près une dame (serait-elle de mauvaise vie ?) qui n’a pas l’air de vouloir s’en laisser conter.
Quilici Jean-Claude
La série va sur sa fin. Nous passerons-nous des bleus très bleus de Jean-Claude Quilici ? Non pas. Le Vieux-Port est un lieu réel et un lieu imaginaire, composé de toutes les images qu’il a engendrées. Même ceux qui craignent d’avoir mauvais goût les ont en tête !
Rubens
Nous n’oublierons pas non plus Rubens, même si le grand tableau qui au Louvre célèbre l’arrivée de Catherine de Médicis dans le Vieux-Port semble assez loin de la réalité. Loin du réel, pas si sûr. Il paraît que certains jours de mistral la Méditerranée consent à laisser voir jusque dans le Lacydon les cuisses, les hanches et les fesses des naïades du maître flamand.
Signac Paul
Il paraît aussi que, peu de temps après l’averse, le ciel, les quais et les bateaux s’amusent à jouer les Signac.
Turner
Ou les Turner.
Unknown
Puis que le Vieux-Port se dépêche de retourner à son cadre ordinaire, comme le fait cet anonyme (cet unknown dit l’anglais) du musée Grobet-Labadié.
Verdilhan Louis-Mathieu
Que les pontons, la mairie et le clocher des Accoules, se cernent, le soir venant, du large trait noir qu’aimait Verdilhan.
Willy (Ronis)
Et que le populo, fatigué de faire de la figuration sur des toiles convenues, migre vers les bistrots qui bordent le vieux bassin.
X
La Partie est terminée. Les eaux pas très propres du port se souviennent du temps où les dames de la Samaritaine, en ombrelles, jupe longue et chignon se marraient sous l’œil sévère des agents de police.
Moholy-Nagy Laszlo (Y)
Où la camera de Moholy-Nagy (avec deux Y) filmait les barques du haut du pont transbordeur.
Ziem Félix
Puis le soleil de Ziem descend entre les mâtures oubliées. La mer est à l’ouest à Marseille.
Écrivain, dessinateur et linograveur, Michéa Jacobi a fait de l’alphabet le bâton de marche d’une quête littéraire. Celle de lire le monde à travers les 26 lettres de l’alphabet. Aux éditions la Bibliothèque, il a entrepris un grand œuvre baptisé humanitas elementi réunissant 26 ensembles de vies humaines réunies par leur obsession commune. Chacune de ces classes comprenant 26 biographies, cela porte à 676 les vies ainsi rassemblées. En parallèle, pour Marsactu, il a croisé cette obsession alphabétique du monde avec sa passion de piéton arpentant sa ville. Il le fait souvent avec son complice, le photographe Luc Barras. Vous pouvez trouvez ci-dessous les inventaires déjà parus.
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Merci pour cette expo !!!
Un vrai bonheur….
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