Michel Samson et Michel Péraldi vous présente
Portraits d'engagement

[Portraits d’engagement] Karima Berriche, “l’émancipation pour les autres et soi-même’

Chronique
le 22 Jan 2019
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Alors qu'ils s'engagent dans la rédaction d'un deuxième tome de leur ouvrage référence "Gouverner Marseille", le sociologue Michel Peraldi et le journaliste Michel Samson partagent avec Marsactu des éléments de leurs recherches préparatoires. L'occasion d'une série de portraits écrits à quatre mains, qui remontent les trajectoires personnelles de celles et ceux qui s'engagent dans la vie de la cité. Pour ce premier épisode, rencontre avec Karima Berriche.

[Portraits d’engagement] Karima Berriche, “l’émancipation pour les autres et soi-même’
[Portraits d’engagement] Karima Berriche, “l’émancipation pour les autres et soi-même’

[Portraits d’engagement] Karima Berriche, “l’émancipation pour les autres et soi-même’

Karima Berriche est née en 1961 aux Pennes-Mirabeau, alors encore un village, jusqu’au départ vers Marseille. D’abord à Kallisté, aujourd’hui un des hauts lieux de cet habitat indigne, dont on parle désormais beaucoup.  Avant d’aller habiter les cités HLM de Picon-Busserine, le cœur de l’ex Zup N°1, en bord de ce qui est désormais la L2.

Je n’avais jamais vu autant de noirs et d’arabes ensemble, je découvrais le ghetto et la discrimination”, dit Karima. Mais elle découvre aussi une effervescence associative qui s’organise à La Busserine autour de personnalités exceptionnelles. Jacques Marti, un prêtre ouvrier installé dans la cité, une commerçante communiste, Marie Santofanti, une association des locataires, M’ame Ega, Severin Montarello.

Tous, à des titres divers, sont des pionniers d’actions éducatives à volonté émancipatrice qui prennent place dans les équipements culturels que les institutions développent dans le quartier grâce à la mobilisation des habitants

Même si elle ne participe pas à « la Marche pour l’égalité » de 1981, dont elle trouve les acteurs « peu politisés », Karima, l’est, elle, déjà beaucoup. Elle s’engage d’abord dans l’action éducative auprès des scolaires, puis avec Jean-Pierre Ega dans une association, Body and Soul, qui prend en charge des ex toxicomanes et, par la danse et d’autres actions, les aide au décrochement et à prendre soin d’eux-mêmes. Elle s’engage dans Schebba, où des mères et des filles maghrébines s’essayent au travail dans un cadre associatif.

À 24 ans elle décide que désormais sa vie est en France. Jusqu’à ce moment,  Karima se pensait algérienne, destinée, comme son père qui en rêvait, à revenir au pays et à y jouer un rôle social, économique et politique. Karima a fait toutes ses études jusqu’à l’université, où elle va apprendre la sociologie, en se pensant comme un futur cadre de la révolution algérienne. Tout l’y a préparé, singulièrement son père, arrivé en France en 1947, engagé très tôt au FLN, qui garde jusqu’à sa mort sa nationalité algérienne, écoute radio le Caire, admire Castro, Nasser, Marchais, se pense algérien et ouvrier. Ce père si proche, qui, lorsqu’il vient la voir chaque après-midi à l’hôpital Nord où elle soigne de longs mois une polio sévère, lui parle des héros de l’indépendance. A neuf ou dix ans, ses légendes ne sont pas les Mille et une Nuits ou les contes de Perrault mais les récits de l’émancipation des masses tiers-mondistes du joug colonial. Le mot qui guide sa vie est« l’émancipation pour les autres et pour soi-même », dit-elle encore aujourd’hui.

À 24 ans elle débarque donc dans cet Aurès rural où son père a fini par construire la maison de ses rêves et où il sera enterré. Quinze jours lui suffisent pour comprendre que sa place de femme libre, émancipée, n’est pas dans une société où une femme ne peut vivre que dans l’ombre d’un homme, fusse-t-il ce jeune neveu de 17 ans qui l’accompagne dans le moindre déplacement.

Rentrée en France, elle enchaîne les engagements, au double sens du terme : professionnels puisqu’il y a salaire, contrat, institutions tutélaires ; mais militant aussi puisque, du soutien scolaire à l’alphabétisation, de l’accompagnement des toxicomanes à la formation des cadres associatifs, elle est dans cette nébuleuse associative toujours vivante qui fait de l’éducation populaire un mot d’ordre émancipateur plus que disciplinaire. Le second basculement viendra plus tard, lorsqu’en 2004 Karima prend la direction du centre social de la Busserine rebaptisé Agora. Elle a le soutien d’un Conseil d’Administration dont les membres sont très clairement engagés à gauche, mais pas celui des notables.

Une lettre signée du maire socialiste de secteur « dénonce » l’Agora à la CAF qui donne l’agrément : il invoque une prétendue dérive communautaire et clanique. Communautaire parce que le centre relaie la demande des chibanis dont le local de prière prend l’eau pour un lieu de prière digne; clanique parce que le neveu et la sœur de Karima sont présidents d’associations, l’une sportive, l’autre de locataires, que l’Agora héberge. Guerre d’usure, pression d’associations « maisons » qui parasitent le conseil d’administration, intimidation de petits caïds qu’on retrouvera sur les bancs du tribunal lors de l’affaire Andrieu. Karima ne cède pas, s’appuie sur le soutien sans faille du quartier.

Autre épisode comme va le montrer l’affaire de Marseille 2013.  À cette date, soutenus par Marseille Capitale Européenne de la Culture, des artistes proposent d’ouvrir à la Busserine des jardins artistiques éphémères, projet refusé par les habitants n’ayant pas obtenu en contrepartie la formation de chômeurs du quartier. Les associations locales que Karima, active et loquace, soutient, sont très actives. Le projet avorte : Marseille 2013 se fera sans la Busserine. Le conflit est déclaré à nouveau avec les notables et leurs relais institutionnels. Mais elle se fatigue et surtout comprend que la politisation du combat est inéluctable. Elle a quitté l’Agora, s’est réinvestie dans son métier de sociologue et fait de la formation, toujours dans un cadre associatif.

Elle est un membre actif du « Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille » où les « Macdo » jouent un rôle essentiel. Ce combat permanent pour l’émancipation est le fil rouge de la vie de Karima, même si, désormais,elle y ajoute un combat plus directement politique. Celle qui déteste être la « beurette de service » soutiendra la candidature de Mohamed Bensaada aux municipales si la FI l’intronise tête de liste 13/14 aux prochaines municipales.

Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Beau portrait de l’une des facettes des “vrais Marseillais”, celles et ceux qui, graines d’ailleurs portées par les vents des Histoires sociales, culturelles, politiques, personnelles, ont choisi de créer leurs racines ici. C’est à cause d’elles et à cause d’eux que j’aime notre ville-monde contre laquelle je peste tous les jours ; ce sont elles, ce sont eux qui empêchent la ville de s’effondrer, bénévolement ou pour trois sous, et qui la défendent contre les voyous et les incapables qui se font du pognon en détruisant son urbanité.

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  2. Louise LM Louise LM

    merci de nous donner à voir cette belle figure des quartiers nord , son itinéraire et ses projets. infatiguable Karima

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  3. Victor Solal Victor Solal

    Une femme qui nous permet d’es En l’Humanité. Merci.

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  4. Victor Solal Victor Solal

    Une femme qui nous permet d’espérer en l’Humanité. Merci.

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