[Nyctalope sur le Vieux-Port] Tenir un stand à la fête de la musique
La vie nocturne, à Marseille, est rarement un feu d'artifices mais plutôt un hasard de rencontres, de rendez-vous d'initiés et parfois de fêtes sauvages improvisées. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de l'arpenter et de la raconter. Ce mercredi, Iliès Hagoug a vécu la fête de la musique sur le cours Julien de l'intérieur.
Fête de la musique 2023. Photo : Ilies Hagoug.
De bien des façons, le 21 juin est la date à laquelle Marseille est la plus marseillaise. La fête de la musique permet à toute la ville d’exprimer sa convivialité, sa diversité, son identité, excessive dans l’excès, pour le meilleur et pour le pire. Bien évidemment, sans la moindre once d’organisation. Pour preuve, en fin d’après-midi près du métro Notre-Dame-du-Mont, le combat des enceintes est lancé.
Les enceintes en question sont dressées dans un savant déséquilibre, branchées à un boîtier EDF réquisitionné pour l’occasion. Les volets des fenêtres des habitants se ferment les uns après les autres et, une fois n’est pas coutume, lorsque les gens sortent des immeubles avec des valises, il ne s’agit pas de AirBnb mais d’habitants pour qui fuir un soir dans l’année fait partie de la vie du quartier.
L’afrobeat de la scène improvisée sur les grilles d’aération du métro, le RnB des années 2000 d’un bar s’affrontent dans un duel grésillant, et cerise sur le gâteau, les klaxons retentissent dans toute la zone sauvagement piétonnisée. Si la fête de la musique marseillaise est particulièrement bonne, ce n’est donc pas parce que la musique est bonne.
Mais l’un des ingrédients irremplaçables et emblématiques, ce sont les nombreux stands de bouffe et d’alcool qui composent la pagaille généralisée sur le cours Julien ce soir de l’année. Comme le reste, ils sont organisés dans le désordre : le professionnalisme du dépliage des tables, des cuisines éphémères et pour garder les boissons fraîches dans une journée à 35 degrés contraste avec une distribution des points de vente décidée par la force des choses.
“Vers minuit, minuit et demi, je me casse”
Il faut arriver tôt pour avoir les meilleures places, avec un certain respect pour l’ancienneté ou le voisinage. Illustration du phénomène, un stand vénézuélien est venu avec son enceinte. Bien au-delà de ses capacités, celle-ci crée des migraines chez les vendeurs voisins, jusqu’à ce que l’un d’entre eux craque, et lui demande de couper. Ce qu’il fait, sans trop rechigner.
Parmi toutes les tables, qui définissent tant bien que mal le flux de circulation d’une foule qui commence à s’accumuler, le restaurant afghan chez Romain et Marion a pris l’habitude de s’exporter tous les ans sur la place. Histoire de satisfaire toutes les envies, et de symboliser un mythe cosmopolite marseillais, il est ce soir accompagné de deux copains qui vendent un planteur, habilement baptisé “La Frappe des îles” sur un carton qui tient tant bien que mal sur le volet de l’appartement du rez-de-chaussée derrière le stand qui sert de QG, avec un accès réfrigérateur pour le moins stratégique.
Romain, quant à lui, aura branché son micro-ondes et disposé des barquettes remplies de victuailles que l’on espère voir vidées à la fin de la soirée. Idéalement avant l’heure fatidique ou les clients à l’ambiance bon enfant sont remplacés par des nécessités d’éponger les excès. “Vers minuit, minuit et demi, je me casse”. La portion contient du riz, des légumes, des boulettes de viande pour ceux qui en mangent, pour 8 euros. C’est artisanal, entre amis, et on demande de mettre la main à la pâte. Raison de la présence de votre humble serviteur sur ce stand sur une durée aussi longue.
“C’est Marseille madame, c’est comme ça tous les soirs. Vous saviez pas ?”
18 h 30, les premiers arrivés sont naturellement plus attirés par la vanille du planteur que le curcuma des aubergines, mais on se fait des passes décisives. “Le planteur se marie super bien avec les boulettes, je vous jure”. Les fêtards les plus stratèges n’ont pourtant pas besoin d’être poussés à manger : les bols de riz commencent à partir vers ceux qui préfèrent ne pas faire la fête sous une chaleur écrasante et avec le ventre vide. S’il fallait un rappel, un couple est allongé à même le sol à la sortie du parking, on leur ramène de l’eau. Ils sont visiblement allés un peu vite.
Mais on ne peut pas être stratège à tous les étages. “Vous prenez la carte bleue ?“, lance un potentiel client, intéressé par ce qu’il a vu émerger de la table. De l’autre côté du stand, la seule réponse sera un rire. “Vous prenez pas Lydia non plus ?”. Il sera rapidement invité à rejoindre la queue d’une demi-heure des derniers distributeurs du quartier, sur la Plaine.
Une heure plus tard, un couple de jeunes est un peu confus. Ils regardent le stand avec envie, mais ne savent pas quoi répondre quand ils sont harponnés par un argument de vente imparable : “Vous avez faim ? Nous on a à manger !”. Un œil sur Google Maps, l’autre sur les boulettes de viande, ils viennent de sortir de la gare. Ils ne parlent pas français, un imbroglio qui sera vite réglé dans un anglais approximatif. En attendant la commande, ils cherchent à résoudre le mystère : “C’est vraiment le quartier de la fête ici, un mercredi soir en plus”. Il semblerait que la fête de la musique, héritage d’un art de faire vivre la culture façon Jack Lang n’a pas rayonné partout. On décide donc d’emboucaner : “Ben c’est Marseille madame, c’est comme ça tous les soirs. Vous saviez pas ?” L’histoire ne raconte pas l’ampleur de la déception le lendemain.
Quarante litres de planteur plus tard
Au cœur de la soirée, on n’a plus vraiment le temps de rigoler. Une quarantaine de litres de planteurs sont déjà passés, il faut recharger en envoyant les bouteilles directement depuis la fenêtre. Le micro-ondes a lâché une première fois, et sera remplacé par un emprunt négocié sur le fil pendant que des clients attendent leur repas. Mais le jeu en vaut la chandelle : durant un instant de pause, on soupèse la banane qui sert de caisse, mesure instantanée du succès des ventes du soir. Le ratio de bénéfice n’est pas calculé aussi savamment qu’un groupe de restauration qui investit dans un établissement, mais on sait qu’on ne va pas rentrer bredouille, ce qui est toujours la peur.
Il est presque minuit, et l’heure fatidique approche, le tournant soudain entre la fête et le glauque est à l’horizon. Un client sonnera le glas : 8 euros l’assiette, 2 euros le planteur, pour lui, c’est trop cher et il ne se prive pas de le dire, sur un ton assez désagréable, largement désinhibé. “Alors tu voudrais manger, boire, et qu’on te paye aussi ?” Il faut couper court au débat, remballer. Même s’il reste un peu à vendre, ce n’est pas grave : on a su faire plaisir. Le petit tas de cartes du restaurant s’est allégé durant la soirée, avec des promesses de réservations prochaines. Et les potes sont venus passer un moment et rigoler.
Qu’elle soit influencée ou pas par les quelques heures de travail qui l’ont précédée, la prise de température de l’ambiance de la nuit la plus longue de l’année dans le quartier du cours Julien est effectivement un peu sévère. Si les sourires et l’éclate sont encore largement présents, on sent aussi l’odeur d’urine, on voit aussi les femmes qui s’échappent de la foule, les pompiers qui cherchent à la traverser tant bien que mal. La nuit marseillaise est excessive, la fête de la musique d’autant plus. Pour le meilleur et pour le pire.
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