[Nyctalope sur le Vieux-Port] Mélange d’épices et orientalisme 2.0
Pour Marsactu, le journaliste Iliès Hagoug raconte la nuit marseillaise, ses feux d'artifices et ses flops, ses nouveautés et ses traditions millénaires. Ce samedi, il s'interroge sur le retour d'une mode "orientale" qui gagne les soirées et les tables marseillaises.
[Nyctalope sur le Vieux-Port] Mélange d’épices et orientalisme 2.0
Près des terrasses denses du cours Julien, la queue devant l’espace du même nom ce vendredi paraît presque anecdotique, mais l’excitation est bien présente chez certains. Il semble y avoir une certaine attente. L’occasion ressemble pour une partie du public à un exutoire après l’annulation du concert d’Acid Arab au Delta Festival au début de l’été. La salle revêt en effet ses habits de concert du week-end en recevant ce soir “Shkoon”. Qui ça ? “Shkoon”, groupe de musique germano-syrien, mêlant les rythmes électroniques de la ville de Berlin qui l’a vu naître aux mélodies orientales et paroles en arabe.
La présentation de l’évènement a plus l’air de promouvoir une ouverture de restaurant qu’un concert, en clamant : “SHKOON crée une atmosphère remplie de textures et d’épices et emmène son public dans de nouvelles sphères”. Qui est ce public ? Quelles sont ces “nouvelles sphères” ? “Le public entreprendra un voyage qui mêlent (sic) les frontières entre les cultures”, conclut la présentation.
À l’intérieur, le public entreprend tout d’abord un voyage bien plus important entre le bar et la salle de concert en elle-même. L’occasion de discuter un peu et de s’interroger sur l’attraction que fait naître le groupe chez des publics résolument différents. Omar, égyptien habitué au quartier, porte un regard interrogateur sur la composition de la salle de ce soir : “C’est pas encore comme un concert d’Omar Souleyman, où maintenant il n’y a que des blancs qui tentent de danser sans savoir bouger les épaules”. Shkoon, malgré l’attente d’une ambiance “épicée”, présente finalement une musique plus électro-pop qu’arabe, un peu comme le public. On croise aussi des membres de Zar Electrik, groupe maghrébin et local de musique algéro-marocaine, qui, plus pragmatiques, joignent l’utile à l’agréable en invitant à s’abonner à leur compte Spotify. En soulignant que leur public est aussi là. Ce qu’une curieuse qualifie de “ponts vers les cultures orientales”.
La sociologie nocturne du lieu peut s’établir entre ceux qui parlent arabe et ceux dont ce n’est pas le cas. Entre ceux qui tentent tant bien que mal de reprendre phonétiquement les paroles au bout du troisième refrain, et ceux qui les reprennent par cœur comme on scande n’importe quel hymne pop joué en boucle.
Parmi la première catégorie, les pas de danse sont parfois en décalage, mais souvent assurés. Julia, croisée dans son petit carré de dancefloor négocié entre ses voisins, en arrive à de multiples variations de l’incontournable vague avec les mains, auto-ironique peut-être : “Ben ouais, c’est oriental !”. Sans malaise aucun, au point de forcer le respect.
Hasard du calendrier, le concert se déroule le jour de l’anniversaire de la moitié allemande du duo. En anglais, en arabe, le chanteur Ameen Khayer demande à ce que la salle lui souhaite, ce qu’elle fait avec plaisir. La présentation du concert avait certainement tapé juste à un endroit : happy birthday se mêle à sana helwa, avec quelques joyeux anniversaires pour épicer.
Couscous sauce Jacquemus
Au bas de la rue d’Aubagne, dans l’agitation rituelle qui caractérise le lieu s’est installé un spectacle quasi quotidien. L’indifférence des badauds du quartier à la file d’attente qui se développe chez Yassine, restaurant tunisien, que l’on n’hésite pas à qualifier de “boui-boui”, est la preuve constante de son succès qui ne surprend plus personne. S’il le doit bien sûr à une cuisine tunisienne savoureuse, généreuse et abordable, ce qui fait le succès du lieu face à d’autres est tout à fait corolaire. Lorsque le designer Simon Porte Jacquemus, au sommet de la hype française, dévoile il y a quelques années ses adresses préférées de Marseille, la liste inclut chez Yassine. De quoi propulser sans transition un établissement connu du quartier en restaurant où il faut aller en passant par Marseille, et il faut désormais passer par Marseille. Peut-être jusqu’à déclencher une nouvelle considération pour ces “bouis-bouis”, et de la cuisine que l’on y sert depuis longtemps, qui serait dorénavant légitime.
En parallèle de l’apparition sur les cartes de divers bistrots à la mode de houmous revisités ou de choukchoukas servant de proposition végétarienne, les discussions à Marseille sont de plus en plus régulières sur le sujet. Et ces derniers mois, le point Godwin est souvent atteint à l’évocation du même établissement. Installé rue Sainte, face à un autre restaurant déjà établi par les mêmes propriétaires, Babouche promet des “délices marocains et maghrébins”. La salle affiche fièrement un décor soigné, à la hauteur de son nom : lustres en osier, mur de babouches encadrées, banquettes peintes en rouge, poteries sur les tables et mains de fatma de tailles diverses dans les escaliers. Tout ici se veut marocain, de la carte au décor, mais personne n’est marocain, que ce soit les gérants ou le personnel de salle.
“Bledy Mary”
La fondatrice, qui tient à ne pas avoir son nom cité, parle d’une clientèle “de quartier, enrichie d’une clientèle marocaine. Et on recrute pas des gens forcément marocains, mais compétents et pros”. Elle balaie en revanche les accusations sur les réseaux sociaux d’appropriation culturelle (ici ou là), s’armant de ses années de vécu à Marrakech qu’elle veut retranscrire dans l’assiette : “Je me sens tout à fait légitime à ouvrir ce restaurant, sinon je ne le ferais pas. Je sais qu’on a été accusés, mais je remarque que c’est toujours des gens de deuxième, troisième génération, qui sont politiquement d’extrême gauche. Mes potes de là-bas trouvent ça normal ce qu’on fait, et on n’est pas sur un créneau de cuisine traditionnelle“.
À la carte, si la proposition de vins et cocktails (comme le Bledy Mary) détonne avec un restaurant maghrébin habituel, la proposition est somme toute très classique. Après des carottes au cumin en entrée, les plats sont des couscous qui ont passé la mer Méditerranée, et qui sont donc adjoints de boulettes, de merguez. Et une sélection de tajines qui fait la fierté de la propriétaire : “Je ne connais pas de restaurants marocains à Marseille qui faisait plusieurs tajines variés”. Face à la démonstration du contraire par la citation de plusieurs établissements du centre-ville, la restauratrice hausse les épaules, et préfère replacer son idée fondatrice : “Dans tous les cas, j’ouvre un restaurant, pas un lieu politique. Lorsque je regarde les babouches au mur, je vois une personne qui m’est chère qui a fait l’encadrement. Je cherche à retranscrire une expérience”. Finalement, une expérience peut-être plus chiadée que la moyenne du couscous, et certainement plus chère : le thé à la menthe, pour finir le repas, coûtera par exemple 4,50 euros. “Évidemment, on est plus chers parce qu’on a plus de frais, en étant installés rue Sainte par exemple”. Peut-être que l’élément différenciant est surtout là.
Commentaires
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Faut-il avoir de la gelée dans le crâne pour attribuer un regard critique à “des gens d’extrême-gauche”… Pauvre femme. Je n’ose imaginer la façon dont elle raconte son séjour au Maroc, ça doit ressembler à du Nadine Morano. Merci pour la finesse de cet article, puissse-t-il éveiller un maximum de consciences.
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Très bon article qui met en appétit Pour info le couscous à l’orge amazigh du FEMINA rue du Musée est délicieux
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Merci pour la pertinence de l’article à la hauteur de la récupération opportuniste de ce qui se veut être le “nouveau Marseille” (montée en gamme, commerces branchés etc etc…) pour des gens surement qui considèrent d'”extrême gauche” tout ceux qui osent remettre en question la tendance à consommer la ville avant de s’y investir autrement que par la consommation.
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L’audace de la propriétaire de Babouche est franchement déconcertante. Si elle me lis : Tu n’es pas légitime, privilégiée oui, mais certainement pas légitime.
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