Michel Samson vous présente
Arts et essais

Plusieurs seuls en scène

Chronique
le 20 Mar 2018
0

Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il était du côté des planches, pour y voir des seuls en scène inspirants.

Rachida Brakni dans "Je crois en un seul dieu" (image Sonia Barcet)
Rachida Brakni dans "Je crois en un seul dieu" (image Sonia Barcet)

Rachida Brakni dans "Je crois en un seul dieu" (image Sonia Barcet)

Rachida Brakni dans “Je crois en un seul dieu” (image Sonia Barcet)

Se garer au Plan d’Aou, traverser un potager, côtoyer un poulailler avant d’arriver devant un hangar : aller voir Molière à la Gare Franche c’est déjà un joli voyage. Sur le plateau de scène, noir, les noms sont inscrits en capitales blanches : Tartuffe, Orgon, Cléante, Mme Pernelle… Au milieu une table. Guillaume Baillard, du groupe Fantômas va jouer Tartuffe, d’après Tartuffe, d’après Molière. Seul sur scène pour jouer tous les personnages. Pantalon et pull marron, il tape sur la table les trois coups qui, au théâtre, annonçaient toujours le début du spectacle. “Vous êtes un sot en trois lettres mon fils”, la première phrase commence à faire entendre la musique que Baillard psalmodiera durant une heure, alexandrins avec ou sans césure, en même temps que son visage, ses mains, ses doigts, son corps tout entier explicitent qui parle, qui répond, qui explique, qui se lamente. Et qui triche puisque, lentement, on devine que Tartuffe, cet homme si chrétien et si vénéré, est d’abord un hypocrite.

De temps en temps, Baillard le mime explicitement, visage souriant, charmeur et mensonger. Qu’on connaisse la pièce ou non, on est bercé par ces vers si bien dits, on est souvent perdu, puis emporté par ces moments où l’acteur joue un dialogue en passant instantanément d’une posture et d’une position à l’autre, jeune homme en colère, jeune femme séduite, père rageur. À moins que Tartuffe ne s’approche d’une spectatrice du premier rang, pose sa main sur ses genoux en déclamant d’une voix douce : “Mon Dieu ! que de ce point l’ouvrage est merveilleux / On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux / Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire”. Une scène d’amour que l’hypocrite récite à merveille : “Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande / Que d’oser de ce cœur vous adresser l’offrande”.

Debout sur la table, sourire carnassier, Baillard/Tartuffe conclut : “En vertu d’un contrat duquel je suis porteur”, il a gagné, la lumière s’éteint… La performance de l’acteur est remarquable, la pièce revisitée est étonnante. Cléo, 15 ans, qui l’a aussi trouvé un peu longue et parfois difficile à comprendre, admire l’étonnante performance de l’acteur…

Le lendemain au Théâtre de la Joliette, l’actrice Rachida Brakni va aussi incarner trois personnages seule sur scène. Je crois en un seul Dieu raconte ce que trois jeunes femmes vivent, pensent, espèrent, craignent, apprennent de cet interminable et cruel conflit israélo-palestinien. Mince, vêtue de gris, elle incarne d’abord Shirin, une jeune étudiante palestinienne qui veut devenir « martyr ». Elle est ensuite une professeure d’histoire juive et progressiste, Eden. Avant de devenir, un peu masculine et plus sûre d’elle, Mina, une soldate américaine en mission de lutte contre le terrorisme.

Rachida Brakni, au contraire de l’agité Baillard/Tartuffe, évolue sur le plateau désert tout en retenue, ses héroïnes sont hésitantes. Elle fait sentir avec des intonations de voix délicates les difficultés de leur statut, de leur ambition, tandis que les assurances affichées de la soldate sont pleines de contradictions. Shirin danse très légèrement, presque au ralenti, lorsque qu’elle se maquille pour aller exécuter un attentat. Eden, elle aussi se maquille pour aller fêter Hanouka. On croit d’ailleurs que les deux héroïnes vont se rencontrer, le texte reste toujours très concret sur le moment en cours. Lors du premier attentat, la lumière devient d’un blanc aveuglant et le visage angoissé d’Eden, que l’actrice serre entre ses mains, évoque celui du Cri du tableau d’Edvar Munch. Quant à Mina, dont l’actrice explique après le spectacle qu’elle incarne un peu ce “nous” qui sommes loin du conflit, elle révèle aussi cette distance que les visions caricaturales ou tellement engagées résument souvent. Le texte, comme le jeu de l’actrice, son corps, son visage, ses doigts fins, évoquent des contradictions, des impasses, des hésitations, des revirements. Ils restent en effet toujours à hauteur humaine. Sur un sujet aussi explosif, on se dit que le théâtre réussit là où les discours des acteurs politiques sont souvent caricaturaux.

PS : samedi 11h30, on est nombreux au Marseillais, la brasserie de Notre-Dame-du-Mont (6e). Au comptoir, il attend avec nous et puis se met à engueuler la serveuse derrière le comptoir qui refuse de signer le kit-promo du Croxel, pour les cacahouètes qu’il vend aux bars de la région. Il boit un cognac, puis un autre, s’agace, en boit un autre, s’énerve, nous distribue des cacahouètes, engueule la serveuse, boit encore, nous apostrophe, il est saoul, titube, s’énerve encore plus, elle l’engueule, nous prend à témoin. Ils arrivent même à nous faire chanter en canon Vent frais/Vent du matin et c’était hilarant. Julien Pillet et Mathilde Grandguillot ont donné l’Instant Croxel première représentation de la Biennale des arts du réel. Dans cette Biennale des arts du réel qui dure jusqu’au 13 avril, le « avec » est au cœur des spectacles de toute nature. Dans les salles des théâtres, des cafés, des écoles, des librairies la rue ou des musées. Avec les auteurs, les acteurs, le public.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire