Melchior, Gaspard, Balthazar et moi

Chronique
le 14 Jan 2017
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Melchior, Gaspard, Balthazar et moi
Melchior, Gaspard, Balthazar et moi

Melchior, Gaspard, Balthazar et moi

Un peu d’éclectisme dans Marsactu ne peut pas faire de mal. Une fois par mois, Ezéchiel Zérah nous propose une chronique gastronomique. Au menu cette semaine : les gâteaux des rois.

Les lecteurs attentifs se souviennent peut-être de mon obsession première. Il en est une seconde, plus concentrée dans le temps : les gâteaux des rois. J’aime précisément l’hiver pour ça et parce qu’il annonce accessoirement mon anniversaire où ma mère confectionne des couronnes pâles à l’intérieur dense. Le sucre en grains qui s’efface sous le nappage abricot – que d’aucuns considèrent comme une hérésie et remplacent par du jus de bergamote ou autre solution plus neutre en bouche – à la brillance suave. La tendreté maternelle de la brioche, aussi souple qu’un gymnaste moscovite. Celle-là même qui prend malin plaisir à rendre pégueuses les mains innocentes de jouisseurs à fourchette. Et puis, j’éprouve de la satisfaction à transgresser les règles sacrées d’une coutume lointaine. Fêtons l’Epiphanie un jour avant le 6 janvier ! Huit jours plus tard aussi ! Et pourquoi pas ? Le mangeur consciencieux n’a d’obligation que celle dictée par son appétit.

Cela fait quelques années que je fréquente compulsivement les boulangeries du centre-ville de Marseille à ces dates. Au passage, un merci éternel aux enseignes qui mettent un point d’honneur à proposer des pièces individuelles sans lesquelles il m’aurait été impossible de nourrir ce caprice solitaire. En 2017, je suis passé au niveau supérieur avec la tenue d’un palmarès des meilleurs gâteaux marseillais fraîchement achetés le premier vendredi de janvier. Rassurez-vous, le jury – le pâtissier alsacien Christophe Felder, le journaliste Pierre Psaltis, le sommelier Samuel Beatrix, le cuisinier Emmanuel Perrodin… – était parfaitement consentant. Pour l’anecdote, Christophe Felder, visiblement enthousiasmé par ce grand goûter matinal, improvisera d’ailleurs le lendemain des brioches royales à la carte de sa boutique de Mutzig. Je n’ai pas goûté les intéressées mais sachez que dans le Bas-Rhin, on ne transige pas avec les douceurs, pas plus qu’avec l’épiphanie (on y avale jusqu’à la « tourte des rois » charcutière). Les porcelainiers d’Alsace n’ont-ils pas les premiers, comme le rappelle le Monde daté du 8 janvier 1994, « commencé à produire des petits poupons emmaillotés » ?

Vingt gâteaux plus tard, Mandonato (rue Sainte angle Breteuil), Marrou (Castellane) et le Fournil Notre-Dame (boulevard Notre-Dame) s’affichaient sur le podium. A la suite de notre petite sauterie, je suis passé vers 19h chez le lauréat pour en rapporter un bout aux grands-parents jaloux. « Plus d’rois ! » annonça la vendeuse aux malchanceux venus pourtant braver un froid polaire. Les aïeuls ont donc eu droit à la version « parisienne » (qui règne aussi à Lyon et au nord de la Loire) : une galette fine et humide, fourrée de croquant. Saviez-vous à ce propos que Picard en débite 400 000 exemplaires l’an ?

J’allais oublier l’essentiel : les fruits confits. Ce sont eux qui anoblissent la banale brioche au sucre présentée à l’année sur les étals. Eux qui font exploser la note : jusqu’à 40-45 euros le kilo de « royaume » comme on est censés le dire en Provence. (Moi, je ne l’ai jamais entendu). Eux qui témoignent du souci ou non des boulangers-pâtissiers. Les bandits de la profession privilégient les vilains morceaux multicolores en bacs, les moins chers. Des navets, dans les deux sens du terme. Les plus méticuleux iront jusqu’à confire eux-mêmes des fruits de saison (kiwi, citron, orange, poire) ou commanderont de délicats cédrats, clémentines, figues blanches, prunes, ananas, cerises et fraises à des artisans dont c’est pleinement le métier. Corsiglia à Aubagne. Lilamand à Saint-Rémy. Clavel (qui a repris le savoir-faire de l’historique maison Bono) et Jouvaud à Carpentras. Octave à Apt. Pas besoin de se montrer terroiriste, d’autres maisons plus éloignées font ça elles aussi très proprement. Santini près de Corte. Xavier Calizi dans le cap corse. Constanti à côté de Pau. Cruzilles en Auvergne.

Le 1er février, les gâteaux des rois disparaîtront pour une mise au placard d’onze longs mois. Ne pleurons pas faussement : l’année de la découverte de l’île de Clipperton, notre cher Parlement « délibéra de proscrire la galette afin que la farine, trop rare, soit uniquement employée à faire du pain » apprend-on dans la Provence de dimanche dernier. Les becs sucrés de l’époque n’ont pas dû s’en remettre.
PS : je compte bien renouveler l’expérience d’un palmarès de ce genre et attends des épiphaniphiles aigus des recommandations d’adresses marseillaises non balisées.

Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Beaucoup de pâtissiers ou boulangers font à Marseille un gâteau des rois garni d’une fève et d’un sujet, livré avec 2 couronnes. Qui sait qui du sujet ou de la fève est déclaré roi ou reine ? Qui du sujet ou de la reine sera condamné à payer le prochain gâteau des rois ?

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    • The Sardinist The Sardinist

      Sauf erreur de ma part : celui qui trouve la fève devient roi et doit racheter un nouveau gâteau la fois suivante. Le sujet désigne quant à lui la reine.

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    • Juliette Juliette

      J’ai une version un peu différente.
      Celle ou celui qui trouve la fève doit racheter une galette (et c’est tout).
      Celle ou celui qui trouve le sujet est reine / roi, gagne une couronne, et doit choisir son partenaire + le couronner avec la deuxième couronne.

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  2. The Sardinist The Sardinist

    @Juliette : c’est effectivement celle que l’on utilise dans la famille mais en me renseignant sur différents sites ayant l’air sérieux, c’est l’autre version qui est présentée. Casse-tête la galette !

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