Margaux Mazellier vous présente
Marseille fait genre

[Marseille fait genre] Le Bord’Elles, un équipage en lutte

Chronique
le 4 Oct 2025
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Dans cette chronique, Margaux Mazellier donne la parole aux féministes marseillaises. À travers des portraits intimes de militantes, activistes et citoyennes, elle explore la diversité des combats pour l’égalité à Marseille. Cette semaine, rencontre avec les membres de l'équipage Bord'elles, qui défend la liberté de circulation en mer pour toutes et tous.

(Photo : Archives Bord
(Photo : Archives Bord'Elles)

(Photo : Archives Bord'Elles)

Fondé en 2016 au sein de l’association marseillaise Lounapo, Bord’Elles est un équipage qui propose des sorties et formations de voile en mixité choisie, entre femmes et personnes trans. Ensemble, ses membres naviguent, partagent la vie au port comme en mer, échangent des savoirs dans une perspective féministe. Le 10 septembre dernier, cinq d’entre elles ont décidé de rejoindre la f.Lotta, une flottille citoyenne internationale en Méditerranée, à bord de l’Albatros II. L’objectif : dénoncer “l’Europe-forteresse” et défendre la liberté de circulation. Une traversée militante, portée par un équipage qui a choisi de prendre la
parole collectivement.

Héritage – Marion, 31 ans, et Gaëlle, 40 ans

Marion navigue depuis qu’elle est enfant. Pourtant, elle parle d’une transmission manquée : “On est beaucoup à être filles de marins, mais ce n’étaient jamais nos mères qui étaient à la barre, c’étaient toujours nos pères.” Elle pense que si son père ne lui a pas transmis cet apprentissage, c’est parce qu’elle est une femme : “Il considérait que je n’étais pas intéressée quand j’étais petite.” Marion rétorque : “Mais un enfant de sept ans n’est jamais désintéressé, ce sont les parents qui doivent devenir intéressants.”

Pour Gaëlle, c’est un peu différent, même si, elle aussi, a découvert la voile avec son père. “C’était un père à la fois absent et dysfonctionnel, explique-t-elle. Il a nourri ma curiosité vis-à-vis de la navigation et en même temps, il a réussi à m’en dégoûter totalement.” Il y a quelques années, lorsqu’elle arrive à Marseille, elle refuse que “cet héritage-là” l’emporte et décide de rejoindre l’équipage : “Il ne fallait pas que je reste dégoûtée de la voile à cause d’un mec macho.”

Avec le Bord’Elles, elles ont trouvé une autre forme de transmission, “qui cherche un équilibre entre responsabilisation et accompagnement”, explique Marion. Ici, “peu importe notre niveau, il n’y a pas d’attente, pas de jugement”. Les rôles ne sont jamais figés : “Ce n’est pas parce que l’une d’entre nous est très calée en mécanique qu’elle sera forcément sollicitée pour ça. On redemande toujours qui veut faire quoi, peu importe les compétences de chacune.”

On m’avait toujours dit que les femmes ne savaient pas naviguer, voire qu’elles portaient la poisse sur un bateau. Et là, tout à coup, je vois toutes ces femmes y arriver !

Gaëlle

Gaëlle affirme que la non-mixité lui a permis de “reprendre confiance” : “On m’avait toujours dit que les femmes ne savaient pas naviguer, voire qu’elles portaient la poisse sur un bateau. Et là, tout à coup, je vois toutes ces femmes y arriver !” Aujourd’hui, elle assure : “La non-mixité du Bord’Elles m’a réconciliée avec la navigation et m’a même permis d’envisager de la pratiquer de nouveau en mixité.” Pour Marion, cette expérience de navigation sans homme à bord est aussi un moyen de “se réapproprier la voile”, d’oser apprendre et de faire face à son sentiment d’illégitimité : “Je ne veux plus me sentir coupable de pas savoir malgré le fait que j’ai passé beaucoup de temps sur les bateaux.”

Un point de bascule – Virginie, 45 ans

Virginie est skippeuse, c’est-à-dire qu’elle sait naviguer seule et assumer la responsabilité d’un bateau, que ce soit en solo ou avec un équipage. Mais embarquer avec le Bord’Elles a tout changé. “Je ne me posais aucune question avant, et d’un coup, je me les suis toutes posées en même temps”, s’amuse-t-elle. Jusqu’à douter de tout : “J’avais l’impression que je ne savais plus rien faire à bord, surtout humainement.” Ce choc, c’est celui d’une autre façon de naviguer. Sur l’Albatros II, elle apprend à observer et ralentir : “Le Bord’Elles m’a appris à sortir d’une forme de verticalité vis-à-vis de l’équipage, à faire attention aux zones d’inconfort des autres et à déconstruire l’approche performative qu’on m’avait transmise de la navigation.”

Une manière de naviguer qui l’amène à penser au-delà de la simple pratique nautique : “Le féminisme et ce que permet la non-mixité amènent une conscience politique et m’ont portée vers d’autres luttes.” Ce qu’elle vit, elle le formule comme un déclic : “Un point de bascule d’un nautisme pépère en bord de mer vers des dynamiques de soulèvement.” Et cette bascule circule : “En Italie, on croise beaucoup de personnes qui ont déjà entendu parler du Bord’Elles. Il y a très peu de bords en mixité-choisie et je crois que ça fait envie à d’autres personnes.”

Un lieu – Maé, 27 ans

Le port Mazara del Vallo, au sud-est de la Sicile, est le point de départ de la flottille militante f.Lotta. Le départ était prévu pour le 10 septembre, mais l’équipage du Bord’Elles vit un moment de frayeur deux jours avant : “On a appris que notre bateau était en train de dériver. Il a fini par s’échouer contre les rochers”, raconte Maé.

Pendant cinq heures, elles tentent de le dégager, sans aide des garde-côtes, “qui ont fini par partir”. “C’était un moment de stress, on avait peur des dégâts que ça pouvait causer”, se souvient Maé. C’est un autre bateau, dont l’équipage est constitué uniquement d’hommes, qui leur vient finalement en aide : “La communication était vraiment compliquée, ils ne nous écoutaient pas du tout et bousculaient complètement nos pratiques de communication à bord.”

La veille du départ de la flottille, une militante de f.Lotta vient leur rapporter une rumeur qui circule dans le port depuis l’échouement du bateau : “Elle a entendu les hommes en question raconter qu’ils avaient été décontenancés parce qu’on était toutes seins nus et qu’il y avait des tétons partout sur notre bateau”, s’amuse encore Maé.

Un geste symbolique – Salomé

Chaque drapeau porte son message”, affirme Salomé. À bord de l’Albatros II, une bannière multicolore se déploie : on y retrouve le drapeau Lounapo, celui de la f.Lotta ou encore le drapeau LGBTQIA+ et celui du collectif Antifa Social Club Marseille… et, depuis Cagliari, le drapeau palestinien, offert par René du bateau Synergy. “Il milite au nom de la « Palestine House » à Londres. Il nous a offert le drapeau palestinien que nous avons fièrement arboré à notre arrivée à Mazara, en Sicile.”

Un geste visible, assumé. “Le bateau était au mouillage face à la corniche piétonne et il flottait au loin.” Un signe de reconnaissance entre bateaux — “la plupart l’avaient hissé à bord” —, mais surtout un message politique. Et les réactions divergent : “Une des personnes du port nous a demandé de l’enlever, car il y avait des personnes politiques invitées en lien avec les élections régionales”, raconte Salomé. À quelques mètres, pourtant, un autre écho : “Le bar de la plage a hissé un drapeau palestinien, en soutien.”

Pour Salomé, “chaque drapeau porte son message et la visibilité de [leurs] actions en mer et à terre, le hisser est donc un acte important”. Un geste symbolique aux résonances plus larges : “Ça a été l’une des principales images relayées par les médias lorsqu’une cinquantaine de communes en France ont hissé ce drapeau en mairie, malgré la mise en garde du ministre de l’Intérieur.”

Sur l’Albatros II, cet acte prend la mer avec la flottille f.Lotta, qui milite pour la libre circulation de tous et toutes en Méditerranée. Une liberté défendue aussi par Lounapo, “qui permet à tout le monde de naviguer”, conclut Salomé.

Un slogan – Marion, 31 ans

Parmi les phrases qui restent, Marion en retient deux. La première a été entendue lors d’une mobilisation en mer, organisée contre le milliardaire Vincent Bolloré, et qui s’est élancée au large du Finistère en mai dernier : “De l’eau peut naître le feu.” Une image qui, selon elle, fait écho à “cette période de flottilles militantes”. L’autre, venue d’une discussion entre marins, est devenue un mantra : “Only dead fish go with the flow” (Seuls les poissons morts suivent le courant).

Marion raconte : “Une femme se plaignait du contexte sexiste dans lequel elle évoluait en mer. Ses camarades lui auraient répondu : « Ne lâche pas, ça finira par bien se passer. Bats-toi, car seuls les poissons morts suivent le courant ».” Pour Marion, ce slogan est un rappel aussi simple que puissant : “Ne laisse pas les autres te dire dans quelle direction tu dois aller. Si tu veux prendre la mer, tu la prendras.”

Commentaires

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  1. didier L didier L

    “On a appris que notre bateau était en train de dériver. Il a fini par s’échouer contre les rochers”, raconte Maé. … il n’y avait personne à bord ???

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    • Patafanari Patafanari

      C’était le Bord’Elles.

      Signaler

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