Ezéchiel Zérah vous présente
La chronique gastronomique

Lettre ouverte au guide Michelin (mais pas que)

Chronique
le 30 Jan 2016
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Crédit photo : Julia Rostagni
Crédit photo : Julia Rostagni

Crédit photo : Julia Rostagni

Un peu d’éclectisme dans Marsactu ne peut pas faire de mal. Du coup, une fois par mois, Ezéchiel Zérah nous propose une chronique gastronomique. Cette semaine, notre chroniqueur s’interroge sur la raison pour laquelle le guide Michelin boude Marseille. Bonne lecture.



Cher guide Michelin, soyons francs : Marseille compte 26 tables sélectionnées par tes soins en 2015 contre 17 dix ans plus tôt. C’est bien. Très bien même. Mais pas assez. Ce n’est pas moi qui le dis mais toi et l’INSEE réunis : parmi les 10 premières villes de France, la cité phocéenne compte le moins de restaurants adoubés proportionnellement à sa population. 32 800 locaux pour un établissement versus 28 600 à Lille, 21 600 à Toulouse, 17 000 à Nantes et Montpellier, 11 800 à Nice, 9 300 à Bordeaux, 8 600 à Strasbourg, 6 800 à Lyon et hors catégorie parce que hors normes, 4 400 à Paris. Bref, la deuxième commune du pays est le vilain petit canard gastronomique de l’Hexagone malgré l’obtention symbolique d’une 3ème étoile par le Petit Nice de Gérald Passédat en 2008.

Marseille compte 26 tables sélectionnées par tes soins en 2015 contre 17 dix ans plus tôt. C’est bien. Très bien même. Mais pas assez.

Sans dire que Marseille rivalise avec Lyon et ses 76 restaurants répertoriés, une vingtaine d’adresses supplémentaires au moins mériteraient de noircir tes pages. Quelques noms : La Bonne Mère, César Place, Chez Vincent, la Poule Noire, Boudiou, la Boîte à Sardine, Cyprien, Chez Georgiana, Le Pavillon Thaï, Tabi No Yume, le 34, le Rowing Club, Schilling, Le Cigalon… Un cinquième d’entre eux réalise une « très bonne cuisine » et pourrait donc prétendre à l’étoile conformément à la définition de cette dernière. Dans les années à venir, j’espère bien que tu distingueras à leur juste valeur certains talents aujourd’hui inconsidérés. Prends l’Aromat du chef Sylvain Robert rue Sainte : dix ans que cette maison a pignon sur rue et que tu passes sans la remarquer ou si peu. Les grandes toques que tu honores si religieusement y dînent pourtant. Et bien.

Au-delà de ta subjectivité qui fait (aussi) partie de ton charme, il manque sans doute davantage d’offres haut de gamme qui renforceraient la réputation du Marseille gastronomique. Car les chefs Michelin approved, particulièrement les étoilés, ont beau être des aimants positifs pour le territoire de par leur identité que l’époque glorifie, la faute ne revient pas qu’à toi. La ville a le potentiel pour acquérir un statut de capitale régionale sinon mondiale du genre, après tout, l’espagnole Bilbao (350 000 habitants) l’est devenue… Encore faut-il que les Marseillais soient suffisamment ambitieux dans le domaine, ce qui n’est pas totalement assuré même si des initiatives de collectifs et de professionnels abondent dans ce sens actuellement. Si on veut être l’égal de notre cousine des Gaules dans la cartographie gourmande nationale et internationale, nous devons nous en donner les moyens.

1. Encourager les doués des locaux et moins locaux à s’installer, qui plus est quand ces derniers ont de l’appétit et un désir de se dépasser. Je parle ici d’aides sonnantes et trébuchantes (ou équivalent) en provenance de la municipalité, du département et de tout organe institutionnel. A Bordeaux, l’installation d’un cuisinier hautement médiatique (Philippe Etchebest) et de deux chefs de trempe mondiale (Joël Robuchon et le britannique Gordon Ramsay) a impulsé une dynamique, a minima dans la perception.

2. Mettre en place des marchés de produits frais dignes de ce nom. Parce qu’à ce jour, la situation n’est guère reluisante. Barcelone a sa Boqueria, Venise son Rialto, Tokyo son Tsujiki, New York son Chelsea Market. La région est riche en produits et il y a nécessité de centraliser artisans et producteurs de qualité.

3. Développer les interactions avec l’étranger (le bassin méditerranéen étant de facto un espace à privilégier pour des raisons évidentes de culture et de proximité) et notamment via les écoles hôtelières : à Paris, nombreux sont les Japonais venus en apprentissage et jamais repartis. Autant de profils qui nourrissent l’environnement culinaire domestique… et ouvrent des restaurants. Un livre publié à l’automne 2014 a d’ailleurs cristallisé le phénomène.

4. Former. À quand une école Ferrandi (le « Harvard de la gastronomie » dixit le journal Le Monde) ou un Institut Bocuse à la sauce provençale capable d’attirer les futures pousses de l’ensemble de la région ?

5.    Communiquer. A l’heure où la forme importe autant que le fond, c’est l’un des points essentiels. Quitte à avoir des projets en matière de gastronomie, autant le faire savoir. A l’extérieur (organisation d’actions en France et au-delà) comme à l’intérieur (et si on lançait une véritable revue gastronomique made in Provence ?  A moins de soutenir de superbes mais inconnues idées comme le magazine La Brousse).

Marseille, capitale mondiale de la gastronomie ? Chiche ! Rendez-vous dans vingt ans…

Commentaires

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  1. Trésorier Trésorier

    J’avais accueilli avec enthousiasme l’arrivée de la troisième étoile au Petit Nice en 2008.

    J’avais alors affiché, tout le monde sachant que j’étais marseillais et fier de Marseille, dans ma Trésorerie, située à l’autre bout de la France, cette nouvelle qui honorait le cuisinier et notre cité.

    Je dois reconnaître que les restaurants marseillais font des efforts et que les guides reconnaissent au fil des ans notre progression.

    Ma moitiée étant cheffe de cuisine, je dois aussi reconnaître que je suis assez sensible à cette reconnaissance, sans parler de mon chauvinisme chevillé au corps.

    Très belle lettre, qui ‘a fait chaud au cœur.

    La ville des marseillais resplendit de ses grand plats….

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  2. jacques jacques

    Pour ce qui est des produits il y a encore du chemin à faire . Ah c ‘est sûr, les étals sont bien garnis, mais pour la qualité. ….Mon cher trésorier, si ta femme est chef,elle doit bien savoir que la grande majorité des chefs de la région fait ses courses à Metro ! .et que le 13 est en queue de peloton pour le bio.
    Quant aux grands plats “marseillais” j aimerais bien les connaître (à. Part la bouillabaise)
    P S : j ai 45 ans de cuisine derrière moi ! .

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