Malika Moine vous présente
Cuisine à croquer

Les tartelettes de Carélie de Marja Järviöl-Jolivet

Chronique
le 23 Jan 2021
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Depuis plus de 20 ans, Malika Moine croque la vie en (dé)peignant l'actualité plus ou moins brûlante de Marseille et d'ailleurs. Elle s'intéresse particulièrement aux lieux où l'on boit, mange et danse parfois. Pour Marsactu, elle va à la rencontre des gens dans leur cuisine. Elle en fait des histoires de goût tout en couleurs.

(Image : Malika Moine)
(Image : Malika Moine)

(Image : Malika Moine)

Rien ne me ravit davantage que de discuter avec des inconnu·e·s enclin·e·s à rencontrer leurs semblables. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec Marja. Je causais pinceaux avec Claude, le sympathique responsable du rayon papeterie de Maupetit, et elle est venue tchatcher avec nous…

Moins d’une semaine plus tard, je me rends chez elle, au septième étage d’un immeuble des années 70, derrière l’église des Chartreux pour voir, écouter et déguster une recette traditionnelle finlandaise dont j’ignore tout, les « karjalanpiirakat », autrement dit, les tartelettes de carélie.

Devant un bon café chaud, elle me conte sa famille et son pays d’origine :

“Je suis née à Helsinki, en 1956. Le plus lointain ancêtre que ma grand-mère a retrouvé a été pendu au XVIIe siècle pour piraterie. La Finlande a une histoire particulière : ses premiers habitants, des chasseurs qui vendaient des peaux, venaient de l’Oural. Malgré la Suède et la Russie, en guerre pour les soumettre, les Finlandais ont gardé leur culture propre et leur langue. Suédoise jusqu’en 1809, russe ensuite, la Finlande est devenue indépendante après 1917 en partie grâce à Lénine qui s’y était exilé sous le tsar. Ma famille, plutôt bourgeoise, était du côté des Blancs pendant la guerre civile qui a suivi la Révolution russe. Mes deux grands-pères étaient juges, ma grand-mère écrivaine. Elle a créé la première série finlandaise style « Plus Belle la Vie » pour la radio : « La famille Suominen ».”

Espionnage, “finlandisation” et big bands

Marja poursuit la saga familiale : “Ma maman a été l’une des premières à devenir kinésithérapeute. Mon père était géologue et ingénieur en génie civil, il faisait les fondations des maisons, des immeubles, des usines, jusqu’à Ushuaïa. Helsinki a été construite en partie sur l’eau et il faisait des forages partout pour cartographier la ville afin que ça ne s’écroule pas. J’ai pensé à lui au moment des effondrements de la rue d’Aubagne. Il était aussi guitariste et avait payé ses études en jouant dans des big bands.” La tradition musicale a perduré : Marja joue du piano depuis toujours et accompagne une chanteuse, et son fils Timo a préféré la carrière de guitariste de jazz après avoir fait un doctorat de mathématiques.

Et la cuisine dans tout ça ?

Mes cousins évoquent encore aujourd’hui mes bizarreries culinaires comme les artichauts sauce hollandaise…

“On avait une bonne qui cuisinait. Avec mon frère, on était interdits de cuisine. Helmi avait été embauchée comme nounou et cuisinière à la naissance de ma mère. Elle est restée soigner mon grand-père jusqu’au bout et on lui a acheté un studio au moment de la succession. Elle était devenue un membre de la famille. Elle faisait une cuisine extraordinaire. C’est elle qui m’a donné le goût de manger ! À 19 ans, je suis partie au Canada chez ma tante et là-bas j’ai commencé à cuisiner. Mes cousins évoquent encore aujourd’hui mes bizarreries culinaires comme les artichauts sauce hollandaise… Depuis, j’ai continué : je ne supporte pas le goût des plats industriels !”

Mon ventre commence à gargouiller, il est midi. “Je vais faire des « Karjalanpiirakota », une spécialité de la Carélie, une province de l’Est. On en  trouve chez tous les pâtissiers d’Helsinki et Helmi les faisait à merveille.”

Je suis Marja à la cuisine pour la confection des tartelettes de Carélie. Elle sort du riz et du lait. Je commence à m’inquiéter, j’adore le riz mais je n’aime pas le lait… Marja m’explique : “c’est des tartelettes à la farine de seigle avec une garniture de riz au lait.” Je me sens blêmir : pourquoi moi qui demande toujours avant une chronique l’intitulé de la recette, cette fois-ci, je n’ai rien demandé ?. Je n’ose rien dire et note consciencieusement la recette :

(Image : Malika Moine)

Les ingrédients :

Pour la pâte :

– 1/2 dl d’eau

– 1 c à s d’huile 

– 3/4 de c à c de sel

– 165 g de farine de seigle

– 55 g de farine de blé

Le riz au lait :

– 2,5 dl d’eau

– 100 g de riz rond

– 7,5 dl de lait entier 

– 1 c à c de sel

– 1 œuf

– un peu de beurre 

Le munavoi  (crème à l’œuf) :

– 3 œufs

– 100 g de beurre 

 

Je me retiens… je veux faire la recette traditionnelle sans rien ajouter

Avant de se mettre aux fourneaux, Marja me raconte l’histoire de son installation en France : “J’ai rencontré feu mon futur ex-mari au Canada. Il faisait une année sabbatique mais s’était procuré un numéro de sécurité sociale qui lui permettait de travailler. Alors que j’étais partie en Finlande pour l’été, il a été dénoncé à l’Immigration et il est rentré en France. Je suis restée deux ans encore au Canada sans nouvelles mais un été il m’a appelé et je l’ai rejoint à Paris.” Marja s’est mariée et ils se sont installés à Roquevaire. Puis, ils ont divorcé. “J’ai eu quelques petites misères, je n’avais pas vraiment de métier… J’ai fait une formation d’assistante technique de plateau à l’Espace Julien mais c’est difficile de travailler dans le spectacle avec un enfant jeune… J’ai bossé un peu à droite à gauche. Un jour, j’ai voulu essayer les rollers de mon fils, je savais patiner mais je me suis cassée le bras. Impossible de travailler. Un copain m’a proposé de devenir projectionniste au cinéma itinérant du Soleil. J’adorais faire la tournée des villages ! J’ai passé le CAP de projectionniste et j’ai été embauchée au cinéma le Pagnol d’Aubagne. Puis, je suis repartie en Finlande pour m’occuper de mes parents. J’y suis restée 12 ans.”

Marja commence par la garniture. Elle mélange le lait à l’eau, au sel et au riz et met le tout à chauffer au bain-marie. “Ce n’est pas dans la recette mais il n’y aura pas besoin de surveiller que ça ne brûle”. J’espère qu’elle va épicer le riz… mais non ! “Je me retiens… je veux faire la recette traditionnelle sans rien ajouter”. Je suggère qu’elle mette de la crème mais non “Ce serait trop gras car il y a déjà beaucoup de beurre dans le munavoi”. 

Elle tourne le riz avec une spatule et l’odeur du lait vient jusqu’à moi à mon grand dam…Elle laisse la préparation épaissir et s’attaque à la pâte. Elle me donne la recette écrite qu’elle a traduite. “Ça a été un de mes petits boulots. Ma belle-sœur était la secrétaire d’Uderzo. Il était très pointilleux et quand un album était traduit, il demandait systématiquement à une personne qui parlait les deux langues de relire pour vérifier que les jeux de mot marchaient encore… “

Marja mélange à la spatule les 2 farines, ajoute l’eau pour faire une pâte, puis l’huile. Elle parsème abondamment de farine de seigle le plan de travail en granit, ainsi que le rouleau à pâtisserie et retourne touiller le riz. “Haaa, ça y’est, il commence à épaissir !”  

Elle sort un petit outil rapporté de Finlande pour percer les œufs où ils sont le plus rond avant de les mettre à durcir. Puis elle étale la pâte, prend un verre pour couper ses fonds de tartelettes. Elle saupoudre de farine de seigle une assiette et pose chaque fond avant de poser au-dessus le suivant. Elle tapisse à nouveau de farine le plan de travail, étale la pâte qui reste et recommence l’opération. 

Les œufs sont cuits. Le riz aussi et ça ne sent plus le lait chaud – peut-être vais-je finalement pouvoir goûter… Il refroidit au balcon. 

L’heure du repas approche et je ne cesse de penser à ce plat que Marja prépare avec tant d’amour et auquel je risque de ne pas faire honneur… 

Elle étale une deuxième fois chaque fond de tartelette avec le rouleau oblong de ses aïeux, non sans avoir parsemé généreusement de farine de seigle marbre et pâte, jusqu’à obtenir des fonds de tarte très fins qu’elle dispose sur la plaque du four couverte de papier sulfurisé. 

Le riz est tiède, elle peut y battre l’œuf. 

“C’est maintenant le plus délicat”

“C’est maintenant le plus délicat : il faut mettre le riz au centre avec une cuillère et froisser la pâte autour pour donner une jolie forme…” Je lui suggère de mettre un peu moins de riz pour faciliter l’opération, espérant secrètement moins sentir le lait… mais non ! Il faut ce qu’il faut !   

Marja fait fondre le beurre au micro-ondes, en prélève 10 g qu’elle mélange à de l’eau pour badigeonner au pinceau les tartelettes avant d’enfourner le tout à 275° pour 1/4 d’heure.

Je ne la vois pas hacher les œufs à la fourchette et les mélanger au beurre ramolli pour obtenir la crème appelée “munavoi”, obnubilée par mon appréhension du repas qui approche. Soudain, sans réfléchir, je lance “Marja, j’ai un aveu à te faire… Il se peut que je ne mange pas les tartelettes… Je n’aime pas le lait…” “Oh, je te comprends, si tu es allergique”, me répond-elle, et tout de suite, je me sens mieux.

(Image : Malika Moine)

Un quart d’heure après, on s’attable. Marja n’a mis qu’une tartelette dans mon assiette. Elle est très jolie, comme une barque échouée à côté de la petite montagne dorée de la crème d’œuf… Comme Marja, je tartine le riz de crème d’œuf et croque timidement.  Surprise !!! Je ne sens pas du tout le goût du lait dans le riz onctueux. Le craquant de la pâte tranche avec la douceur de l’œuf. C’est délicieux ! Je me lève pour aller en chercher deux autres. J’y retourne encore… et encore… jusqu’à presque finir la plaque.

Commentaires

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  1. jasmin jasmin

    Merci pour cet article riche en culture! Le parcours de cette femme est intéressant et différent de ce que je connais. Ca donne envie de mieux la connaitre, et entendre plus d’histoires de sa part. Je pense que je n’essaierai pas sa recette car je n’aime pas le riz au lait, et ça a l’air laborieux et long, à rester debout longtemps pour préparer des tartelettes. Mais ça a l’air très sympathiques et certainement délicieux! On est content pour vous de ne pas avoir fait d’allergie au lactose. En espérant lire plein d’autres histoires d’immigrants de partout ailleurs aussi, par la cuisine ou non.

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