Sandrine Lana vous présente
Voilà le travail

Les pompiers “ne se considèrent plus comme des surhommes”

Chronique
le 25 Jan 2020
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Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde le sujet quotidien qu'est le travail en partant des femmes et des hommes au labeur. Elle a croisé la route de deux sapeurs-pompiers qui se confient sur leur métier.

Les pompiers “ne se considèrent plus comme des surhommes”
Les pompiers “ne se considèrent plus comme des surhommes”

Les pompiers “ne se considèrent plus comme des surhommes”

Nous rencontrons A. et F. dans leur caserne. Dans les Bouches-du-Rhône, les pompiers sont mobilisés contre la réforme des retraites, dans leur caserne particulièrement. Tous deux gardent l’anonymat pour pouvoir s’exprimer sans crainte. Dans leurs témoignages croisés, on distingue bien un esprit d’équipe et la difficulté à parler de son rapport personnel au travail, tant la vie et la fonction sont imbriquées.

Après avoir été pompiers volontaires, A. (une femme de 48 ans) et F. (un homme de 28 ans) se retrouvent en caserne en tant que professionnels. Tous les deux sont passés par le privé, il et elle reconnaissent le confort de la fonction publique qu’ils occupent : “Malgré les couacs, après 20 ans de privé, je trouve qu’on a de la chance de faire le métier qui nous plaît”, indique A. qui a pris son poste 12 heures plus tôt.

Dessin Sandrine Lana

F. travaille depuis qu’il a seize ans, d’abord en tant que maçon puis comme postier avant de passer son concours et de rejoindre les pompiers. “C’est un métier passion, on n’y vient pas par hasard. On sait la chance qu’on a. Mon père était gendarme, je le voyais dans l’action. C’est le fait d’être confronté à l’inattendu qui m’attire. Malgré les difficultés du 24/48, chaque garde est différente.”

Le 24/48 signifie une garde de vingt-quatre heures d’affilée en caserne suivie de quarante-huit heures de repos. C’est l’un des points noirs pour F., jeune père de famille, qui trouve le système injuste. “Ce qui m’énerve, c’est de travailler des heures non payées. Ça me rend fou qu’on dise qu’on n’est pas payé parce qu’on dort alors que quand on se couche, on sait qu’on va être réveillés pour partir en intervention. D’autres trouvent ça normal…”

“Sur 24 heures travaillées, nous sommes payés 18 heures. Après 1h30 du matin, nous ne sommes plus payés”, poursuit A.

Les pompiers sont “hors quotas” et travaillent environ 2300 heures par an payées pour 1607 heures officielles. “Ce temps-là, je ne le passe pas avec mon enfant un soir sur trois, explique F. Et je le passe à soulever des gens qui parfois pourrait aller seul à l’hôpital”.

“Dans notre département, on travaille ainsi. On va tous finir en 12-12. C’est pas mal, ça permet d’avoir des gardes avec du personnel différent à chaque fois et s’y rajoute des volontaires. Mais en attendant, la France préfère payer des amendes plutôt que de nous payer nos heures…”, poursuit F.

Le matin, en arrivant, A. a commencé par faire l’inventaire des véhicules après le rassemblement. Ensuite, un petit café en équipe avant les manœuvres. Elle a ensuite participé aux heures matinales de sport collectif (qui s’alterne avec le renforcement musculaire)… En cas d’intervention, c’est bien entendu la priorité. De midi à quatorze heures, c’est la pause déjeuner. “Normalement ! Parce que, aujourd’hui, j’ai mangé en trois étapes et terminé mon repas à 15h30.” Après un deuxième rassemblement, ce sont les TIG pour “travaux d’intérêt général” : nettoyage, rangement de la caserne. Puis, jusqu’au soir, A. et ses collègues sont affectés dans différents services (planning, stocks, laverie…).

Dans les services, le travail est saccadé par les interventions. “En soi, notre travail n’est pas éreintant, nous suivons des protocoles… Mais on doit souvent partir en intervention en ayant commencé une tâche. Je m’arrête même si je sais que quelqu’un doit venir récupérer le matériel que je prépare, explique F. Mais je ne m’acharne pas sur ces tâches même si on veut nous imposer des quotas. Il y a toutes les interventions, une trentaine par jour, qui s’ajoute à ça. Et c’est la priorité. On est levé depuis six heures du matin. Et ensuite, on ne sait pas si on va dormir ou devoir repartir”.

“On ne s’arrête jamais d’être pompier”

Dans la caserne, tout est calme. Les camions-citernes sont alignés dans le hangar. Dans un coin, une machine à laver tourne avec les vêtements, les uniformes, les équipements de protections individuelles.

“Mon mari est pompier volontaire, c’est sûr qu’on en parle beaucoup, explique A. derrière son bureau. Pouvoir parler de nos interventions nous fait du bien, c’est notre soupape de désenfumage. En plus, je fais beaucoup de formation. Au quotidien, je suis très attentionnée : si je vois une mamie qui n’arrive pas à sortir son chariot, je l’aide… Avant, on était des surhommes, on ne parlait pas de ce qui arrivait. Aujourd’hui, on en parle”.

F. acquiesce : “Ma femme est infirmière, c’est important qu’elle puisse comprendre mon quotidien. Quand on rentre chez soi, en ayant posé la victime à l’hôpital, on rentre avec pas mal de choses en tête. Parfois, on arrive dans une maison où il n’y a pas de blessé physiquement mais, en parlant, on se rend compte que les gens peuvent vivre dans un grand malheur”.

Notre discussion est entrecoupée par des sapeurs-pompiers qui passent, posent une question, viennent chercher un document…

Quand on lui parle de son uniforme, F. se souvient de la soirée du 31 décembre dernier. Il était de garde quand son équipe est appelée pour un feu de poubelle. “J’étais conducteur de l’engin. En arrivant sur les lieux, il y avait une quarantaine de personnes, ils ont mis le feu au poubelle devant nous et nous ont jeté des pierres… On est reparti pour préserver notre sécurité. Sur les quarante, il doit y avoir dix cons et les autres suivent. Il n’y a pas de colère, ça ne changerait rien. C’est représentatif de la France…Il y avait jusqu’à maintenant un respect de l’uniforme mais… depuis les manifestations, les gilets jaunes, l’image a changé même si les gens ne nous confondent pas avec les forces de l’ordre”.

On entend dans la caserne une voix qui annonce un départ en intervention. “Cette voix est moins choquante et moins stressante que notre bip accroché à notre ceinture. On nous prévient en douceur”, explique A. dont le bip retentit malgré tout quelques secondes après la voix féminine du haut-parleur. A. part dans la foulée sans se retourner. Il s’agira finalement d’une fausse alerte suite à une suspicion de fuite de gaz en appartement.

En intervention, A. fait la photo mentale de l’intervention. Avant même de s’engager, elle se protège. Une fois en sécurité, l’intervention peut commencer en suivant la trame et en gardant sa place dans l’équipe.

“Hôpital surchargé… moins d’intervention”

Le feu, élément-clé des pompiers dans notre imaginaire collectif n’est pas leur premier champ d’action. L’aide à la personne tient la première place. “Il y a une régulation qui est mal faite – ou pas bien faite – par le 15. On arrive parfois sur des interventions qui ne sont pas de notre ressort”, regrette F.

“Oui et quand l’hôpital est surchargé, qu’il n’y a plus de lits de libre, il y a bizarrement beaucoup moins d’interventions des pompiers. La régulation le sait et commence à réfléchir à ce qu’il envoie à l’hôpital ou ce qui peut attendre, enrage-t-il. Hier, j’ai envoyé une ambulance pour un mal d’oreille… Cela veut dire qu’en cas de gros accident sur l’autoroute, je n’avais plus qu’une seule ambulance. Certains cas vont bonder les urgences parce qu’ils pensent qu’ils passeront plus vite en arrivant avec les pompiers, ce qui est faux.” Malgré les coups de gueule, dans l’action, il ne laisse pas de place au jugement.

“Quand on part sur une intervention, on est tous carré et on fonce”

Sans équipe, pas de sapeurs-pompiers. Travail en binôme, retrouvaille à la caserne, une deuxième famille se crée. “On fait avec les caractères, les humeurs et… les odeurs des gens !”, rigolait A. avant de filer en intervention.

De son côté, F. finit sa journée par remplir la feuille du jour résumant les quelque trente interventions. Non loin, la musique hurle dans un local attenant, ça ne durera que quelques minutes. C’est l’heure de la pause de fin de journée. On se retrouve dans le foyer autour de cacahuètes, on débriefe, on se charrie, entre deux bips.

Sandrine Lana
Journaliste indépendante qui a quitté l'hyper-centre de Marseille pour l'hyper-vert de la Provence. Je travaille sur les thématiques médico-sociales, sociétales et migratoires pour la presse française et belge. J'associe parfois mon travail à celui d'illustrateurs pour des récits graphiques documentaires.

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