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Voilà le travail

Laureen Keller, écologue : “C’est sur le terrain qu’on trouve le plus de sens”

Chronique
le 21 Nov 2020
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Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde le sujet quotidien qu'est le travail en partant des femmes et des hommes au labeur. Chargée de mission au parc national des Calanques, Laureen Keller apprécie ce terrain au contact des éléments.

Crédit photo Sandrine Lana
Crédit photo Sandrine Lana

Crédit photo Sandrine Lana

Laureen Keller s’attelle à replanter des astragales de Marseille, une espèce endémique de la flore du littoral méditerranéen mais dont la survie est menacée. Elle est en charge du programme européen Life Habitat Calanques et mène des actions de protection dans le parc national des Calanques.

Jeudi matin, 9h, Cap Croisette. On reconnaît la patte du parc national dans la tenue que revêt Laureen Keller lorsqu’elle est sur le terrain. Pantalon gris à poche et transformable en short, chaussures de marche et polaire grise. Indispensables pour la journée de plantation, une paire de gants fine mais robuste et des lunettes de soleil relevées sur la tête.

Plantations d’astragale. Crédit photo : Sandrine Lana.

Comme quelque vingt personnes à ces côtés, elle manipule méticuleusement l’Astragale de Marseille qui détermine la phrygane, la garrigue typique des pentes et falaises des Calanques, entre roches blanches et buissons de plantes grasses (ou non) résistant au sel, au vent et à la sécheresse.

“Beaucoup de gens imaginent de grands arbres verts ou la forêt en pensant à la nature, pourtant, les Calanques, c’est aussi un environnement à préserver, explique-t-elle passionnée par sa mission entamée en 2017. Quand on prend le temps de les regarder, elles sont magnifiques ces Calanques mais énormément sous pression car elles sont partagées.

La jeune femme parle de son travail comme un terrain à explorer et surtout à préserver. Après un master d’écologue et d’éthologie, elle a travaillé dans un bureau d’étude en environnement à Marseille. “Avant, je faisais des aménagements de lignes électriques, des autoroutes. Le but était que ces aménagements jugés nécessaires pour notre société aient le moins d’impact possible sur la nature. J’ai très vite eu l’impression d’agir là où on en a besoin. Par exemple, j’ai travaillé sur une ligne électrique dans les Hautes-Alpes. J’ai passé des heures à convaincre et co-construire l’emplacement de chaque pylône avec l’entreprise prestataire.

Pour ce bureau, elle avait commencé à faire de la gestion d’espaces naturels à Fos-sur-Mer, propriété de l’usine sidérurgique ArcelorMittal. “Là, je n’étais pas dans de la protection de la nature mais dans de l’aménagement intelligent. Aujourd’hui, j’agis concrètement pour protéger un espace naturel qui est un bijou. J’ai le sentiment de répondre à des besoins réels du territoire, du Mont Rose à Marseilleveyre, et jusqu’au Bec de l’Aigle.

En équipe et avec les habitants

“Les gardes moniteurs et les éco-gardes sont mes yeux sur le terrain et, pour ce projet, on travaille tous ensemble”, dit-elle, tandis que Timothée, garde moniteur de la zone est venu à sa rencontre observer le chantier. “Les gardes valident nos solutions. Ils nous disent si elles sont adaptées aux pécheurs, aux randonneurs,… J’ai mon bagage de gestionnaire et ma connaissance du territoire que je vais confronter aux avis de mes collègues.”

Croquis : Sandrine Lana.

Huit partenaires (institutions, associations) sont impliqués dans le projet Life Habitat Calanques. “C’est stimulant de se dire qu’ici, on a une volonté commune, qu’on partage un même langage avec le département, des scientifiques pour gérer un espace de manière cohérente et intelligente et intégrée dans le temps. Dans un parc naturel qui n’a même pas dix ans, j’ai l’impression qu’on met en place des actions concrètes et des partenariats.

Le vent, la mer, la terre

Je prépare les protocoles de suivi pour vérifier que nos actions aient du sens… Mais sur une chaise, à un moment, je craque physiquement !

Aujourd’hui, Laureen Keller travaille au son des vagues. Le vent s’est levé mais il faut planter puisque la saison (et les pluies probables de l’automne) est propice à l’installation des jeunes pousses. Le travail en extérieur représente 50 % de son temps. Elle passe l’autre partie à contacter les experts du terrain, les associations de randonneurs, les guides, la ville de Marseille aussi propriétaire d’une partie des terrains, les prestataires de services – comme cet hélicoptère venu enlever des big bag contenant des parpaings inutiles. Elle diagnostique, imagine les solutions de restauration nécessaire de l’espace naturel, ici un sentier, là une nouvelle plantation.  “Au bureau, je rencontre les chefs de chefs, des personnes qui peuvent être un peu déconnectées. Il faut gérer les marchés publics avec nos partenaires, je prépare les protocoles de suivi pour vérifier que nos actions aient du sens… Mais sur une chaise, à un moment, je craque physiquement ! Être dehors, au contact de la mer, c’est un espace de grande imagination, je trouve. C’est un espace dans lequel on respire et on peut rêver. En même temps, pouvoir marcher, être les pieds dans la terre, ça fait qu’on est dans le concret. Ça me rappelle pourquoi je fais ce travail. C’est aussi dehors que je rencontre les randonneurs et leur quotidien. C’est sur le terrain qu’on trouve le plus de sens.”

Quand on travaille face à la mer, c’est parfois compliqué de faire face au mistral. “Sur les crêtes, il y a quelques jours, on ne tenait pas debout, littéralement !” Le vent est un acteur vivant qui empêche parfois Laureen Keller de traverser la mer pour atteindre le Frioul, de planter. “Le vent, plus que la pluie, est l’un des facteurs qui détermine mon travail de terrain.”

Même au parc national des Calanques, on télétravaille quand on le peut. “Le premier confinement a mis un gros coup d’arrêt à nos chantiers extérieurs. Au printemps, on était plus dans une logique d’opération de terrain. On s’est adapté et on s’est mis au télétravail, aux visioconférences. On a accepté puisque c’était une expérience collective”, dit-elle en mimant une foule de gens devant elle, les yeux dans la mer. Aujourd’hui, le travail plus classique a repris. “Les grands espaces m’ont le plus manqué… Et le fait de ne pas avoir de vue. Ce deuxième confinement est très différent.”

Laureen termine sa matinée en remerciant toute l’équipe mobilisée autour de chouquettes et d’un café qui réchauffe. Elle regrette aujourd’hui de ne pas pouvoir organiser de chantier avec les bénévoles… “On cherche des alternatives pour relancer les chantiers avec nos partenaires. Ça viendra.” Au total, Laureen Keller a participé à la replantation de plus de quatre mille plants d’astragales et de plantains à feuille en alène sur les pentes, falaises du littoral méditerranéen du parc.

Sandrine Lana
Journaliste indépendante qui a quitté l'hyper-centre de Marseille pour l'hyper-vert de la Provence. Je travaille sur les thématiques médico-sociales, sociétales et migratoires pour la presse française et belge. J'associe parfois mon travail à celui d'illustrateurs pour des récits graphiques documentaires.

Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    4000 astragales* ! On ne va plus pouvoir s’assoir ! 😉
    * souvent dénommées “coussins de belle-mère” pour leur jolie forme arrondie et parce que rien ne pique plus que ces plantes là

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