Michel Samson vous présente
Mazargues, un village dans la campagne

[Mazargues, un village dans la campagne] La quête de la bonne parole

Chronique
le 27 Fév 2017
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La rue Émile-Zola et l
La rue Émile-Zola et l'église de Mazargues (Photo : CV)

La rue Émile-Zola et l'église de Mazargues (Photo : CV)

Après la justice et la culture, Michel Samson poursuit son compagnonnage journalistique avec Marsactu. Pour cette nouvelle chronique, il regarde la campagne présidentielle depuis le village de Mazargues. Ancré à droite, malgré un vieux fond de gauche, à la lisière de quartiers populaires, le quartier natal de Jean-Claude Gaudin est son nouveau terrain d’exploration. Pour ce premier épisode, il part en quête de lieux de parole.

 

Au centre du village de Mazargues, rue Émile Zola, samedi est jour de courses : les femmes, panier au bras, achètent carottes et oranges dans les magasins de primeurs, côtelettes dans les boucheries et gâteaux dans les boulangeries de la rue. Dans les cafés, les hommes parlent de l’OM. Devant l’église et alentour, pas d’affiche électorale, personne pour distribuer des flyers ou interpeller les passants. La matinée ensoleillée est tranquille.

Dix heures et demie du matin. Le supermarché Leclerc, installé au bord de Mazargues, commence à se remplir. Devant son entrée, la maison de la presse est bondée. Les gens font la queue, achètent quelques journaux, des billets de loto. Les titres nationaux, les seuls dont les manchettes évoquent les élections présidentielles, sont au fond du magasin, à peu près invisibles.

Au rond-point, trois jeunes gens, gilets jaune phosphorescents, interpellent les voitures. Ce jeune homme aux cheveux bouclés mi-longs mi-décolorés m’explique qu’ils collectent des sous, “les flics sont d’accord”. Ils sont trois et cherchent un peu d’argent et un logement. Lui a plus l’air d’avoir quinze ans que les vingt qu’il avoue. Il a passé quatre ans en foyer fermé “dans la région parisienne” et vit en auberge de jeunesse depuis qu’il en est sorti. Il ne voit plus sa mère et son beau-père, qui vivent à Saint-Étienne, “ça se passe pas trop bien”. Il suit un peu la politique, ce qu’il en “voit à la télé”. La présidentielle ? Oui, il connaît un peu. Qui ? “Donald Trump, il y a des gens qui font des pétitions, ils sont pas d’accord avec ce qu’il fait, non ?”. “Je parlais de la présidentielle française…”. “Ah oui, je suis pas trop ça…”. Y a-t-il des candidats qu’il connaît, qu’il apprécie ou qui ne lui plaisent pas ? “Non je lis pas trop, juste la télé. J’ai vu Marine Le Pen, elle disait des trucs…”, il ne sait plus trop quoi. En a-t-il vu d’autres ? “Une fois j’ai entendu Mélenchon, c’était pas mal, mais bon…”

D’ici la présidentielle, j’essaierai de voir, d’entendre, d’écouter à Mazargues et alentour tout ce qui se dit de cette élection nationale dont parle si souvent la télévision. Les résultats des dernières élections dans les quatre bureaux de vote de ce quartier sud de la ville ressemblent d’assez près à ceux de la région (lire ci-dessous). Comme ce premier samedi, je me promènerai donc dans les rues, dans les cafés, dans les magasins, aux terrains de boule ou… je ne sais où justement. Je visiterai aussi les lieux où les mots comptent.

 

Voir le document

 

À l’église par exemple, lors de la messe du dimanche matin. Cent cinquante fidèles s’y retrouvent à 10 heures 30. Quarantenaires ou cinquantenaires, jeunes parents, trois nonnes, quelques enfants et des personnes âgées s’y recueillent et surtout chantent, entraînés par une jeune femme à belle voix accompagnée d’un guitariste. Elle entonne les couplets dont les paroles sont projetées sur les murs. Ces paroissiens aiment chanter, la messe est pleine d’allégresse. Soutane verte, le prêtre appelle des fidèles qui viennent lire un verset de l’évangile selon Saint Matthieu ou du Lévite. Il prêche ensuite à propos de “l’autre joue” que Jésus dit de tendre à celui qui a frappé la première. Exemple concret d’un voisin arrivé en retard, réflexions de l’église “à laquelle nous appartenons” : son prêche est simple et ressort de la fraternité chrétienne. Prières et chants continuent de ponctuer cette messe, qui a vu les visages projetés de Gandhi et Martin Luther King durant les réflexions du curé. La communion clôt l’office religieux et le père Barrucant lit les annonces paroissiales. Une prochaine réunion aura pour thème : “Revenu Universel, rêve ou cauchemar”. Le prêtre qui salue les fidèles à la sortie de l’église me confirme que j’y serai le bienvenu.Ce même après-midi, je vais au café des Amis de l’instruction laïque, ouvert et un peu désert en semaine, mais comble le jour du loto hebdomadaire, “dimanche 15 heures”. Devant le bar et dans l’arrière salle, 80 personnes âgées écoutent attentivement les numéros égrenés espérant aller à “quine” et “carton plein”. Le président du Club des AIL, qui joue sur le comptoir, m’accueille gentiment mais me demande aussi gentiment de partir, “c’est un club privé”. D’après lui, d’ailleurs, “ici, la politique est interdite”, d’autant “qu’en période électorale…”. Je n’en saurais pas plus.

M’offrant un café, Yves le propriétaire du Voyage immobile, la ravissante librairie de la place de l’église, m’a bien averti que “les commerçants refusent toujours de parler politique, par principe”. Il va donc falloir que je trouve le moyen d’entrer mieux chez les gens et d’entendre les militants des différents partis du quartier pour savoir comment le débat présidentiel circule à Mazargues. Sur leur terrain en quelque sorte.

En tous cas, la première chose qui apparaît quand on décide d’une telle démarche journalistique, c’est que si la politique est la grande affaire publique, elle est aussi celle qui relève le plus aisément de la sphère privée. Cette chose dont personne n’aime spontanément parler, s’il n’est pas lui-même un acteur politique !

 


Géographie électorale de Mazargues

Quatre bureaux de vote de Mazargues (contours non officiels reconstitués dans le cadre du programme de recherche Cartelec).

Qu’est-ce que Mazargues ? Lorsque nous avons arrêté avec Michel Samson son terrain d’observation de la campagne présidentielle, la question s’est posée d’emblée. Si l’on suit l’orthodoxie des fameux 111 quartiers de Marseille, Mazargues compterait environ 17 000 habitants sur un périmètre englobant une bonne partie du boulevard Michelet et poussant à l’est jusqu’à Valmante (voir cette carte).

Dans un premier temps, c’est plus spécifiquement dans le “noyau villageois”, structuré par la rue Émile-Zola, que Michel Samson a décidé de flâner. Électoralement, cela correspond à peu près aux bureaux de vote 951 et 952. En 2012, Nicolas Sarkozy y a dépassé sa moyenne régionale avec près de 35 % des voix au premier tour (contre 27,2 % au niveau français). Lors des régionales 2015, Christian Estrosi a fait jeu égal avec Marion Maréchal-Le Pen autour de 33 %, bien plus que les 26,5 % réalisés sur l’ensemble de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Mais considéré plus largement, le quartier de naissance de Jean-Claude Gaudin n’est pas le bastion de droite que l’on pourrait croire. Les bureaux 953 et 954, qui recoupent d’une part les résidences Lancier – Cyclamen – Myosotis, d’autre part les alentours de La Soude, montrent bien la diversité des électorats. Leur variabilité aussi : en 2012, trois-quarts des inscrits du bureau 954 s’étaient déplacés pour le premier tour, seulement un peu plus d’un tiers pour les régionales trois ans plus tard…

Julien Vinzent

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