Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

La politique active de la justice debout

Chronique
le 21 Juin 2016
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La politique active de la justice debout
La politique active de la justice debout

La politique active de la justice debout


Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il revient sur la gestion judiciaire des incidents entre supporteurs de l’Euro 2016… 

Jeudi 16 mai, 17h45, onze caméras sur pied s’installent avec leurs servants, au milieu des fils, des boîtes d’enregistrement, des pieds qui s’embranchent. Elles forment un arc de cercle devant la table hérissée de micros siglés BFM, France Info, RTL, RMC, La Marseillaise… Dans cette salle basse du 5ème étage du Palais moderne, celui des bureaux des magistrats, 43 journalistes, record d’affluence, s’installent avec leurs machines. Dans le bâtiment voisin, siège depuis le début de l’après-midi et jusqu’au soir, la chambre des comparutions immédiates : elle juge les hooligans russes et le rappeur français récemment interpellés.

Ici, attente, brouhaha ordinaire des grands moments, on échange des impressions sur les procès en cours, on demande la phrase exacte prononcée par une avocate. Le procureur de Marseille, Brice Robin a convoqué une conférence de presse, en compagnie Jean-Marie Salanova, DDSP, Directeur Départemental de la Sécurité Publique. « Concernant les présentations devant le tribunal correctionnel ce jour suite aux faits de hooliganisme commis à Marseille le 11 juin 2016 », c’est la phrase officielle. La justice debout, celle qui dépend du ministère de la Justice, doit faire savoir aux Français qu’elle agit : c’est une de ses fonctions. D’ailleurs le procureur avait tenu quelques temps auparavant, fait assez rare, une réunion générale des procureurs, vice procureurs et substituts, bref de toute la justice debout sur laquelle il a autorité. Pour préparer d’éventuels incidents lors de l’Euro 2016, consigne nationale.

“Nos amis de la police russe”

18h20, le procureur et le policier s’installent à la table des micros, vérifient que tout le matériel et ses servants sont prêts. Et Brice Robin commence. Voix ferme, ton sévère, il évoque « la violence inadmissible » qui s’est déroulée à Marseille le week-end dernier. Il souligne que les incidents sont dus « en grande partie aux supporteurs de nationalité russe » et que deux supporteurs anglais sont « gravement blessés ». Développe ensuite ce qu’il sait des agresseurs, « grâce à nos amis de la police russe » qu’il remercie fort. Ces hooligans, supporteurs de différents clubs russes, ont été repérés après les incidents, dans « un hôtel de Mandelieu ». Certains ont été immédiatement expulsés par le préfet des Alpes Maritimes et attendent au CRA du Canet. D’autres ont été immédiatement mis en garde à vue. Et comparaissent : il annonce les condamnations fermes décidées par le tribunal qui siège à deux pas : 2 ans fermes pour l’un, 18 mois pour un autre, 1 an pour un troisième : « un message fort ». Il félicite les policiers de la DDSP qui travaillent aussi « H 24 » -ce qui signifie “sans interruption”. Le policier explique qu’à une vingtaine ils ont « épluché 200 heures de vidéos de toutes sortes ». Et qu’ils continuent.

Interrogé sur les plus durs de Russes, Robin expose qu’ils sont très difficiles à attraper et à reconnaître sur les vidéos : ils sont surentraînés à la bagarre et masqués. «Si vous croyez que c’est facile, vous vous trompez ». Mais «l’enquête de flagrance est en cours » avant qu’une autre, éventuellement internationale, ne soit déclenchée pour « tentative d’assassinat » sur les deux blessés graves. « Ils salissent l’image de Marseille » poursuit-il, avant de préciser : « 68 garde-à-vue, 19 personnes déférées, 12 condamnations à de la prison ferme, 23 personnes présentées », la justice, à Marseille, travaille fort, vite et bien. Questions de journalistes à propos des incidents dont une, sinistre routine des lieux communs, sur « les jeunes venus des quartiers » ( !?). Quelques phrases brèves pour les télés, c’est terminé.

Mise en scène des succès de la politique répressive

Il est exceptionnel qu’un procureur tienne conférence de presse à propos de procès en cours et même pas terminés ! En général il parle bien avant, quand des gens sont arrêtés ou des réseaux mis à jour par la police judiciaire. Il s’était par exemple expliqué le 25 avril 2015 à propos de règlements de compte : « On ne peut pas dire que la juridiction de Marseille n’est pas fortement impliquée dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ». Le 4 juin 2015 : après une longue enquête quatre quadragénaires avaient été interpellés pour avoir tenté de racketter des entreprises du bâtiment. « Nous voulions des preuves ». Le 12 avril 2016, arrestation de supposés auteurs de règlements de compte revenus de l’étranger : « La patience a été payante ». Le procureur, qui est le seul magistrat du Palais à tenir conférence de presse met donc en scène, c’est sa fonction et sa dépendance du ministère l’indique, les succès de la politique répressive du gouvernement en place. En particulier dans les moments chauds.

Quels moments ? Soit c’est un sujet qui fait actualité, soit une actualité réputée majeure crée le sujet : autant dire que ses réactions sont liées à ce que dit le gouvernement, directement ; ou à ce que privilégie la presse, nationale ou locale. La presse attend alors des réactions avec impatience. Pour cette dernière conférence de presse, on se demande si l’actualité chaude était celle de l’Euro et de ses incidents dans les rues ; celle des difficultés du gouvernement à éteindre la colère sociale ; celle du terrorisme, toujours brûlant. Ou plutôt la simultanéité de ces trois actualités, la première effaçant (un peu ?) les autres. En tous cas, la justice se mêle directement, là, de ce qu’on appelle l’actualité politique. En tous cas aussi la conférence de presse était réussie : toutes les chaines télé, tous les journaux écrits nationaux et locaux et bien sur l’Afp, qui alimente les journaux absents, l’ont reprise.

La justice assise, celle qui juge les prévenus, celle qui choisit les peines, est constituée de juges qui ne dépendent pas hiérarchiquement du ministère : ils sont indépendants, ils appliquent les lois, et leur petit livre rouge est le code pénal. Mais ils sont contraints de juger ces prévenus, supposés coupables, que la justice debout, le parquet, leur présente. C’est d’ailleurs pourquoi on dit que la justice française est une justice inquisitoriale.

D’ailleurs, le lundi suivant, le 20 juin, cinq Hongrois et un Slovaque supporteur des Hongrois, comparaissent encore en comparaison immédiate. Réquisitoires rudes, deux ans fermes sont réclamés pour un des accusés qui a participé à un affrontement à l’intérieur du stade. Qui écope de 6 mois ferme avec mandat de dépôt alors même que la présidente, comme le procureur, a reconnu qu’il n’était probablement pas l’homme qui avait frappé le policier blessé.

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