[Histoire d’ateliers] Dans la bulle créative d’Inari

Chronique
le 27 Mai 2023
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

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L'atelier d'Inari. Illustration Malika Moine.

L'atelier d'Inari. Illustration Malika Moine.

Je me souviens des longs trajets en bus scolaire pour le collège et le lycée. Combien d’heures passées à bailler, bavarder, réviser parfois, le matin, et à tchatcher le soir… Le car passait de village en village, s’arrêtait au détour des chemins, et on entrait les uns après les autres, regroupés par âge et village… Quand je gagnais ma place, ceux de Lacoste étaient déjà assis, les plus “vieux” souvent les plus funs, avec leurs cartons à dessins et leur côté punk, au fond du bus, les plus jeunes devant à droite, rigolos aussi. Je m’installais à trois rangs du fond. Venaient ensuite les Bonnieulais et commençaient les vannes, continuité inconsciente de la rivalité séculaire entre les deux villages : Bonnieux, enclave catholique du Contat Venaissin en Provence, et Lacoste, village vaudois, devenu rouge et terre d’accueil d’artistes marginaux d’ici et d’ailleurs. Depuis, ça a encore changé mais c’est une autre (longue) histoire…

“Mais quel est le rapport avec votre chronique ?” me direz-vous. Eh bien, voilà : dans le bus, il y avait Inari. Nous avions 5 ans de différence et à cet âge, ça compte, mais je la voyais chaque jour papoter avec ses voisin-e-s de derrière, tout sourire, avec ses joues rouges et son regard pétillant. Quelques années plus tard, elle a ouvert une boutique de vêtements, ses créations, à deux pas de chez moi. Et puis, on s’est croisées, ça et là… J’ai donc été très heureuse qu’elle m’invite à son atelier pour une chronique.

Coloc amicale

Un joli volet turquoise sépare la rue du Petit Chantier (7e) de son atelier. Elle m’y accueille avec un bon café. Les poutres anciennes du plafond, les vieux carreaux de céramiques recouverts d’une peinture vinylique rouge des années 70, racontent un peu de l’histoire de l’endroit, grand et impeccablement rangé. Inari m’en dit davantage : “Quand je suis revenue de mes pérégrinations entre Lille et Berlin, j’ai lancé une bouteille à la mer pour trouver un atelier partagé. Mariel, de la Baleine Rouge, m’a alors accueillie dans son lieu en haut de la rue Neuve Sainte Catherine. Puis, elle a vendu et il a fallu trouver un ailleurs. J’ai jamais eu le « mojo », pour trouver des lieux et Mariel a fait jouer son réseau. Elle m’a emmenée ici et j’ai dit : « Non ! Jamais ! » C’était un bouge tenu par une marchande de sommeil. Tout était délabré et je sentais des bad vibes… Mais elle m’a assurée : « T’inquiet’, on va en faire un truc magnifique ! » Je lui ai fait confiance… Tous les jours, je la remercie, elle m’a permis de reprendre confiance en moi et en mes projets après une période difficile. C’est une amie, une vraie !” Inari a les larmes aux yeux. “Mariel a quitté Marseille et j’ai pas repris de coloc, c’était elle ou personne !”

C’est ma bulle. C’est la première fois que j’investis tant un lieu.

Inari

Je m’interroge sur le rôle du lieu dans sa création. Pour Inari, c’est un ami : “Quand j’arrive le matin, je dis « Bonjour » et quand je pars je lui dis « A demain ! » J’ai mon rituel : J’ouvre, j’aère, je mets mon encens, je nettoie, je range, je branche ma machine à coudre, le son, le fer à repasser, j’arrose mes plantes si il faut… C’est ma bulle. C’est la première fois que j’investis tant un lieu. Il y a le grand plan de travail que j’ai fabriqué, les étagères de Greg, mon voisin, les chaises d’écoliers troquées avec un autre voisin contre un cours de couture à sa fille… J’ai envie que ce soit chaleureux, que les gens s’y sentent bien pour créer. “

Dans l’atelier d’Inari, tout est impeccablement rangé. Illustration Malika Moine.

Elle me montre avec le même amour qu’elle a pour son lieu, ses outils. Trône bien évidement la machine à coudre, et sur un autre établi la surjeteuse, pour les finitions et le travail en épaisseur. Au fur et à mesure, Inari sort de  “la travailleuse”, la boîte à outil de la couturière, les ciseaux papier et couture, les fameux Nogent ; les épingles et les pinces, les fils et les aiguilles, les craies, pour tracer sur le tissus. Elle sort les différentes règles… à la longue règle de tapissier en bois, au court réglet de métal, au perroquet qu’elle affectionne pourtant, à l’indispensable mètre ruban, je crois qu’elle préfère la règle japonaise, graduée dans tous les sens. À côté, la calculette et le critérium 0,5.

Elle apporte les poids, vieux fers à repasser chinés, pour maintenir les tissus au travail. La table et le fer à repasser, la Jeannette pour les manches. Enfin, le mannequin, ancien, bardé de bolduc pour représenter les lignes du corps : la poitrine, la taille, le bassin, les épaules, les milieux, les côtés : “Ça permet de positionner la toile en fonction du corps, quand tu ne travailles pas à plat…

Cours et patrons

Auparavant, Inari créait et vendait ses collections de vêtements pour femme dans des boutiques, des marchés, des salons. Mais raconte-t-elle : “Je m’y retrouvais plus. J’ai toujours été dans le local, par éthique et par commodité. J’achetais mes tissus en France, je créais mes modèle et je les faisais réaliser dans les villes où j’habitais. Mais c’est un stress permanent et si j’allais trop loin dans la créativité, je savais que ce serait trop cher à la production. Je me sentais seule, loin du client qui portait mes vêtements, hormis quand je faisais les marchés.”

La robe Esmeralda, de la créatrice de vêtements Inari. (Photo DR)

“J’ai commencé à donner des cours, et ça m’a permis d’être avec les gens, de partager. En plus, ça fédère. Des amitiés, des projets communs naissent entre mes élèves.” L’œil pétillant, Inari me parle d’eux, des différents cours qu’elle donne, cours de loisir parfois à des ados, et formations professionnelles en modélisme et en couture pour des personnes en reconversion. “J’ai un grand projet pour la rentrée”, me confie-t-elle : “J’aimerais créer ici un grand lieu hybride où on enseignerait tout ce qui est lié au tissus, non seulement le stylisme et le modélisme, mais aussi la teinture, l’impression, l’embellissement du tissus. Je voudrais que ce lieu soit sans cesse animé par la création, qu’il y ait toujours des cours les jours où je vais enseigner dans les écoles ou les BTS. Je kiffe aussi les moments de solitude où je vais patronner seulement s’ils sont rares… Cet après-midi, j’ai envie de faire une veste dans l’esprit bleu de travail.”

L’autre fenêtre économique d’Inari, c’est la vente des patrons de vêtements, veste, chemise ou jupe qu’elle a conçus et conçoit encore de temps à autre. C’est la vrai bonne idée : choisir le tissus, pourquoi pas venir apprendre à coudre ici, et réaliser le modèle à la maison…

Je suis fascinée par les créateurs qui arrivent à inventer de nouvelles pratiques de leur art, audacieuses et intelligentes. Inari, dans le partage et l’enthousiasme, n’est pas à court d’imagination.

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