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Histoire d'atelier

[Histoire d’atelier] Céline Lantez et la manufacture inspirante

Chronique
le 27 Sep 2025
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

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L'atelier de Céline Lantez. (Illustration : Malika Moine)

L'atelier de Céline Lantez. (Illustration : Malika Moine)

Depuis des années, lorsque je passe rue Virgile-Marron, mon cœur s’emballe : d’immenses lianes de vigne vierge dégringolent sur la rue, laissant deviner un merveilleux jardin. J’ai bien tenté, une fois, de passer la porte, alors que quelqu’un y entrait. Je cherchais à ce moment-là un atelier, mais la personne m’a fraîchement envoyée balader : “Ici, on est des architectes, pas des artistes !”

C’est vous dire si j’ai été aux anges quand un ami d’amie m’invite à une fête. Nico me fait visiter ce lieu extraordinaire, tandis qu’un apéro festif se prépare dans la grande cour où trônent vieux platanes, plumbagos en fleurs, forêt de bambous, et autres plantes d’ici et d’ailleurs. Intérieur et extérieur se mélangent, bois clairs et bois noirs, verre et béton rendent l’atmosphère propice à la création… La fête, donnée pour dire au revoir à quelqu’un qui s’en va et accueillir de nouveaux venus, est gourmande et joyeuse. Je rencontre Céline, dessinatrice et sympathique. C’est dans son atelier que je me rends aujourd’hui.

Dans la salle de bain

On se retrouve ce dimanche matin devant le WA, “manufacture de villes et paysages” dont le concept japonais signifie “harmonie et implique une unité pacifique où les membres privilégient la pérennité d’une communauté harmonieuse à leurs intérêts personnels”, dit-elle. On traverse la cour inondée de soleil pour accéder à l’ancienne maison du propriétaire : c’est dans la salle de bain que se trouve l’atelier de Céline. Deux petits bassins me rappellent ceux de la grande maison de Mon voisin Totoro de Miyazaki. La pièce au parquet clair a des murs et un plafond de bois brun. Elle donne sur de grands ateliers lumineux en contrebas. Je suis bien curieuse de savoir comment Céline est arrivée ici.

Céline Lantez. (Photo : Gabrielle Voinot)

“J’ai été pistonnée”, sourit-elle, mi-blagueuse, mi-sérieuse. “Mon cousin est ingénieur et il a son atelier ici.” Quand on redescend faire un thé, elle me montre son espace, au milieu des plantes, dans un endroit dont on ne saurait dire s’il est à l’intérieur ou à l’extérieur. “Il m’a invitée à la deuxième fête du WA et l’an dernier, m’a proposé de travailler sur un projet. Au départ, on était dans un autre bâtiment. Alain, le propriétaire, habitait la maison jusqu’à l’an dernier. Je partage cet espace avec un archi, qui vit la plupart du temps en Birmanie.”

Mais avant d’être un lieu d’habitation, c’était une usine. Construite en 1924, la fonderie Randupson a fonctionné jusqu’en 1981. Céline laisse la parole à Alain Amédéo, l’homme, lui-même architecte, qui l’a rachetée et a rendu cet endroit magique. Elle lit dans un catalogue dédié : “Osmose entre le dedans et le dehors, contraste entre la pièce blanche et la pénombre autour du feu, plantes et lumière, livres et atelier.” On y est. “Aujourd’hui, raconte Céline, on est une vingtaine d’entités, une cinquantaine de personnes, archis, paysagistes, bureaux d’études d’urbanistes, une photographe, une personne qui travaille la terre crue, une scénographe d’expos, les concepteurs lumière 8’18’ (du temps que met la lumière pour venir du Soleil jusqu’à nous). Mais personne ne se marche sur les pieds. Chacun a son espace. Si on veut être seul, c’est possible, et quand on a envie d’être ensemble, on se retrouve l’été à l’ombre des platanes, l’hiver dans un coin de soleil, dans la salle de réunion dédiée ou encore auprès de la belle cheminée…”

L’aile de la drosophile

Je m’interroge sur l’évolution de sa pratique au sein de ce lieu atypique.

“Avant, je travaillais dans mon petit bureau chez moi, et à la bibliothèque des archives du Mucem vers la Friche, un beau lieu lumineux. Je mets du temps à m’approprier un espace, je m’étale beaucoup. J’essaie de plus en plus de dessiner dehors, sur le vif. Ici, je dessine d’après photo et sur des travaux pour le CNRS qui offre aux doctorants qui travaillent sur la mécanique une illustration de leur thèse. La dernière était sur le déploiement de l’aile de la drosophile. Mais surtout, j’ai plein de travail via les projets d’ici.”

Une thèse illustrée. (Dessin : Céline Lantez)

Dans cet atelier tout spécialement, il semble que la question du rapport à l’espace partagé prend tout son sens. “On est dans une symbiose. Gabrielle Voinot, la photographe, travaille pour plusieurs entités. Ici prévaut l’idée de créer un écosystème dans lequel chacun peut faire appel aux autres. On est complémentaires. En ce moment, on a un projet de réhabilitation d’un ancien ensemble pour le diocèse. Avec Gabrielle, on fait un reportage photo et dessiné du chantier, pour mettre en lumière les techniques d’éco-construction, les gestes de savoir-faire traditionnels et le réemploi des matériaux démontés. Lisa, qui travaille la terre crue, va faire les enduits. Il y a parfois des suites insoupçonnées : on a exposé au Syndicat des architectes sur le Prado des photos de Gabrielle, des œuvres en terre crue de Lisa et mes dessins et quelques broderies réalisées à partir de dessins des gestes de ces métiers traditionnels.”

(Dessin : Céline Lantez)

Voilà qui nous amène à la question des outils.

“Je suis très amoureuse des crayons de couleur. C’est mon médium préféré, même si je l’ai un peu mis de côté pour la plume et l’aquarelle. Ma boîte d’aquarelle vient de ma grand-mère ! Dans la famille, il y a beaucoup d’artistes. J’ai concilié le dessin avec les sciences qui m’ont toujours passionnée. Je fabrique des encres avec des pigments naturels venus d’Apt, mélangés à de la gomme arabique, à partir de recettes glanées sur internet. Plus je fabrique moi-même, plus je suis heureuse, même si ça prend du temps. Pour les papiers, je fais beaucoup de récup, je garde tout, j’aime la contrainte de papiers déjà découpés. J’ai toujours regretté quand je me suis débarrassée d’un truc.” Les stylos, Rotring, crayons gras sont là, sur la table. Posée sur l’étagère, une bobine de fil de lin rappelle les pratiques de Céline liées au textile, à la couture et à la broderie. “La tablette lumineuse me sert à dessiner en transparence pour les thèses.”

Les outils de Céline Lantez. (Illustration : Malika Moine)

Quand j’aborde la question de l’économie, Céline me répond d’emblée : “J’ai du mal à parler de ça !” J’insiste : “Parce que les gens ne comprennent pas qu’il nous faut gagner notre vie, vendre notre travail, cette question économique doit être soulevée.”

Céline acquiesce. “Comme pour tous les artistes, j’essaie de trouver plusieurs sources de revenus pour y arriver… Je fais mon fixe un peu à l’extérieur. Avant, je faisais la cuisine. Là, j’ai commencé à animer des cours de textile, j’envisage de donner des cours de dessin. Je réalise trois ou quatre illustrations de thèses chaque année. J’ai droit encore un peu au chômage et à l’aide au logement. Le prochain reportage réalisé avec les entités du WA s’étale sur un an, ça, c’est cool ! Ici, plus que le loyer, ce sont les charges qui sont importantes.” Mais dans les charges est comprise l’huile d’olive, et ça, c’est la classe !

Vous pouvez voir le travail de Céline sur sa page Instagram.

Pour le WA, je vous invite à découvrir, sur la toile, l’harmonie qui l’inspire et en émane : www.wa-manufacture.com

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