[Cuisine à croquer] Les crêpes de la Chandeleur de Solène
Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des Marseillais dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Cette semaine, calendrier oblige, on fait sauter les crêpes.
(Ilustration : Malika Moine)
J’ai rencontré Solène il y a une dizaine d’années pour la première fois dans une asso où les parents pouvaient se retrouver avec leurs bébés. Nos bambins babillaient et nous causions. Elle avait appelé sa fille Ellie et j’avais nommé mon fils Ellia alors, forcément, ça rapproche… On s’est perdues de vue puis retrouvées à l’entrée de nos enfants en CE1 à l’école Cham du Cours Julien. Hier, je me suis rendue dans son antre à Noailles, pour assister à la préparation des crêpes de la Chandeleur.
Marseille est souvent surprenante. Je ne m’attendais pas, en sonnant dans un des immeubles du bas de la rue Estelle, à tomber sur une cour immense et arborée, délimitée par une chaleureuse palissade de canisses et cernée d’immeubles hauts et un peu gris. Une fois dans la cour, les surprises jalonnent la visite : un mannequin ornant jadis la vitrine d’une boutique de la rue de Rome vieillit paisiblement au milieu des bambous tandis qu’un joli chat roux disparaît derrière le pêcher. Une treille de fruit de la passion grimpe gaiment sur la façade entre les pots de misères. On se croirait à la campagne ! Solène m’invite à rentrer. À gauche, une minuscule cuisine et plus avant, une grotte, chaleureuse et magnifique. Par terre, les mêmes dalles de marbres roses que sur la terrasse. Des murs de pierres lisses de calcaire blanc, de tailles différentes. Des dessins, des photos, un miroir l’habitent, et les arches d’ouvertures anciennes désormais murées sont restées apparentes tout comme un bout de mur de briques de terre cuite. Un plafond à la française, jauni et ponctué de magnifiques poutres qui ont sans doute jadis navigué dans les mers du sud. Certes, il y a peu de lumière mais l’Histoire est joliment présente. “C’était sans doute les écuries qui jouxtaient le Domaine Ventre”, m’explique Solène. Elle me fera visiter plus tard son “havre de paix, entre la cave et le rez-de-chaussée” car pour l’heure, Yonni, le petit dernier, fait la sieste avec son papa, Mohamed, dans la chambre au sous-sol.
Solène, désormais professeure de santé dans un lycée professionnel raconte : “Je suis née en Bretagne -c’est pour ça que j’ai ce prénom- d’une maman parisienne et d’un papa picard. Quand j’ai eu un an, ma mère a eu envie du soleil du sud. Mon père a alors construit une roulotte, acheté un cheval et on est parti. C’était l’été. Je ne sais pas si mes souvenirs sont réels ou viennent des photos. À l’automne, on s’est posé dans une maison dans l’Aude, à La Grasse, mais à cette époque, on bougeait tous les six mois : mon père, sculpteur, faisait des petits boulots saisonniers tandis que ma mère était embauchée comme serveuse. On s’est sédentarisé à Malaucène, au pied du Mont Ventoux, quand j’avais 6 ans. Mon père est devenu facteur d’orgues, tout en restant sculpteur”
Je découvre, ravie, cette enfance nomade. Solène apporte à la salle à manger les ingrédients pour faire la pâte à crêpe et poursuit : “Avec mon père, on faisait beaucoup de pâtisserie et surtout des tartes. Sa mère était une grande cuisinière, elle se levait à l’aube pour mettre sur le feu une poule au pot ou un coq au vin, et c’était la reine des tartes ! Quant à ma mère, elle n’avait aucune culture culinaire, sa maman était « une femme moderne » : elle ouvrait des boîtes !. J’ai été au Collège à Vaison-la-Romaine et au lycée à Carpentras. À 18 ans, j’en pouvais plus du Sud, je le trouvais arriéré et facho. J’ai rencontré le père d’Ellie et après un bref passage à la fac de socio à Aix, on a pris un appart à Avignon. J’ai alors fait un BTS d’économie sociale et familiale. Créé au début des années 70 avec le regroupement familial pour amener les femmes maghrébines à l’école, on y apprenait la cuisine, la couture, le ménage… Je me suis régalée, j’ai appris à faire des patrons et à suivre les recettes traditionnelles, celles de ma grand-mère maternelle… Certes, je cuisinais avec ma mère, mais elle ne suivait jamais la recette. Quand j’ai été ado, ça m’énervait ! Maintenant, je fais la même chose. J’aime les plats rapides et efficaces, quand tu mets dans une cocotte la viande en promo et les légumes que t’as dans le frigo. Parfois, je fais quand même des recettes asiatiques plus longues comme des ramens, pour faire plaisir à Ellie. »
En parlant de recette, pour celle des crêpes, il faut environ :– 250 g de farine– 3 œufs– 3/4 de litre de lait– 1 c-à-s d’huile de tournesol– 1 cuillère d’eau de fleur d’oranger (« mais ça, c’est parce que je vis avec un Marocain » précise Solène -qui a aussi commencé à boire du champagne avec lui car il vient de Reims…)– 1 c-à-s de sucre
Elle mélange tous les ingrédients et bat longuement au fouet, tandis qu’elle poursuit sa narration : “Avec ce diplôme, tu pouvais être prof ou conseillère en économie sociale et solidaire, ce que je suis devenue, à Paris. Je faisais du maintien à domicile, j’allais voir une personne âgée et je mettais en place ce qui lui fallait. J’ai visité des taudis et des apparts de fous ! Je me suis même occupée de la mère de Giscard d’Estaing qui avait 102 ans et une ribambelle d’employés de maison mais à qui il manquait une garde de nuit. À côté, j’allais dans les foyers Sonacotra. J’ai ainsi visité tout Paris, vu plein de milieux différents ! J’adorais ! En 2010, on est venu à Marseille pour avoir la Provence, sans les fachos…”
Mais toute sieste a une fin, et on entend Yonni, contrarié de ne pas trouver sa maman au réveil à ses côtés. Mohamed le lui pose dans les bras et Solène reprend son récit et la pâte – son bébé au sein… “Parfois, le dimanche, on improvise un goûter un peu tardif de crêpes, comme le faisait ma grand-mère paternelle – au grand dam de mon père et ses frères pour qui un repas sans viande n’en n’était pas un.”
La pâte repose un peu et Solène appelle Ellie partie jouer au Cours Julien en ce jour de grève d’école, pour venir faire les crêpes.
Dans la minuscule cuisine, Solène et Ellie entreprennent de faire sauter les crêpes à quatre mains, sous le regard gourmand de Yonni, paisiblement installé dans sa chaise haute. La première est pour lui. Solène évoque une coutume de la Chandeleur : “il faut tenir dans sa main gauche une pièce d’or et faire sauter la première crêpe avec la droite. Si la crêpe retombe bien retournée, on ne manque pas d’argent pendant l’année !” Quoi qu’il en soit, l’odeur des crêpes chatouille les narines et met l’eau à la bouche…
À table !
Je choisis la cassonade, malgré les pots de miel, de confitures et autres délices qui invitent à la gourmandise. C’est irrésistible et délicieux ! Vive la saison des crêpes !
En plus de la chronique régulière qu’elle tient sur Marsactu, Malika Moine présente ses aquarelles dans une exposition à la bibliothèque l’Alcazar. “Balades de Marseille à la Nouvelle-Orléans” est visible du 3 février au 26 février 2022.
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