Érika Riberi vous présente
Chronique littéraire

En passant par Marseille

Chronique
le 20 Fév 2016
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L'esplanade de la gare Saint-Charles (Photo Clémentine Vaysse)

L'esplanade de la gare Saint-Charles (Photo Clémentine Vaysse)

L'esplanade de la gare Saint-Charles (Photo Clémentine Vaysse)

L’esplanade de la gare Saint-Charles (Photo Clémentine Vaysse)

 

Tous les mois, nous vous proposons une plongée littéraire avec Erika Ribéri. Une thèse à la fac et une émission sur Radio Grenouille en cours, elle trouve encore le temps de nous proposer une chronique des auteurs et ouvrages qui prennent langue avec le territoire. Cette semaine, Erika évoque un ouvrage de Michel Tournier, La Goutte d’or, où Marseille est, comme souvent, un point de passage mais central.

C’est l’histoire d’Idriss, jeune berger d’une oasis saharienne qui se fait photographier en plein milieu du désert par une femme blonde disparue aussi vite qu’apparue dans sa Land Rover. Elle lui promet de lui envoyer sa photo. Celle-ci n’arrivera jamais. Il décide de partir à la recherche de cette part de lui-même qui lui a été volée.

C’est alors l’histoire d’un voyage vers le Nord, marqué par plusieurs étapes significatives : Béni Abbès, Béchar, Oran, Marseille, Paris. Enfin. Des étapes au cours desquelles Idriss va être chaque fois confronté à des images de lui-même dans lesquelles il ne se retrouvera jamais. Des étapes aussi où il fera l’expérience de son nouveau statut d’immigré maghrébin à une époque où ceux-ci arrivaient ou venaient d’arriver par milliers pour construire les nouvelles infrastructures de la France.

C’est donc l’histoire d’un récit initiatique où les lumières qui brillent par-delà la Méditerranée se révéleront au final bien grises et déceptives. C’est en somme l’histoire d’un désir de liberté, d’une quête de soi-même, de la découverte d’une culture occidentale fascinée et asservie par l’image. Et c’est enfin l’histoire d’une guérison et d’une libération par le signe, la calligraphie, l’écriture, autant d’armes contre l’attrait séduisant et trompeur de l’image.

« C’est l’histoire de… » : ce sont les mots qui me sont venus pour commencer cette chronique, ceux dont j’espère toujours qu’ils puissent me permettre de trouver le bon ton pour aborder le roman dont je vais parler, aujourd’hui La Goutte d’or (1986) de Michel Tournier, décédé le mois dernier et considéré comme l’un des romanciers français les plus importants de la fin du XXe siècle. Peut-être déjà un hommage presque involontaire à ce talent de conteur qu’on lui a si souvent reconnu, et que l’on retrouve dans ce roman. Pour les autres, je dois admettre ne pas encore pouvoir l’affirmer personnellement, si ce n’est que je me rappelle encore ma lecture avide et impatiente de Vendredi ou la vie sauvage au début de mes années collège (si vous avez des enfants ou jeunes adolescents qui ne l’auraient pas lu, donc…).

Mais chez Michel Tournier, l’histoire n’est jamais simplement qu’une histoire : car la première passion de l’auteur, c’était la philosophie, et comme il le disait lui-même, « ce qui sous-tend le récit est toujours d’inspiration philosophique ». Quand on sait que son autre grande passion était la photographie (il est d’ailleurs l’un des trois fondateurs des prestigieuses rencontres de photographie d’Arles), on comprend d’autant mieux d’où vient la réflexion qui parcourt tout le récit sur la force de l’image, cet « opium de l’occident » comme il la définit à la fin du roman.

Marseille, dans tout cela, apparaît très exactement (ou presque, à quelques pages près) au milieu du roman et reflète parfaitement cet imaginaire spécifique à la ville, à savoir celui d’une ville-frontière, de transition et de l’entre-deux culturel. Cet imaginaire se traduit notamment par l’utilisation de l’itinéraire que suit Idriss mais qui peut apparaître ou être décrit dans d’autres romans comme Désert de J. M. G. Le Clézio (1980) ou Cannibale de Didier Daeninckx (1998), et qui voit, depuis la ville de départ, l’arrivée des voyageurs/immigrés par le port qui remontent vers la gare Saint Charles pour enfin prendre le train vers la destination européenne finale escomptée.

Marseille s’impose donc comme le premier point de contact avec le continent européen. Et pour Idriss, son premier sentiment est étrangement déceptif : car le choc culturel n’a pas lieu, ou pas tel qu’attendu, puisqu’il ne voit finalement que peu de différences avec Oran en arrivant sur cette autre rive de la Méditerranée. Et en effet, Marseille, ville frontalière par excellence, se présente dans La Goutte d’or comme dans d’autres romans comme une zone mixte de l’entre-deux culturel, où notre jeune protagoniste peut tomber sur un îlot d’Afrique simplement en pénétrant dans une rue ou retrouver une atmosphère africaine entretenue par les vendeurs ambulants marocains et sénégalais et les femmes voilées qu’il observe au sortir d’un Mac Donald. Mais s’il n’est pas trop dépaysé, une chose semble tout de même changer définitivement quand il arrive à Marseille : son statut. Idriss est désormais un étranger, jeune, seul, ignorant des codes culturels et que l’on peut facilement tromper et abuser. D’ailleurs, c’est bien à Marseille, au moment où il met le pied sur le sol français, qu’il perdra dans les bras d’une prostituée sa goutte d’or, précieux talisman oasien symbole de liberté…

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