Célia, infirmière, le corps à l’ouvrage
Depuis longtemps, Marsactu souhaitait parler du travail sans passer par la voie collective, syndicale ou patronale, celle des luttes ou de la flexibilité. Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde ce sujet quotidien en partant des femmes et des hommes au labeur, de leur rapport à l'autre, au lieu, à soi et au corps. Elle débute avec Célia, infirmière dans une structure d'accueil des sans-abri.
Photo : Sandrine Lana
J’ai rencontré Célia lors d’un reportage à Marseille cet automne. Elle travaille auprès de femmes vivant dans une précarité extrême, au Nord de la ville. Le centre d’hébergement et de réinsertion sociale qui l’emploie n’a pas souhaité que son portrait soit réalisé sur son lieu de travail. Qu’importe. Lors de son jour de congé, on a discuté du corps, de sa démarche, de la compensation physique du métier et des patientes, des sens qui sont convoqués lors du soin. Depuis quatorze ans, elle est infirmière. Elle en a passé dix dans le médico-social qu’elle n’envisage pas de quitter.
Des mains, un corps
“Parfois, je parle de mes mains. Elles étaient un complexe quand j’étais enfant. Elles sont marquées, ridées… Mais aujourd’hui, elles sont surtout mon outil de travail : pragmatique et sensible. Pragmatique pour les soins techniques : panser, piquer, mais aussi laver, transporter, faire levier. Elles sont sensibles aussi. Je travaille avec le toucher. Les femmes que je suis sont sans-abri, considérées comme des déchets sales de la société. Et parfois, elles arrivent dans la structure où je travaille sales… Mais je leur serre la main, parfois je leur fais la bises, je les serre dans mes bras. Je les considère, en vrai. Il m’arrive de mettre des gants avec les grandes marginales qui arrivent parfois couverte d’urine ou autre mais je les touche comme si je n’en portais pas. Les gants sont un palliatif nécessaire pour continuer à toucher.”
“Mes portes d’entrée dans le soin sont les corps brisés, la pathologie, le corps qui lâche. Leur corps, c’est aussi la violence, parfois le viol. J’aime beaucoup cette phrase du professeur Adalberto Barreto qui a créé la thérapie communautaire : “Quand la bouche se tait, les organes parlent”. Je me suis formée à cette thérapie qui part de ce que les gens connaissent pour soigner les gros problèmes de santé mentale. Les choses qu’on n’arrive pas à dire, le corps le dira. D’ailleurs, on dit bien “j’en ai plein le dos”… Je voudrais avoir l’espace pour créer des ateliers d’expression corporelle avec mes femmes pour rechercher l’estime de soi, la confiance.”
La compensation physique
“Mon métier, je le vois comme une béquille, un contre-poids. Il m’est arrivé de basculer des corps trop faibles, de les laver, là, c’est moi qui compense physiquement les incapacités des femmes pour leur faire accéder à l’hygiène, pour qu’elles s’habillent, se lèvent, mangent. Quand c’est moi qui me sens fragile, je ressens rapidement une grande humilité face à elles qui luttent pour la dignité humaine. Quand je suis empêtrée dans mes petits soucis, ces femmes qui vivent des situations incroyables trouvent toujours la force de me sourire de m’appeler leur « sexy nurse » !”
Un regard
“Je regarde toujours dans les yeux et je m’assure que tu m’aies vue. Par le regard, je dis : “Je te considère”. Le regard suggère aussi la subjectivité qui est forcément présente. Le regard de l’autre peut me leurrer dans le soin. Il faut voir comment on accepte ou non d’être leurré par des regards de tristesse, de souffrance. Mon regard est sincère et je sais qu’il est forcément utile pour mes patientes qui se rassurent. Mais parfois, il peut déranger lorsque j’observe, lorsque j’évalue.”
Une posture, une apparence
“On parle beaucoup de posture soignante chez les infirmières. On nous l’enseigne d’ailleurs. Celle-ci est parfois idéalisée sur les bancs de la fac et elle évolue, se formate avec nos expériences. Nous sommes des morceaux de terre qui se modèlent avec les autres qu’on côtoie. Une terre en mouvement. Pour moi, la posture est holistique et horizontale. Elle est là pour rétablir les équilibres. C’est sûrement pour ça que je ne porte pas de blouse blanche. Elle est obligatoire à l’hôpital et permet d’identifier la hiérarchie des métiers. Mais je n’aime pas du tout hiérarchiser les individus au-delà du métier et c’est souvent ce qui se passe. Je l’ai laissée de côté pour être considérée dans ma globalité et pas que pour ma profession.”
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