À Madrid, l’immigration africaine s’intègre aux pas de danse

Chronique
par 15-38
le 12 Oct 2019
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Dans la capitale espagnole, les cours de danses traditionnelles africaines enregistrent un nombre croissant d’adeptes et des projets et ateliers fleurissent pour diffuser ces cultures. L’essor reste toutefois timide, seulement propagé par le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux.

À Madrid, l’immigration africaine s’intègre aux pas de danse
À Madrid, l’immigration africaine s’intègre aux pas de danse

À Madrid, l’immigration africaine s’intègre aux pas de danse

Une ambiance bruyante s’élève du premier étage du marché alimentaire Antón Martín, dans le centre-ville de Madrid. Les effluves de nourriture du rez-de-chaussée disparaissent peu à peu alors que professeurs et élèves se croisent sans discontinuer. Sur les murs de l’accueil d’Amor de Dios, des dizaines de flyers de cours de danses s’enchevêtrent. Un vinyle déverse des notes flamencos rendues presque inaudibles par le débit mitraillette de Marisa Camara. « Salle 5, salle 5 », répète-t-elle à son groupe. Petite, les cheveux coupés courts, elle suit ses élèves, une dizaine de femmes et un homme. Pendant deux heures au son des percussions elle les reprendra sur la chorégraphie qu’elle leur enseigne : une danse traditionnelle de Guinée-Conakry. « Je danse depuis que je suis petite et j’ai toujours eu cette envie de le transmettre, de présenter un pan de ma culture », raconte Marisa Camara, 30 ans, résidente madrilène depuis cinq ans après avoir quitté sa Guinée natale à 19 ans. « Beaucoup de personnes s’y mettent. Tellement que certains de mes anciens élèves ont leurs propres classes ! »

Les cours de danses africaines attirent à Madrid un nombre croissant d’adeptes. « Une véritable fièvre, s’exclame Marina Gomis, chanteuse et danseuse de 33 ans. C’était très méconnu il y a quatre ou cinq ans. Maintenant, il y a des cours tous les jours et le nombre d’élèves a triplé. » Il n’existe pour autant aucun recensement précis, chaque professeur menant ses classes comme il l’entend. Robert Pujols, directeur de l’école Danzation, fait appel à trois d’entre eux par semaine. « Il doit y avoir entre 30 et 40 élèves. Il y a cinq ans, il y en avait à peine dix », se souvient-il. La plupart des cours sont donnés dans le quartier multiculturel de Lavapiés, en centre-ville. Une caisse de résonance qui, selon Marina Gomis, participe de cette expansion. « Ces danses sont beaucoup plus visibles ici, dans la rue ou aux concerts organisés presque toutes les semaines. » Le reste s’est fait grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux. La page Facebook Danzas Africanas en Madrid, par exemple, compile les évènements et pousse ses 3 500 abonnés à y assister.

« Les gens viennent et accrochent très rapidement », approuve Rebeca Jodar, employée bancaire et professeure de danse pour l’école Kukutamtam. Ce soir-là, elle répète avec Marina Gomis sur le rythme imprimé par Ahmed Lamine Soumah, professeur originaire de Guinée-Conakry, et le groupe Samato percussions. L’atmosphère de la salle est lourde, les fronts perlés de sueur. « L’exercice est libérateur, il te fait te sentir bien », poursuit Rebeca Jodar, souriante mais exténuée. Dans le même état de fatigue et de joie mêlée, Miguel Rosón, aux percussions, approuve : « L’effort est tellement intense, athlétique, que tout le stress est évacué après une séance. » Outre l’énergie véhiculée, les compétences et l’exigence requises sont, pour Robert Pujols de Danzation, autant de facteurs attractifs. « Les gens viennent pour se divertir ou parce qu’ils en retirent de nombreux avantages. Pour ceux qui souhaitent devenir professionnels, c’est une bonne école pour travailler l’élasticité, la rapidité et l’expression corporelle. »

Ahmed Lamine Soumah vient d’une famille d’artiste. En Espagne depuis cinq ans, il se mue à l’occasion en danseur, musicien, chorégraphe ou acrobate. « Ce n’est pas facile quand tu arrives de l’étranger d’exercer ce métier. Il faut du courage, des réseaux. Mais j’ai la danse dans le sang, autant en faire partager les autres », détaille-t-il, une fois le bruit des percussions retombé. Miguel Rosón évoque aussi « une manière de combattre le racisme pour une communauté africaine qui se fait de plus en plus entendre dans les sphères politiques et médiatiques ». Et ce, même si les institutions locales ne se sont pas encore emparées de la tendance, laissant le milieu dans une confidentialité qui tend doucement vers la lumière.

Sur la scène indépendante, les danses africaines ont réussi à attirer l’attention de centres artistiques qui, sur le papier, ont peu à voir avec elles. À l’image de l’école Amor de Dios, emblématique espace dédié depuis les années 1950 au flamenco. Ce côté « en marge » de la société a rappelé, à Joaquín San Juan, le directeur du lieu, les débuts du flamenco. « Sa culture est celle du plus marginalisé qui se rebelle. C’est cohérent que l’on défende la culture des personnes “plus faibles” du monde actuel, celles qu’on laisse se noyer dans la mer. » Sans oublier sa philosophie de s’ouvrir à « toutes les influences qui ont pu alimenter le flamenco ». Plus personne ne s’étonne donc d’entendre, aux alentours du marché Antón Martín, le son des percussions en passant devant les vitrines des magasins dédiés aux robes sévillanes.

A Madrid, Baptiste Langlois

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