Contrôle d'huissier
La cheffe de cabinet de Guérini ne comptait pas les heures sup’
Michèle Soyer, cheffe de cabinet de l'ancien président du conseil départemental Jean-Noël Guérini a comparu mercredi pour "détournement de fonds publics". Le tribunal correctionnel lui demande de répondre du versement indu et systématique d'heures supplémentaires aux huissiers du cabinet entre 2007 et 2012.
La cheffe de cabinet de Guérini ne comptait pas les heures sup’
À l’hôtel du département des Bouches-du-Rhône, le fameux bateau bleu, le “service du 9e étage” est le lieu du pouvoir. Quel que soit le grade des agents qui y travaillent, ils y ont un statut particulier. Avec, pour certains des avantages associés. Ainsi, entre 2007 et 2012, les huit huissiers qui y officiaient ont bénéficié indûment du paiement d’heures supplémentaires. Un système bien rodé que la présidente Christine Mée tente de décortiquer ce mercredi matin au tribunal correctionnel de Marseille.
À la barre comparait Michèle Soyer, ex cheffe de cabinet de l’ancien président de l’institution, Jean-Noël Guérini, lui-même mis en examen pour des faits sans rapport avec ceux reprochés à sa collaboratrice. En revanche, les faits de “détournement de fonds publics” pour lesquels elle est poursuivie ont eu lieu de 2007 à 2012, durant les mandats de Guérini au CG13. Ces huissiers étaient les petites mains du président, chargés d’introduire les visiteurs, de porter des plis et, pour certains, de voter aux élections sénatoriales en qualité de grands électeurs…
Tâches pour lesquelles ils paraissent aujourd’hui bien récompensés. En octobre 2013, la chambre régionale des comptes avait décortiqué ce système dans un rapport sur la gestion du CG13 avant de transmettre l’affaire au parquet. Celui-ci avait ensuite ouvert une enquête préliminaire au cours de laquelle le président Guérini avait été entendu. À L’époque, la chambre régionale des comptes notait :
“Un examen détaillé des heures supplémentaires effectué à partir des états produits par la collectivité révèle des dépassements importants de quotas horaires et même une forfaitisation des heures supplémentaires au bénéfice de certains agents relevant du cabinet de la présidence (huissiers) dès lors qu’elles ne sont pas réalisées”.
Post-it
Chaque mois, les huissiers affectés au service du président notaient sur des post-it leurs heures supplémentaires, réelles ou fictives. Ces post it étaient ensuite traités par le secrétariat qui faisait signer le tableau récapitulatif par la cheffe de cabinet Michèle Soyer. Ce processus particulier du 9ème étage reposait sur la seule base du déclaratif. Dans les autres services, précise la présidente Christine Mée, les agents sont soumis à un pointage très rigoureux. Plusieurs agents entendus comme témoins lors des auditions expliquent que “Madame Soyer signait sans commentaires”. Les agents entendus indiquent qu’ils arrondissaient les heures supplémentaires pour qu’elles soient conformes au plafond légal. Dans leur jargon, ils parlent de “lisser les heures”, à leur avantage bien entendu.
Au final, chacun accumule un petit pécule non négligeable grâce à cette pratique. À des salaires initialement proches du SMIC, se rajoutent en moyenne entre 300 et 400 euros par mois. Durant la procédure, un agent avoue même gagner 700 euros en plus en moyenne par mois. “Ça faisait plaisir de les toucher, on m’en donnait l’occasion”, reconnaît un huissier pendant les interrogatoires qu’égrène Christine Mée.
Dans son rapport, la CRC détaillait le processus, expliquant que “les heures supplémentaires payées ne le sont pas pour des périodes limitées mais de façon récurrente, 39 heures par mois”, réparties minutieusement. 20 heures supplémentaires sont comptées en plus par huissier chaque semaine, et 19 heures le dimanche “qui peuvent être considérées comme fictives”. En tout, certains agents accumulent ainsi “jusqu’à 10 à 12 semaines de rémunération supplémentaire”.
40 ans de système
Pour les agents, leur seule référente et supérieure hiérarchique est Michèle Soyer. C’est elle qui affecte les tâches et valide le paiement des heures supplémentaires. Et si, comme le souligne la présidente “le système remontait à quarante ans”, la responsabilité de Michèle Soyer est pointée pour les années où elle exerçait ses fonctions.
“Les huissiers dépendent bien de vous ?”, interpelle Christine Mée qui lève soudainement le nez de ses papiers. “Non, ce n’est pas moi leur responsable hiérarchique”, se défend la prévenue. “Je ne pouvais pas attester de la durée des heures supplémentaires, seulement de la réalité des missions effectuées” insiste-t-elle. “Mais enfin par votre signature, vous engagez votre responsabilité”, rétorque la juge aussitôt coupée par l’avocat de la prévenue. “Celui qui est chargé du contrôle est le chef de service, pas ma cliente !”, s’emporte Michel Pezet, qui connaît bien le CG13 pour avoir été dans l’exécutif départemental jusqu’à une date récente.
Dans sa plaidoirie, l’ennemi déclaré de l’ancien président du CG 13 charge Guérini tout en pointant les failles des institutions. Le véritable coupable, s’il en faut un, c’est le capitaine du navire, pas ses seconds. Et encore. L’avocat est habile : à l’en croire, ce délit n’a pas d’auteur, si ce n’est l’opacité du fonctionnement des cabinets politiques. “Si la chambre régionale des comptes analysait les grandes mairies et les autres conseils généraux, elle verrait la même chose. Ce système ne peut pas fonctionner de manière rationnelle, les membres des cabinets n’ont la capacité de vérifier. C’est une erreur de considérer qu’ils le peuvent”. Dans la foulée de la parution du rapport de la CRC, Jean-Noël Guérini s’est empressé de mettre de l’ordre au 9e étage et d’imposer une refonte de son organisation.
Dans cette affaire, le conseil général est avisé comme victime mais ne s’est pas porté partie civile. Le procureur, qui requiert la condamnation de la prévenue et réclame une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis dénonce plus largement “la légèreté avec laquelle sont gérés, dans certaines administrations, les deniers publics.” Délibéré le 27 janvier.
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