Carlos Miguel, sans abri dans les bras de l’Huveaune

Échappée
le 2 Juil 2022
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Le photographe vénézuelien Emilio Guzman, collaborateur régulier de Marsactu, raconte en mots et en images sa rencontre et la relation qu'il a créée avec Carlos Miguel, sans abri qui s'est construit un lieu de vie de fortune dans un recoin sauvage de Marseille.

Carlos Miguel vit dans un petit campement sur les bords de l
Carlos Miguel vit dans un petit campement sur les bords de l'Huveaune où il a créé son propre monde. (Photo : Emilio Guzman)

Carlos Miguel vit dans un petit campement sur les bords de l'Huveaune où il a créé son propre monde. (Photo : Emilio Guzman)

​Un dimanche après-midi ensoleillé à l’Estaque, sur le vieux navire Inga des Riaux, j’ai entendu la voix désespérée de Carlos Miguel qui m’appelait. Il voulait que je l’aide à retrouver son chien. Il répétait avec insistance “tu dois m’aider !”. Je dois bien avouer que j’ai mis à comprendre de quoi il voulait parler. Carlos est né à Tenerife, en Espagne, il y a 51 ans et vit à Marseille depuis 10 ans. Il ne parle pas très bien espagnol. Comme moi, je parle le français.

Il faut que j’explique les choses du début. J’ai rencontré Carlos Miguel un matin pluvieux d’octobre 2021, lorsque Marseille se débattait entre la grève des éboueurs et les intempéries de la mi-automne. J’étais en reportage pour illustrer les inondations et lui passait cette période brumeuse à l’abri d’une tente située tout près de l’Huveaune. D’ordinaire, il vit plus près de l’eau mais cette fois-ci, il avait sorti ses affaires sur le chemin car la rivière montait. Je lui ai demandé comment il avait passé la nuit sous la tempête et il a vite reconnu mon accent. 

Depuis notre rencontre, je suis allé plusieurs fois dans son campement au bord de la rivière pour parler, partager. Nous discutons beaucoup de la condition des personnes à la rue. Lui est sûr que la pauvreté résulte de décisions politiques. Que l’on a semé dans le monde la croyance que les pauvres ne le sont que parce qu’ils sont paresseux, sans ambitions ou criminels. “J’ai travaillé toute ma vie, et tout ce que j’ai, c’est ce petit chien”, résume-t-il.

Carlos a construit un espace qui l’occupe beaucoup. Il a de quoi bricoler et un grand potager sur lequel il travaille parfois avec des jeunes du quartier. Avec lui dans ce petit campement vivait son chien baptisé Borracho. Son frère, comme il le considère, et avec qui il a tissé une bonne partie de son histoire dans cette ville. En avril, des voisins, l’accusant de maltraitances, l’ont dénoncé et Borracho lui a été enlevé. Carlos ne sait pas où il est. Il assure qu’il n’a commis aucune violence. J’ai moi-même appelé plusieurs associations, sans obtenir de réponse. Actuellement, il garde d’autres chiens pour rendre service, mais “son frère” Borracho lui manque.

Il me demande de l’aide. Moi, depuis le début, je lui explique mes limites. J’ai un logement, un travail, mais ma situation n’est pas très différente de la sienne. J’utilise ce que je sais faire, la photographie. J’ai imprimé des grandes photos de Borracho pour qu’il puisse les montrer dans le quartier. Et au bout de plusieurs rencontres, il a accepté que je le photographie dans son quotidien. Il a dit oui avec l’espoir que son message soit diffusé. Notre idée c’est de donner une dimension humaine à ce que vit quelqu’un comme lui.

Toute sa vie, Carlos a été sans attaches. Il a été abandonné par sa mère, n’a jamais connu son père, et depuis l’orphelinat, il a vécu la vie de la rue, de pays en pays. Les fois où il a essayé d’avoir un logement à lui, ça n’a pas marché. Il vit de petits boulots, très mal payés, parfois pas payés du tout. “Jamais je n’ai cherché l’argent”, dit-il. Il garde toujours avec lui deux feuilles de papiers, une lettre de recommandation d’une dame qu’il connaît. Elle y a écrit : “monsieur Carlos Miguel a toujours eu un comportement digne” et aussi qu’il rend “énormément de services aux personnes qui en ont besoin”.

Carlos a un avis sur tout, c’est une tempête qu’il y a dans sa tête. Il est extrêmement curieux et il a son caractère. Il dit qu’il essaye surtout d’éviter les problèmes.  À l’abri des regards et pourtant en plein cœur de la ville, il a créé son refuge, sa maison. Si un jour, on devait le chasser, il dit seulement : “alors je marcherai, je marcherai”.

Texte écrit avec Lisa Castelly

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Commentaires

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  1. printemps ete 2020 printemps ete 2020

    C’est trés beau , merci Marsactu

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  2. SCHUNGHI13 SCHUNGHI13

    Peut-on lui proposer du bricolage dans un petit jardin, avec un dédommagement bien sûr ?
    Dans ce cas, puis je le joindre où le rencontrer dans un lieu qui lui est habituel? Mon tél : 0682562503. Merci de me donner des nouvelles. Cordialement.M.J.C.

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  3. Tarama Tarama

    A quelques encablures de là, beaucoup plus exposée aux regards, une famille Rom avait construit un abri de fortune depuis un ou deux ans.

    Un incendie a emporté le campement et quelques arbres qui l’ombrageaient dans la semaine.

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    • SiFo SiFo

      Bonjour,

      Je suis passé devant… Sait-on si c’était criminel ? La coïncidence avec la publication de cet article est frappante.

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    • LN LN

      @SiFo, il y aurait eu une bagarre entre ces personnes qui a donc mal fini. C’était jeudi matin à 10h, rien à voir avec l’article.

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  4. didier L didier L

    Un SDF qui vient des Iles Canaries – beau pays – un photographe sud-américain qui vient du pays de Hugo Chavez, un chien battu qui ne l’est pas se retrouvent à Marseille. Pas à Lyon, pas à Bordeaux, à Marseille. Cela pourrait être le début d’un roman marseillais à tiroirs et mystérieux, mais comment arrive-t-on ainsi sur les bords de l’Huveaune, une rivière tout de même moins séduisante que l’Atlantique sud ? Voilà l’idée qui m’a traversé l’esprit en vous lisant !

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  5. LN LN

    Ce matin, sur les berges de l’Huveaune après l’avenue de Mazargues, 3 camionnettes ont totalement vidé les lieux d’un squat (?) en contre bas, au bord de l’eau. Je ne sais pas s’il s’agit de celui de C. Miguel mais ce que je vois sur les photos semblaient être sur les camionnettes… Emilio en saurait-il plus, par ce que là pour le coup, ca arrive bien après l’article… J’ai cru un instant au nettoyage des berges, mais la présence de la police n’est pas justifiée dans le nettoyage.

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  6. Christine VERNIERE Christine VERNIERE

    Marseille : le monde entier dans la goutte d’eau d’un petit fleuve côtier … Merci à Carlos Miguel, Emilio et Lisa, c’est puissant !

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