Le jour où 65 jeunes migrants ont contraint le département à les héberger

Reportage
le 24 Nov 2017
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Au terme d'une journée de négociations mouvementée entre le département et les mineurs étrangers isolés qui occupaient l'église Saint-Ferréol-les-Augustins, ces derniers ont accepté l'offre d'hébergement proposée, après avoir obtenu des garanties sur leur accompagnement.

Au terme de discussions passionnées, les jeunes migrants ont accepté l
Au terme de discussions passionnées, les jeunes migrants ont accepté l'offre du département. (Image LC)

Au terme de discussions passionnées, les jeunes migrants ont accepté l'offre du département. (Image LC)

“Mes frères mineurs, approchez !”. Il est 19 heures passées lorsque Joseph, l’une des figures emblématiques du groupe de jeunes migrants, appelle les nombreuses personnes – près de 200 – rassemblées dans l’église Saint-Ferréol-les-Augustins à se réunir au pied de l’autel, à la croisée du transept. Après plus de 48 heures d’occupation, le lieu demeure surprenamment calme, même au terme d’une journée riche en cacophonies. Celle-ci va bientôt s’achever.

Le jeune Ivoirien se tourne vers David Le Monnier de l’association Addap 13, venu présenter une solution d’hébergement temporaire mise sur pied par le conseil départemental, avant le placement en foyer de ceux qui sont ou seront reconnus mineurs. “Votre proposition, monsieur, nous l’acceptons, mais pas ce soir, demain matin”, lance-t-il. Applaudissements de l’assemblée. La soixantaine de jeunes mineurs s’est en effet décidée, au terme de discussions passionnées qui ont pris une bonne demie-heure, traduites entre l’anglais et le français en fonction de leur pays d’origine. “C’est pas fini, a cependant tonné un autre. Ce qu’on a demandé, si on l’a pas, on a le contact des associations qui sont là avec nous !”

Une proposition renforcée par les négociations

La veille, mercredi soir, ils avaient refusé une première offre qui leur proposait déjà un accueil dans les locaux de l’ancienne maison de la solidarité Pressensé, à Belsunce mais seulement la nuit. Jeudi soir, c’est avec une offre plus étoffée qu’est revenu David Le Monnier, responsable du service mineurs isolés de l’Addap. Dans une nef remplie à bloc, face à une agora de jeunes et de militants bras croisés, il a détaillé la nouvelle proposition. “Entre hier soir et ce soir, les conditions ont changé, a-t-il reconnu. Vous serez accueillis dans un lieu de 65 places, ouvert 24 heures sur 24, avec une équipe éducative, des éducateurs que vous connaissez déjà.” Malgré quelques tensions, et après des interrogations sur l’accès à l’éducation et à la santé, l’offre, traduite en anglais à mesure, a convaincu ces jeunes qui dormaient pour la plupart à la gare Saint-Charles depuis des semaines.

Depuis 48 heures, l’église étaient devenue l’abri de la soixantaine de jeunes migrants et de leurs soutiens. (Image LC)

“Si exactement, c’est comme ça, oui, j’y suis favorable, confiait juste avant l’intervention de David Le Monnier, Abdoulaye, Burkinabé qui fêtera ses 16 ans la semaine prochaine. Hier ils nous parlaient d’un lieu que pour aller dormir, on a assez perdu de temps comme ça. Pour beaucoup, il y a des années qu’on est partis, on a envie de reprendre quelque chose, d’aller de l’avant.” La dernière fois que le jeune homme a été à l’école, c’était en février 2015.

Une journée de tensions

Avant cette issue positive, la mobilisation avait failli flancher à plusieurs reprises au cours de la journée. Au matin, l’église, qui avait accepté la mobilisation qui s’était installée dans ses murs par surprise, décide de déclarer l’occupation illégale, ouvrant la porte à une possible expulsion si elle venait à durer au-delà de la date annoncée. “Monseigneur Pontier a fait venir un huissier pour constater l’occupation. Nous ne sommes plus responsables jusqu’à samedi, c’est une occupation, mais l’église reste ouverte”, a ainsi détaillé Thierry Lambouley, un des pères jésuites de la paroisse. Mais le diocèse n’a finalement pas déposé plainte, repoussant ainsi une opération des forces de l’ordre que beaucoup redoutaient.

Dans l’après-midi, le département tend une nouvelle perche – médiatique – aux occupants de l’église. L’élue déléguée à l’enfance, Brigitte Devesa, organise une visite de presse des locaux de l’ancienne maison de la solidarité, pour montrer sa compatibilité avec l’accueil de jeunes. L’hiver dernier, ces locaux avaient d’ailleurs déjà accueilli des sans-abris lors de la période de grand froid. Accompagnée de membres de la Croix-rouge, Brigitte Devesa appuie sur la capacité du département à “réagir face à l’urgence”, tout en parcourant les anciens bureaux transformés en chambres avec lits de camps. Est-ce pour faire taire les rumeurs qui courent dans l’église depuis le matin ? Là où les militants dénonçaient un lieu sans électricité ni chauffage, les thermostats affichent 25 degrés, et les journalistes suent à grosses gouttes.

Brigitte Devesa, élue déléguée à l’enfance, a présenté les locaux mis à disposition. (Images LC)

L’élue est prise d’un coup de chaud supplémentaire lorsqu’on lui fait remarquer qu’avec ces dizaines de mineurs à la rue, le département, dont la mission est de les mettre à l’abri, est hors-la-loi. “Nous ne sommes pas hors-la-loi ! Il faut que l’État soit plus responsable”, martèle-t-elle, assurant que si des places sont ouvertes, “ce n’est pas parce qu’il y a une mobilisation, nous répondons à l’urgence”. Et de pointer une nouvelle fois les 517 mineurs non-accompagnés pris en charge en 2017 par le département. Quant à une possible venue de l’élue à la rencontre des jeunes… “l’interview est finie”.

Une dernière nuit dans l’église

À l’église, les informations de la conférence de presse se propagent doucement et la machine à rumeurs tourne à plein. Des représentantes des services départementaux de l’action sociale ont rejoint les rangs des soutiens des jeunes. “Cela fait des années qu’on alerte, souffle Valérie Marque de la CGT. On a pris beaucoup de retard, mais il faut dire que depuis notre grève en mai, des efforts sont faits. Pour l’hébergement d’urgence, on n’avait rien. Mais c’est dommage qu’on en arrive à ça. On ne pouvait pas leur proposer comme ça a été fait hier de l’accueil de nuit comme à des adultes. Ces jeunes sont intelligents, ils ont eu raison de refuser”. 

De nombreux débats ont eu lieu au cours de la journée quant à la suite de l’occupation. (Image LC)

“Ça valait le coup de refuser hier”, confirme, au vu des avancées obtenues, Anne Gautier du réseau éducation sans frontières, une des coordinatrices de la mobilisation. À l’heure où le groupe s’apprête à passer sa troisième et dernière nuit dans l’église Saint-Ferréol, une odeur de chili con carne sort de marmites apportées par des militants. Une sorte de routine conviviale semble s’être mise en place dans l’église. Les couvertures pliées entassées dans une chapelle seront bientôt répartie entre tous. “Ça a été une lutte puissante, victorieuse, appréciable. Nous allons continuer tous ensemble, jusqu’à nous disperser dans la liberté”, professe au micro le jeune Joseph que ces quelques jours à l’église semblent avoir inspiré.

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