Les “bracos des Calanques” jugés pour préjudice écologique

Actualité
le 6 Mar 2020
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Les premiers veulent faire baisser l’addition, les seconds ne s’estiment pas concernés : braconniers et revendeurs sauront ce vendredi si la justice les rend coupables de préjudice écologique. Lors de l’audience du 8 novembre 2019, le parc national des Calanques a demandé 450 000 euros de réparations pour avoir pêché pendant des années dans ses eaux protégées.

Image Lisa Castelly
Image Lisa Castelly

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L'enjeu

Condamnés pour avoir pêché des espèces protégés dans le parc national des Calanques, les braconniers doivent payer des dommages et intérêts évalué à 450 000 euros.

Le contexte

La décision judiciaire permettra d'évaluer le préjudice écologique subi par un écosystème quand on prélève l'animal situé au plus haut dans la chaîne alimentaire.

Tout juste inscrit dans le droit en 2016, le préjudice écologique n’a jamais été associé à des demandes de réparation aussi lourdes. Ce vendredi, la justice doit statuer sur la demande de réparation du parc national des Calanques à l’encontre des quatre “bracos”.

Condamnés au pénal en juillet 2018 à 15 et 18 mois de prison avec sursis, ils se sont rendus coupables de plusieurs délits, notamment de “pêche maritime en zone interdite” et “vente non autorisée d’espèce animale protégée” (Lire notre article de 2018). Ils ont déjà versé des dommages compris entre 2000 et 10 000 euros à sept parties civiles dont le groupe d’étude du mérou et France Nature Environnement.

Une poussière comparée aux montants exigés par le parc national. Devant le tribunal correctionnel le 8 novembre dernier lors d’une audience dédiée, l’avocat du parc Sébastien Mabile a en effet fixé le préjudice écologique du braconnage à 450 000 euros. Pour se prononcer sur cette somme, le tribunal doit réaliser un exercice aussi délicat qu’inédit : évaluer la méthode de calcul avancée par le parc.

“Tuer 10 kilos de mérou, c’est comme tuer 100 kilos de faune”

Pour Sébastien Mabile, “il ne s’agit que d’une simple conversion des pertes de poissons et coquillages, soit 4,5 tonnes, en euros”. Une quantité impressionnante que le parc national impute notamment à la pêche d’une espèce prisée des braconniers : le mérou. Denise Bellan-Santini, directrice de recherches émérite au CNRS, a défendu cette thèse à la barre. “Dans un écosystème comme les Calanques, nous avons affaire à un réseau trophique, c’est-à-dire à un ensemble de chaînes alimentaires. Ce réseau trophique est pyramidal : les prédateurs sont au sommet. Si on tue un prédateur comme le mérou, on va impacter tout l’écosystème. Et les conséquences sont tragiques.” Une réalité scientifique résumée crûment par l’avocat du parc : “tuer 10 kilos de mérou, c’est comme tuer 100 kilos de faune”. L’experte ajoute : “si on mange une femelle avec des petits mérous, on mange tout une génération !”

Pour s’arrêter sur 4,5 tonnes de dégâts, la partie civile s’est basée sur les 5 mois d’écoutes téléphoniques réalisées pendant l’enquête, dans lesquelles les braconniers se vantent de leurs prises. Son argumentaire veut également accabler les pêcheurs en présumant que 80% des poissons ont été harponnés dans la zone dit de “non-prélèvement”. Mais pour la défense, les lieux exacts de la pêche sont invérifiables et par conséquent, les calculs du parc ne sont pas valables.

L’avocate Fanny Lavaill précise : “nos clients ont été jugés coupables, il n’y a pas de débat là-dessus. La question, c’est de savoir si on peut mesurer l’impact de leurs actes.” L’experte, par ailleurs membre du conseil d’administration du parc national, ne s’est pas trop avancée sur cette question : “c’est compliqué. Tout dépend des espèces pêchées mais quoiqu’il en soit, les dégâts du braconnage, l’écosystème les paye encore aujourd’hui.”

« Mon client, il ne pourra pas payer »

L’avocat du parc estime que le braconnage a impacté 33,2% des poissons, 9% des oursins et 0,3% des poulpes observés dans la zone de non-prélèvement. Il conclut : “quand on parle de 4,5 tonnes de dégâts, on est sympas. En réalité, on estime que 18 tonnes de biomasse on été soustraites.” Sébastien Mabile reconnaît que sa méthode de calcul est “discutable, mais elle a le mérite d’exister”. Pour le procureur Franck Lagier qui qualifie ce procès d’ “historique”, la demande du parc est “tout à fait légitime”.

En plus des 450 000 euros de préjudice écologique, l’avocat des Calanques demande aux braconniers 50 000 euros de dommages pour atteinte à la mission de protection de l’environnement du parc. “La création et la gestion de la zone de non-prélèvement, c’est 1,3 million d’euros d’argent public investi entre 2009 et 2017. Les Calanques, c’est un parc national périurbain, particulièrement exposé”, rappelle-t-il. L’avocat réclame aussi 50 000 euros pour atteinte à l’image de marque, soit “un quart du budget communication annuel du parc”.

En défense, Fanny Lavaill dénonce “une portée politique, une volonté de donner l’exemple qui dépasse les braconniers”. Un second avocat, Cyril Lubrano-Lavadera, s’est risqué à plaider tout haut l’évidence : “monsieur le juge, je préfère vous le dire tout de suite, mon client, il ne pourra pas payer”. Là où l’enquête a estimé le bénéfice de la pêche à 160 000 euros pour les quatre braconniers, le parc leur demande une réparation totale de 450 000 euros si on additionne tous les dommages et intérêts exigés. Assimilant les pêcheurs “à quatre pauvres gars”, Cyril Lubrano-Lavadera pointe du doigt d’autres “individus bien plus solvables” : les restaurateurs.

Les revendeurs, conscients mais pas complices

Huit professionnels bénéficiaires du braconnage ont bien été condamnés en 2017, mais ils ont bénéficié d’une procédure simplifiée sans procès : la composition pénale. C’est dans le bureau du procureur que leurs peines avaient été fixées à des amendes de 500 à 1 500 euros et des “stages environnement”. Deux ans plus tard, la même clémence est pratiquée par le parc. “Quand vous achetez des poissons harponnés et des oursins hors période autorisée, vous savez qu’ils proviennent de la pêche illégale. Donc oui, ils ont fait des profits, mais on ne les tient pas comme auteurs du préjudice écologique car il n’en sont pas strictement à l’initiative”, estime Sébastien Mabile.

Ce dernier ne demande donc pas plus de 3 000 euros à chaque revendeur, au nom des deux autres préjudices seulement. Aussi, sur les huit condamnés, seuls cinq sont visés par cette procédure civile. On note par exemple l’absence du restaurateur de l’Esplaï aux Goudes, qui a conclu un accord à l’amiable avec le parc, dont le montant reste “confidentiel”, font savoir les deux parties.

Enfin, la justice devra statuer sur un recours déposé par les avocats des braconniers, ces derniers souhaitant que les revendeurs payent solidairement pour le préjudice écologique. Les intéressés s’y opposent : “être un braconnier avec son bateau et son harpon, et être un petit commerçant, ça n’a rien à voir !” tente Monique Touitou, avocate d’un poissonnier du Vieux Port. En répondant à toutes ces questions, non seulement la décision du tribunal clôturera définitivement l’affaire des « bracos des Calanques », mais elle sera aussi appelée à faire jurisprudence.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Le fait que les principaux bénéficiaires du braconnage ne soient pas associés à indemniser les dommages causés est une méchante injustice.
    Il n’y a pas que de “pauvres petits restaurateurs” il y a de grandes tables, des restaus étoilés qui revendent une fortune le filet de poisson cru, sciemment extrait de poissons fléchés. Il y a des écaillers très très riches qui revendent bien cher les oursins alors qu’ils sont plus que conscients qu’ils sont en voie de disparition dans la rade.
    [+ La photo d’illustration n’est pas opportune, il s’agit d’une caisse de muges que les braconniers ne s’aventurent jamais à flécher.]

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  2. Dark Vador Dark Vador

    “Condamnés pour avoir pêché des espèces protégés”. Il y a un autre préjudice tout autant et même plus plus condamnable et catastrophique : le rejet des boues rouges! Où en est la justice sur ce dossier?

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  3. Alceste. Alceste.

    Nos amis étoilés et ecailliers des quartiers chics sont des receleurs. Mais que voulez vous nous pouvons les excuser, ils ont tellement de mauvaises fréquentations aves certains clients/élus de la Mairie.

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  4. vékiya vékiya

    sans demande pas de braconnage… les consommateurs et/ou revendeurs auraient du être sanctionné plus lourdement.

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  5. Alceste. Alceste.

    Quand j’étais jeune il y avait un très bon qualificatif pour nos amis restaurateurs que Valladier cite dans son “parler gras”, celui de Gandin. Ce terme convient bien à cette équipe de

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