Bisbilles patrimoniales sous la verrière cassée de la gare Saint-Charles
Les vitrages et la charpente originels de la grande halle voyageurs donnent d'alarmants signes de faiblesse. Des travaux sont prévus, mais d'ici à leur réalisation, l'installation de bâches génère des tensions entre la SNCF et l'architecte des bâtiments de France.
La grande halle voyageurs de la gare Saint-Charles. (Photo C.By.)
Ils embarquent à bord du TGV en direction de Paris gare-de-Lyon en ignorant tout de ce qui se joue au-dessus de leurs têtes. Les voyageurs qui foulent cet après-midi-là le quai de la voie F, comme tous les passagers qui se croisent quotidiennement dans la grande halle de la gare Saint-Charles, ne savent pas qu’à quelques mètres d’altitude, les vitrages et la charpente métallique sont en grande souffrance.
Posé comme une vigie sur le plateau Saint-Charles depuis 1847, l’édifice fait partie des symboles de la ville. Et, surplombant l’esplanade qui prolonge la gare, l’imposante halle porte les signatures des grandes gares de la fin du XIXe siècle : une charpente de métal ouvragé, un vaste tympan vitré et une toiture où alternent tuiles et vastes lanterneaux, latéraux et central, pour faire pénétrer la lumière. C’est l’état de ces derniers qui inquiète. “Il y a une dizaine d’années, une partie de ces vitrages a été déposée. Les joints des vitres, qui contiennent de l’amiante, se sont pour certains désagrégés, et sous l’action du vent, des vitrages se sont soulevés”, rembobine Armelle Fabry, architecte, responsable du pôle conception, au sein de la direction régionale Occitanie-Sud, de SNCF Gares & Connexions. Sur les 3800 mètres carrés de vitrages, quelque 2500 sont alors “purgés”.
Pluie et corrosion
Mais, 10 ans plus tard, la stratégie trouve sa limite. Il pleut dans la gare. “La première mesure prise était de l’ordre de la protection”, reprend Armelle Fabry. Deux couches de filets sont tendues pour prévenir tout accident en cas de chute de verre : l’épaisseur de leur maille est différente – l’une, fine, l’autre plus épaisse – pour contenir les éventuels débris. “Seulement, ces filets ne sont pas étanches”, convient l’architecte. Les eaux de pluie ont commencé à corroder de manière nette certaines parties de la charpente. Au risque de voir des pans de verre se désolidariser de leurs joints et ne plus tenir en place.
En levant le nez, depuis le cœur de la grande halle, les effets du temps se lisent un peu partout. Surplombant les deux longs pans de mur qui ceignent la grande halle, les vitres d’origine – elles datent de 1893 – sont pour certaines manquantes, pour d’autres cassées. Par endroits, au-dessus des blasons annonçant les villes desservies depuis Saint-Charles, les montants de métal qui portent les vitrages montrent des signes de faiblesse : ici tordus, là rouillés. Même les filets tendus il y a une dizaine d’années commencent à fatiguer et se distendent çà et là. Les services de l’État, joints par Marsactu, s’inquiètent sans détour pour “l’intégrité du bâtiment”.
C’est un édifice protégé au titre du Site patrimonial remarquable de Marseille. La couverture doit être restaurée selon les règles de l’art.”
L’architecte des bâtiments de France
Pour parer au plus pressé, SNCF Gares & Connexions a donc décidé de tendre des bâches de protection sous ces vitres fragiles. “Les verrières ayant été déposées suite à des chutes et leur charpente métallique laissée aux intempéries, la SNCF a souhaité mettre en place des bâches dites provisoires”, confirme Frédéric Aubanton, chef de service architecte des bâtiments de France (ABF) au sein de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine (UDAP 13). La première solution proposée par la filiale de la SNCF a reçu une réponse défavorable de l’ABF. Il s’agissait de tendre des bâches blanches sous la toiture de l’actuelle verrière.
Certes, la gare Saint-Charles ne bénéficie pas du label monument historique, mais elle est protégée via l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP). “C’est un édifice protégé en tant que site patrimonial remarquable de Marseille. La couverture doit être restaurée selon les règles de l’art”, prévient Frédéric Aubanton.
Provisoire qui dure
L’architecte aurait accepté des bâches blanches occultant la lumière, pendant quelques mois le temps de la réalisation de travaux d’urgence. Mais guère plus longtemps. “Le problème, c’est que ce provisoire va durer”, reconnaît Armelle Fabry.
Des travaux sont bel et bien en ligne de mire, à Marseille comme dans d’autres gares françaises historiques. Seulement, la société peine à financer ces chantiers souvent très lourds et aux montants engagés colossaux. “SNCF Gare & Connexions estime que le modèle économique des gares actuelles, encadré par le contrat pluriannuel 2021-2026 conclu avec l’État, ne permet actuellement de financer qu’entre 60% et 75% des besoins de régénération”, note le conseil d’orientation des infrastructures, dans son rapport de synthèse sur la stratégie 2023-2042. L’instance poursuit : “Cette situation, si elle perdure, rendra de plus en plus difficile le maintien de la sécurité des voyageurs et agents, et dégradera la qualité de services aux voyageurs (obligation de dépose des couvertures des grandes halles voyageurs (GHV) par exemple pour éviter les chutes d’éléments).”
50 millions d’euros pour la réfection complète
Dès avril 2021, un rapport de la Cour des comptes dédié aux gares ferroviaires de voyageurs dressait également un constat alarmant, “à l’image de la grande halle voyageurs de la gare de Marseille Saint–Charles dont la rénovation représente un montant d’investissements estimé à 45 millions d’euros, un montant comparable au budget annuel d’investissements pour l’ensemble des gares de la région Sud et de la région Occitanie.”
Debout sous un des lanterneaux latéraux, Armelle Fabry avance, elle, une somme de 50 millions d’euros, pour la réfection complète dont doit bénéficier la grande halle voyageurs de Marseille Saint-Charles. “C’est planifié et provisionné”, assure de son côté Mickaël Ollier, responsable de la communication au sein de la direction régionale de SNCF Gares & Connexions. Ces travaux sont programmés pour 2030. D’où la nécessité d’une “mise hors d’eau” satisfaisante de l’ouvrage remarquable que constitue la toiture, d’ici là.
Échanges rugueux
Exit les bâches blanches – “et moches”, selon la description des services de l’État. Après des échanges rugueux entre l’entreprise qui gère les gares et l’architecte des bâtiments de France, une nouvelle solution est à l’étude afin de “trouver un système de protection pérenne qui permette que l’image du site ne soit pas dégradée”, résume Armelle Fabry. Une consultation en conception-réalisation de bâches translucides vient d’être lancée. “On attend les propositions de matériaux, de méthodologie de pose et de chiffrage des coûts”, précise encore Gares & Connexions. L’ambition est de désigner l’entreprise lauréate d’ici à la moitié de l’année pour un démarrage des poses entre la fin 2023 et le début de 2024.
Mais pour donner le feu vert au prestataire retenu, il faudra d’abord attendre l’agrément de l’architecte des bâtiments de France. “Une bâche translucide armée m’a semblé mieux correspondre à l’aspect de la verrière disparue. Je suis dans l’attente d’un nouveau dépôt d’autorisation”, prolonge Frédéric Aubanton. Il aura ensuite deux mois pour instruire le dossier. Pendant ce temps-là, il va continuer à pleuvoir par endroits dans la grande halle voyageurs marseillaise.
Commentaires
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La gare actuelle date de 1893. Elle fait suite à la gare initiale de 1852 dont elle a conservé une partie des bâtiments, le long du square Narvik. Et une gare provisoire avait été construite en 1848 pour l’ouverture de la ligne vers Avignon.
Pour celles et ceux qui prennent le train pour Paris et qui l’évent le nez, les motifs moules en fonte des charpentes de la halle sont les mêmes à St Charles et à la gare de Lyon.
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L’architecte des bâtiment de France a parfaitement raison dans ses exigences esthétiques qui participent de la qualité de la vie. S’il faut “une somme de 50 millions d’euros, pour la réfection complète ” il faut aussi savoir que “Un bénéfice record pour la SNCF. Le groupe ferroviaire a annoncé, jeudi 23 février, un bénéfice net à 2,425 milliards d’euros pour son exercice 2022. Cela représente 1,5 milliard de plus qu’en 2021. (www.francetvinfo.fr).
Sauf erreur ces 50 millions représentent 2,06 % des bénéfices 2022, soit une goutte d’eau c’est le cas de le dire, et on nous demande d’attendre 2030 pour la rénovation de la verrière.
La SNCF préfère surement rétribuer ses actionnaires plutôt que de rénover rapidement le réseau ferré qui en a bien besoin (voir l’accident mortel de Bobigny) et plutôt que de baisser ses tarifs devenus prohibitifs pour une partie de la population.
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Le seul actionnaire de la SNCF est l’Etat qui subventionne l’entreprise depuis des décennies.
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S’agissant des activités voyageurs, l’Etat ne subventionne en rien la SNCF. Les activités commerciales de celle-ci (les TGV, pour simplifier) doivent s’autofinancer. Les activités conventionnées (les TER, en gros) bénéficient de contributions financières des régions. Le seul soutien de l’Etat à la SNCF dans un passé récent a concerné la partie Fret SNCF, structurellement en difficulté.
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J’ajoute, pour Lecteur Électeur, que les bénéfices de la SNCF sont intégralement réinvestis dans la maintenance du réseau et dans le remboursement de sa dette. C’est un schéma de financement arrêté avec l’Etat actionnaire.
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Merci, 8e ! Ce sont ces commentaires que j’adore : ce ne sont pas “des billets d’humeur” (ou de l’humour à 2 balles) dont la majorité des lecteurs n’a rien n’a faire, ils complètent l’article par des précisions pas forcément connues du grand public.
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Les travaux sont provisionnés, ce qui signifient que l’argent est disponible et les travaux sont prévus pour 2030 ! A quoi va servir cet argent entre 2023 et 2030
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Provisionné ne veut pas dire que l’argent est d’ores et déjà disponible et placé sur un compte d’attente.
Cela veut dire que la somme est réservée dans le budget d’investissement pour 2030, en espérant que la situation financière ne se dégradera pas d’ici là.
Des travaux semblables ont été réalisés, ou sont en cours de réalisation dans d’autres gares françaises (citons Bordeaux St Jean, Tours St Pierre, Pau, Epernay, Cauny, Montauban, Paris-Austerlitz, Blois, Evian, Guéret, Bayonne, Toulouse-Matabiau, etc., etc.), donc chaque année des montants importants sont prévus pour ce genre de travaux.
Un autre élément à prendre en compte est le fait que ce type de travail implique de faire appel à des entreprises très spécialisées, avec des ouvriers spécialement formés sur des techniques de construction anciennes. Il faut donc planifier la charge de travail pour tenir compte de leurs capacités de production.
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2030 ! 7 ans d’attente, tout de même, durant lesquelles la structure va continuer de vieillir. Croisons les doigts et portons un casque pour qu’aucun accident majeur ne survienne.
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En résumé cher 8eme, il n’y a pas d’actionnaires au sens du CAC 40 qui touchent des dividendes.
Les seuls actionnaires sont les contribuables.
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Le coût des bâches “provisoires” sera t il déduit de ces fameux 50M d’€ ? Qui,eux , seront transformés en 60 dans 7 ans !
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La verrière de la gare Saint Charles fait t’elle l’objet d’un classement du type monument remarquable ou autre?
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Lisez l’article avant de commenter 🙂
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Le fait d’être site patrimonial est t’il suffisant pour la protéger définitivement ?
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