[Béton aimé] Thierry Durousseau : “Marseille possède des trésors cachés”
Tout l'été, Marsactu vous emmène à la découverte de raretés en béton, labellisées "patrimoine du XXe siècle", discrètes traces des architectes novateurs du passé. Le dernier article de notre série revient, avec l'architecte Thierry Durousseau, sur les relations que Marseille entretient avec son patrimoine contemporain.
Durant l'été, la série "Béton aimé" a documenté les traces de l'architecture du 20e siècle à Marseille.
Thierry Durousseau a grandi à la Cité radieuse. De cette enfance au cœur de l’emblématique monument des années 50, il a tiré un livre, 725 Le Corbusier (Bik & Book Editions). Pourtant, à ses yeux la mythique unité d’habitation du boulevard Michelet est un peu l’arbre qui cache la forêt des bâtiments contemporains méritant l’attention à Marseille.
Devenu architecte et urbaniste, cet homme de l’art mène depuis plus de trente ans des travaux passionnants sur la production urbaine et architecturale dans le département. Auteur d’ouvrages sur le sujet, dont Ensembles et résidences à Marseille 1955-1975, 20 années formidables (Bik & Book Ed.), il a également rédigé de nombreuses notices du ministère de la Culture sur les édifices marseillais bénéficiant du label “architecture contemporaine remarquable”. Pour clore notre série “Béton aimé”, il décrypte les rapports, complexes, que Marseille et ses habitants entretiennent avec ce patrimoine architectural récent et mal aimé.
À Marseille, une partie du patrimoine contemporain est-elle occultée par des “stars” ?
Ah, oui, c’est sûr ! La Cité radieuse, ça fait écran. En France de toute façon quand on dit architecture, les gens répondent Le Corbusier et Jean Nouvel !
Pour autant, à Marseille durant l’après-guerre, on a beaucoup construit, notamment des grands ensembles. Bien plus qu’à Lyon, par exemple. Or, à partir du moment où vous avez une grosse production, il y a plus de chances que vous y voyiez de belles choses.
Toutes les cités marseillaises de ces années-là ne sont donc pas des cages à lapins ?
(Il sourit) Eh non ! On a beaucoup dit que c’était de la merde ! Mais moi, dans mes travaux de recherche, j’ai relevé la dignité des architectes qui ont œuvré à Marseille. Certains composaient avec des contraintes énormes. Ici, ils ont souvent pris en compte l’aspect climatique – en imaginant des appartements traversants pour générer des courants d’air – cherché à travailler sur l’isolation, l’orientation, la déclivité du terrain… C’est le cas à Castelroc-le-Haut à Saint-Tronc, par exemple, avec une construction qui joue sur les reliefs des collines, avec des éléments de niveaux différents. Il faut aussi noter des passerelles avec des niveaux décalés du fait de la pente. Et puis il y a cet incroyable ascenseur vitré sur une face, qui lorsqu’on le prend, offre un véritable travelling vertical sur la ville.
Ce patrimoine reste néanmoins particulièrement méconnu, voire déconsidéré.
C’est vrai. Pourtant, les années 60 puis 70 sont en quelque sorte une période magique durant laquelle les architectes ont désormais le droit de s’associer les uns aux autres et de travailler avec d’autres professions : les frères Chirié travaillent avec un psychiatre à La Maurelette, à Air-Bel, les architectes se sont adjoints un sociologue. Mais à partir des années 80, les grands ensembles commencent à souffrir de l’image de ghettos. Les gens sont finalement loin et isolés du centre. L’emploi baisse massivement en même temps que l’immigration augmente. L’image de réclusion émerge alors. Néanmoins, les écoles d’architectures allemande, américaine ou suisse demandent régulièrement des renseignements sur ces productions et viennent les étudier sur place. Spécialement les réalisations des architectes des années 60 qui étaient plus plastiques : comme en témoigne le travail chromatique originel exceptionnel à La Maurelette, par exemple.
Mais ces réalisations ne sont pas mises en valeur.
Non, pourtant Marseille possède des trésors cachés. J’aime particulièrement les Platanes dans le 14e arrondissement, sur le chemin de Saint-Joseph à Sainte-Marthe. Le lexique utilisé par Pierre Jameux est très divers : avec un bâti en équerre, une tour et un bâtiment en forme de banane. Il utilise, dans un jeu géométrique, le béton clair et la brique qui joue un rôle aussi fonctionnel que décoratif.
Comment expliquez-vous, alors, que l’on tourne le dos à ce patrimoine ?
C’est un mouvement assez naturel, au fond, cette détestation de l’architecture contemporaine. Même Le Corbusier n’a pas toujours été porté aux nues. Y compris chez les politiques. Les différents mandats Gaudin cherchaient plutôt à valoriser la ruralité provençale avec ses toits de tuiles à quatre pentes… Prenez les tours Labourdette [situées à Belsunce et aussi labellisées patrimoine du XXe, ndlr], on les a traitées de radiateurs pendant très longtemps. Il a fallu que des habitants se fédèrent en association et fassent visiter l’intérieur pour que la population découvre les lieux. Et encore, il y a toujours beaucoup de gens qui les détestent. Et puis, pour ce qui concerne les grands ensembles, on est oublieux de ce patrimoine parce qu’il est à la périphérie, aux marches d’une ville qui est très étendue. Enfin, pour beaucoup, ces cités même labellisées, sont l’antithèse de l’habitat individuel qui est plus noble.
Et la “tour” c’est pour les pauvres…
Oui, c’est ça. Donc le béton est mal aimé et le grand ensemble aussi.
Souvent les productions du XXe ont mal vieilli, aussi.
D’abord, certaines ont été mal construites, c’est un fait. Après la guerre et encore plus après l’appel de l’Abbé-Pierre durant l’hiver 54, on s’est mis à construire pour les gens qui n’avaient pas les moyens de se loger en HLM. Mais on a fait des sous-HLM pour cette population-là. On en a construit à une vitesse folle : en six mois on bâtissait cinquante ou cent logements. On faisait des trucs à répétition – comme le parc Saint-Théodore, à Saint-Joseph ou au Vallon des Tuves. Ces constructions-là, oui, ont mal vieilli, mais les gens qui vivent là n’ont pas forcément envie d’en partir. Je suis plutôt de l’avis de Rem Koolhaas [architecte et urbaniste néerlandais, ndlr] qui préconise de ne pas détruire les grands ensembles de ces années-là. Ici comme ailleurs, ils racontent également des phases historiques de l’extension de la ville.
À lirePour aller plus loin dans la découverte du patrimoine du XXe siècle, Marsactu conseille la lecture de l’ouvrage – “Architectures à Marseille 1900-2013”. Dirigé par Thierry Durousseau, ce livre édité par la Maison de l’architecture et de la ville Provence-Alpes-Côte d’Azur (Mav Paca) recense quelque 300 édifices dans les domaines de l’habitation, de la culture ou du sport mais aussi des infrastructures ou des espaces publics marseillais.Sous la forme d’un guide qui invite à la balade, cette publication met en lumière ces lieux remarquables et leurs architectes. Ed. Mav Paca, 248p., 22 euros
Commentaires
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Merci pour cette série.
Je pense que la piscine de Luminy qui est remarquable sur le plan architectural devrait aussi faire l’objet d’un article.
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La patrimonialisation des grands ensembles Marseillais ne changera rien aux grandes difficultés de nombre de grandes cités HLM.
La conception urbaine et architecturale de ces opérations constitue une des raisons du problème.
Les maitres d’œuvre, leurs maitres d’ouvrage historiques et l’idéologie moderne qu’ils ont mis en œuvre en sont pleinement responsables.
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C’était la conception urbanistique de Defferre résumée en un mot l'”utilitarisme”.
Ce concept résume bien l’idée sous- jascente du comment loger les gens de l’époque et qui perdure.
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Merci beaucoup pour cette série. J’aime beaucoup vous lire.
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