Bernard Latarjet les yeux dans le rétro
Bernard Latarjet les yeux dans le rétro
C'est un peu comme pour les vues d'architecte : il y a toujours écrit en petites lettres dans un coin : "image non contractuelle". Il en va ainsi de la Capitale européenne de la culture. Avec un brin de mauvais esprit, nous avons comparé les projets envisagés dans le programme de 2008 avec celui qui a été rendu public il y a tout juste une semaine et aura bien lieu en 2013. La liste des bonnes idées passées à la trappe est longue comme un jour sans pain : Nabucco de Verdi en partenariat avec l'opéra du Caire, une coupe Camus avec l'OM contre l'équipe d'Algérie en match phare, concert de 100 guitares, Trafic, festival permanent des cultures urbaines, défilé de bateaux de fort tonnage, exposition sur la peste…
Pour expliquer les choix faits, peut-être même exprimer des regrets, rien de mieux que d'aller chercher le papa de la capitale, Bernard Latarjet, ancien directeur de l'association, passé depuis au rôle d'éminence grise, conseiller spécial du président. Il n'a pas lâché prise pour autant, présent à Marseille deux jours par semaine, il a suivi de près l'évolution de son projet.
Marsactu : La capitale culturelle dont le programme a été rendu public vendredi ressemble-t-elle à celle que vous avez imaginée ?
Bernard Latarjet : Oui. Notamment, à travers les deux fils rouges qui traversent le programme : la Méditerranée et le fait urbain. Pour la Méditerranée, elle transparaît à la fois dans le choix des artistes, les festivals, la programmation littéraire et même dans les nouveaux bâtiments qui seront inaugurés l'année prochaine. Elle est transversale. Le deuxième fil urbain reprend ce que nous avions rassemblé sous l'appellation "cité radieuse". Là encore, je le retrouve partout : à la fois dans la manière dont l'art s'empare de l'espace public, la folle histoire des arts de la rue par exemple, la transformation urbaine, le projet de la Friche… Par ailleurs, ce programme est forcément très différent de ce que nous avions imaginé à l'époque de la candidature. D'abord, parce qu'une fois la candidature acquise, nous avons lancé un grand appel à projets à destination des acteurs culturels du territoire. C'est la règle du jeu de toute capitale : elle doit être conçue et fabriquée sur place. Or, nous avons reçu entre 3000 et 4000 projets. Il a donc fallu faire des choix, parfois douloureux, fondre plusieurs projets en un. Cela dit, il y aura des suites. Comme après Lille 2004, il y a eu Lille 3000. C'est le cas notamment du projet Intermed qui devait occuper une saison pleine de la capitale version 2008. C'est typiquement le type de projet pluridisciplinaire qui aura sa raison d'être en prolongement de 2013.
D'autres projets ont bel et bien été abandonnés comme la Coupe Camus ou le concert pour 100 guitares…
Certains de ces projets imaginés en 2008, ce sont avérés très difficiles à mettre sur pied dans le temps imparti. C'est le cas de ce match de foot OM/Algérie qui a beaucoup plu, compte tenu des calendriers des uns et des autres, était impossible à organiser. Le concert des 100 guitares étaient aussi techniquement difficile. Et puis nous avons préféré donner la priorité aux propositions riches et de qualité issues de l'appel à projets plutôt que de vouloir mener à bien des projets que nous avions imaginé entre nous.
C'est parfois dommage notamment pour l'exposition itinérante consacrée à la culture rom et qui serait entrée en résonance avec l'actualité. Pourquoi a-t-elle disparu?
Mais ce n'est pas du tout le cas. Le programme existe toujours avec des propositions théâtrales, musicales, circassiennes, des ateliers… Simplement, nous avons plutôt joué la discrétion pour ne pas échauffer les esprits.
En revanche, l'exposition sur la peste n'a pas été retenue ?
C'était une proposition que l'on réservait aux musées marseillais et d'autres thèmes ont été choisis. Cela fait partie de la vie d'une capitale.
En 2008, vous insistiez beaucoup sur deux programmes qui vous tenaient à coeur : les nouveaux commanditaires qui devaient renouveler la commande publique en sollicitant des habitants et les ateliers de l'euroméditerranée en faisant entrer les artistes au coeur des entreprises. Cinq ans après, la place de ces initiatives est-elle celle que vous espériez ?
Le contrat de la capitale sera rempli si cela se poursuit au-delà de 2013. Aujourd'hui, il y a près de 60 ateliers de l'euroméditerranée. C'est un bon début, il faut que cela se poursuive, sans doute pas au même rythme. Quant aux nouveaux commanditaires, c'est une procédure beaucoup plus longue et complexe dans sa mise en oeuvre. Il y a un gros travail de médiation de maturation, de production… Je suis heureux qu'ils figurent au programme.
Et les ambassadeurs qui devaient accueillir les visiteurs. Où sont-ils passés ?
Il s'agit d'un dispositif que nous avions emprunté à Lille. Or, à Lille, à deux mois du démarrage de la capitale, ils n'avaient pas un bénévole. Nous en sommes à 2500, c'est déjà pas mal [mené par la Ville, l'opération "tous bénévoles compte 3000 volontaires, ndlr].
Vous n'avez donc pas de regret ?
Aucun regret. Ou peut-être un petit, concernant les moyens. Avec plus de moyens on aurait fait mieux et plus. Nous avons beaucoup de chances d'avoir réussi à réunir toutes les collectivités autour d'un même projet sans qu'elles revoient leur engagement à la baisse compte tenu de la conjoncture actuelle. En revanche, au regard des objectifs fixés par l'Europe et du fait qu'elle ne finance pratiquement pas, on est forcément en deçà de l'ambition souhaitée. Les capitales sont structurellement sous-financées. Cela pose de vrais problèmes notamment pour les métropoles comme Essen ou Istanbul. Mais nous retombons alors sur les limites du financement public qui n'est jamais au niveau de l'ambition souhaitée. J'ai aussi un gros regret personnel concernant l'exposition Camus. On s'est plantés dès le début sur la distribution des rôles. J'y ai ma part. Je pensais qu'en 2013, avec le centenaire de la naissance de Camus, Marseille serait le coeur d'un ensemble de manifestations internationales. Cela ne sera pas le cas.
Le printemps arabe est également passé par là…
Oui. Et cela donne plus de sens et de légitimité à ce qui doit être la vocation de ce territoire.
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