Benoît Guillaume, un pinceau encré dans le réel
Benoît Guillaume dessine et peint sur le vif. Pour la Revue dessinée, il a mis en BD une enquête sur le mal-logement à Marseille. Rencontre avec cet homme au regard doux et au pinceau compulsif.
Benoît Guillaume à la fenêtre de l'atelier du 40 rue du Baignoir. Photo : B.G.
Les dessins avant lui. Ses images légères et denses, peintes à la gouache ou à l’encre donnent à voir le monde avec poésie. La discrète silhouette derrière ces images, on l’a croisée en juin dernier alors que la justice organisait une audience “habitat indigne” devant la 6e chambre correctionnelle. Carnet sur les genoux, il croquait les protagonistes, propriétaires renvoyés et locataires victimes, tandis que l’auteur de ces lignes tentait de manier pinceau et stylo à son côté. Benoît Guillaume n’est pas un habitué des tribunaux, ni des questions d’habitat indigne. Avec la journaliste Fériel Alouti, ce mois-ci, il signe une enquête en textes et dessins sur le mal-logement, paru dans le dernier numéro de la Revue dessinée.
Depuis des années, il traîne ses pinceaux dans tous les lieux possibles. D’une rue du Caire sur un tonneau jusque dans des concerts de musique improvisée ou baroque. Dans un séminaire sur la médiation culturelle à Saint-Charles ou dans des journées d’études de l’institut d’art contemporain de Villeurbanne consacrées au cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul.
15 ans de carnets
À force, sa main voit. Il couche ensuite ces visions à cinq doigts sur des carnets Moleskine, au crayon ou en couleurs directes. Ces carnets remplissent deux étagères de la partie de l’atelier qu’il occupe au 40, rue du Baignoir à Belsunce. “Le premier commence en 2003 ou 2004”, hasarde-t-il en tentant de trouver – en vain – ce carnet.
Par la fenêtre de la cuisine, on peut voir les beaux carreaux en ciment décoré d’un bâtiment de plain-pied dont le toit a été supprimé. Il est encombré de détritus laissés par des voisins qui passent par là. Une gouttière traverse cet espace suspendu. Bien entendu, ce lieu étrange est aussi présent dans ses carnets et dans un album de poèmes illustrés consacré aux terrains vagues. “Je n’avais pas vu, cette minuscule colonne antique dans ce coin”, sourit-il, en pointant un support à angelot envolé.
Dessinateur en ville, en balades ou en concerts
Il aurait pu ajouter cet intérieur retourné comme une peau de gibier dans le reportage qu’il signe avec la journaliste Feriel Alouti, intitulé “Marseille, année zéro”. On y trouve un bâtiment muré de la rue du Baignoir, symbole du patrimoine municipal bradé. “Souvent les journalistes envoient leur enquête pour qu’elle soit transformée en BD, explique la journaliste – qui collabore également à Marsactu. J’ai tenu à ce qu’on fasse la majeure partie des entretiens ensemble. Il n’intervient pas en journaliste, mais comme une caméra qui enregistre tout. Sans être intrusif. Il se fait tout petit et parle avec une voix douce, sans jamais s’imposer”.
Son travail ancré dans le réel est empreint de poésie. Quand on lui soumet l’idée, il sourit : “j’avais compris encré avec un E”. Il assume la poésie comme le réel, avec un sourire en coin et une voix un peu perchée. Le dessin ne le quitte pas, comme une obsession d’enfance, jamais contrariée. “C’est embêtant quand je pars en vacances, parce que le principe des vacances est de ne pas travailler. Mais en même temps, je m’en voudrais de rater un bon dessin”.
Pour son reportage sur le mal-logement, Benoît Guillaume a pris pas mal de photos. “C’est pratique quand tu n’as pas beaucoup de temps et cela permet d’avoir des détails impossibles à dessiner dans un temps réduit”. Il lui arrive aussi de laisser sa main courir en liberté comme pour ses balades dessinées avec le Bureau des guides du GR 2013 ou lors des concerts qu’il croque. “Cela fait des années que je fais ça, et je ne m’en lasse pas alors que je dessine toujours des guitaristes et des saxophonistes. Il y a deux théories avec les concerts dessinés : soit j’apprécie et je vais bien travailler, soit je m’emmerde, mais il me reste le dessin”.
Le dessin en carnet lui vient de l’école d’art où les profs disaient “que c’était bien de faire des croquis”. Il ne s’est pas arrêté depuis. À la sortie de son bac économie – “mes parents voulaient que je passe un bac général d’abord” -, l’école d’art le mène d’abord au graphisme, plus lucratif. Et l’école de graphisme le mène à une boîte de design web qui truste les grands groupes : Areva, Lancôme, EDF… Au bout de cinq ans à ce régime “schizo”, il finit par lâcher prise et se met à son compte.
Né en 1976, il est de la génération où les métiers de pinceau n’étaient pas censés nourrir ceux qui les tiennent. À Brest où il grandit, cinquième d’une famille de sept sœurs et frères, il est initié dans la fratrie. “Ma mère dessinait aussi, mais je me souviens de moi à la table, avec un frère ou une sœur plus grande que moi”, se remémore-t-il. Benoît Guillaume ne s’est jamais arrêté de dessiner.
“Beaucoup de temps pour pas un rond”
Paradoxalement, maintenant qu’il en a fait son métier, le dessin n’occupe que 50% de son temps professionnel. “Je passe du temps à répondre aux mails, à gérer la relation avec les différents commanditaires”. Son travail se répartit entre les travaux de commande comme le dessin de conférences, d’évènements publics, les reportages ou les affiches et le travail de création qui lui rapporte peu d’argent. Il vient de reprendre le travail sur une BD, lancée il y a un an. “C’est beaucoup de temps pour pas un rond”, constate-t-il.
Ce travail de création peu rentable est compensé par l’explosion de l’illustration qui a connu en France un véritable boom, ouvrant des possibles tant esthétiques que financiers. Cela lui permet d’explorer des sentiers plus poétiques notamment avec Le Port a jauni, la maison d’édition de Mathilde Chèvre. Il y a signé avec l’écrivaine Ramona Badescu une splendide plongée dans le bus de la ligne 83.
Le dessin l’a fait voyager plus loin. En Asie souvent, après un premier voyage au Cambodge où l’une de ses sœurs vivait, “un gros choc visuel” qu’il réitère plusieurs fois, notamment en Birmanie, à laquelle il a consacré deux livres avec Frédéric Debomy. “Depuis que je suis à Marseille, j’ai beaucoup voyagé à Alger, au Maroc, en Égypte pour Le Port a jauni. Comme quoi, la porte ouverte de la Méditerranée, ce n’est pas une légende”.
Rétention et carte blanche
Parfois le dessin l’emmène moins loin. Avec le journaliste Olivier Bertrand, il a travaillé à une chronique bi-mensuelle sur la rétention à Marseille. “On avait décidé d’illustrer la série avec du dessin, explique le journaliste et écrivain. J’ai commencé à chercher sur Marseille et je suis tombé sur son site puis je l’ai rencontré une heure trente. Le dessin et le bonhomme m’ont intéressé. C’est super agréable de travailler avec lui, car il a quelque chose d’effacé dans son corps, un côté lunaire qui contraste avec l’attention qu’il prête aux gens et aux lieux. En réalité, il est très déterminé dans ce qu’il fait“.
Le dessin provoque la rencontre. Le photographe Bernard Plossu l’a contacté après avoir acheté un de ses livres d’images. “Il est venu me voir ici et m’a proposé de participer à une exposition collective en forme de carte blanche avec des photographes, illustrateurs et artistes. C’est quelqu’un de généreux et d’enthousiaste qui essaie d’aider ceux qui débutent. Je passe encore pour un petit jeune“. Il en rigole de ce rire flûté qui flotte et s’éteint. Déjà, la lumière se voile rue du Baignoir. On plie les carnets. Benoît Guillaume constate : “Encore une journée où je n’ai pas dessiné…”
Commentaires
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Très sympathique portrait! Merci de nous faire rencontrer les artistes contemporains de Marseille!
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